Le rendez-vous annuel de la place financière de Paris sur le climat se tient dans deux jours. Cet événement est d’ordinaire l’occasion pour les acteurs financiers français de joindre le geste à la parole en matière climatique en s’engageant sur des nouvelles mesures soutenant la sortie des énergies fossiles au profit du développement des renouvelables. Pourtant, tous les doutes sont permis pour cette édition 2022. Les derniers mois ont été marqués par l’accélération et l’intensification des conséquences des dérèglements climatiques mais les plus gros acteurs de la place refusent toujours de prendre position contre l’expansion pétro-gazière, en cohérence avec les recommandations des scientifiques. Au contraire, les annonces attendues, tant sur l’Institut de la Finance Durable que sur le label ISR, pourraient acter la mise à l’arrêt de la décarbonation de la place financière de Paris. Espérons qu’on se trompe. 

La 8ème édition du Climate Finance Day se tient à son habitude quelques jours avant la COP, occasion de prendre le pouls de l’action climatique des acteurs financiers français et pour certains d’entre eux de s’engager sur de nouvelles mesures en faveur du climat et de la biodiversité.

L’absence de la majorité des poids lourds de la Place dans le programme de jeudi laisse penser que très peu d’annonces significatives seront faites cette année. Quand la Société Générale a annoncé ses cibles de décarbonation, la Fédaration bancaire française a elle tenté de verdir l’image des banques françaises. On vous décrypte d’ailleurs ses techniques de manipulation des chiffres dans un article publié ce jour même.

La Place divisée sur l’expansion pétro-gazière

Il est certain que les grands noms de la finance française n’ont aucune raison de pérorer sur leur action en matière climatique. Alors que la science et l’initiative Race to Zero dont ils sont membres à travers leurs alliances respectives pour l’atteinte de la neutralité carbone (1) les exhortent à mettre un terme à leurs soutiens à l’expansion pétro-gazière, ils manquent tous à l’appel. A ce jour, seuls 15 investisseurs ont pris des mesures contre le développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers.

Les acteurs qui s’engagent contre l’expansion de la production pétrolière et gazière

Ils excluent dès 2022 des entreprises en raison de leur stratégie d’expansion Ils prévoient d’exclure d’ici 2025 des entreprises en raison de leur stratégie d’expansion Ils prévoient d’engager puis exclure d’ici 2030 les entreprises en raison de leur stratégie d’expansion1
Banques : La Banque Postale.

Détenteurs d’actifs : Abeille Assurances**, CNP Assurances, MACIF**, MAIF, Groupama*, Ircantec*, SCOR.

Gestionnaires d’actifs : Anaxis*, Groupama AM*, OFI AM**.

Détenteurs d’actifs : Ircantec (2024) ; Abeille Assurances (2025) ; MACIF (2025).

Gestionnaires d’actifs : LFDE* (2025) ; La Française AM* (2025).

Détenteurs d’actifs : MACSF*.

Gestionnaires d’actifs : Ostrum AM* ;  OFI AM*** ; LBPAM.

* Exclusion des non-conventionnels (comme définis dans la Global Oil & Gas Exit List).
** Exclusion de tous les développeurs upstream sauf les top 12 du Climate Action 100+.
*** Exclusion de tous les développeurs de nouveaux champs pétrole en 2027.
1 Crédit Mutuel Alliance Fédérale engage les développeurs, sans engagement à les exclure..

A l’inverse, les principaux groupes bancaires français, comprenant BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale, se contentent pour l’instant d’adopter des cibles de décarbonation qui à elles seules ne garantissent pas l’arrêt des soutiens à des entreprises qui se serviront des nouvelles rentrées d’argent pour développer de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Seul Crédit Agricole s’est pour l’instant engagé à revoir sa politique pétrole et gaz, en cohérence avec les recommandations de Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) et afin de soutenir un désengagement progressif du secteur. Si cela devrait logiquement se traduire par des mesures contre l’expansion, cette déclaration doit encore être concrétisée.

Quant aux (ré)assureurs AXA et SCOR, ils accumulent du retard par rapport à leurs pairs suisses et allemands. Alors que Allianz, Swiss Re, Munich Re et Hannover Re ont annoncé qu’ils n’assureraient plus de nouveaux projets pétroliers et gaziers, AXA et SCOR se sont eux engagés à n’arrêter que les projets pétroliers – et cela ne sera appliqué pour AXA qu’en 2024, avec des exceptions possibles pour les entreprises qu’AXA considérera être “en transition”, en toute incohérence avec les conclusions scientifiques.

Les poids lourds disent non à Bruno Le Maire…

Alors que le Climate Finance Day 2022 se tient deux ans après le premier appel de Bruno Le Maire aux institutions françaises à adopter une stratégie de sortie des pétrole et gaz non-conventionnels d’ici 2030. Si l’appel a été entendu par 15 institutions financières (2), AXA et SCOR en tant que (ré)assureurs et les grandes banques françaises ainsi que leurs filiales de gestion d’actifs se sont pour l’instant contentés de mesures plus ou moins importantes sur quelques secteurs de pétrole et gaz non-conventionnels.

Pire, certains acteurs significatifs de la place n’ont à ce jour pas de politique pétrole et gaz (3). Parmi elles, on retrouve notamment, FRR et ERAFP, qui se sont pourtant engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

… et Bruno Le Maire cautionne

S’il faut espérer que Bruno Le Maire réagisse enfin en annonçant des mesures de régulation visant à forcer les acteurs financiers à cesser leurs soutiens à l’expansion, rien n’est plus incertain. En effet, il n’a l’année dernière que réitéré son appel sur les non conventionnels et confié à Yves Perrier, président d’Amundi et vice-président de Paris Europlace, l’écriture d’un énième rapport sur les stratégies d’alignement pour le secteur financier. Ce même Yves Perrier sera à la tribune jeudi, certainement pour décrire les contours du prochain Institut de la Finance durable, décrié pour être pensé en remplacement de Finance For Tomorrow, jugé par les éléphants de la Place comme trop faisant sur le climat. Au-delà de l’ambition voulue se posent des questions de gouvernance, et notamment de la place respective des industriels et des ONG ainsi que des liens entre l’Institut et Paris Europlace.

Bruno Le Maire, qui prendra aussi la parole jeudi, pourrait lui se contenter de se féliciter de la mise en place de l’Institut qui restera dans le giron de Paris Europlace, dirigé par Augustin de Romanet. Il devrait aussi préciser les nouvelles modalités du label ISR. Sont pressenties des exclusions sur le charbon et les non conventionnels, mais seuls les détails permettront de savoir si le nouveau label corrigera les failles mises en exergue il y a déjà deux ans dans un rapport de l’Inspection général des finances.

Après ses demandes restées sans réponse ces deux dernières années, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire saura-t-il cette fois-ci se saisir du Climate Finance Day 2022 pour contraindre la Place de Paris à enfin s’aligner sur une trajectoire 1.5°C ? Affaire à suivre. Reclaim Finance sera présent sur place pour réagir aux annonces qui seront faites ce jeudi.

Notes :

    1. De nombreuses institutions financières française sont membres des alliances de GFANZ : les 6 banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE / Natixis, Crédit Mutuel et La Banque Postale sont ainsi membres de la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) et AXA, SCOR mais aussi Crédit Agricole Assurances et Matmut ont rejoint la Net-Zero Insurance Alliance (NZIA). De nombreux détenteurs et gestionnaires d’actifs, comprenant AXA, CNP Assurances, Groupama, la CDC, Amundi, BNP Paribas AM et AXA IM, ont aussi rejoint leurs alliances respectives, la Net-Zero Asset Owner Alliance (NZAOA) et la Zero Asset Manager Initiative (NZAM). Ces coalitions engagent leurs membres à s’aligner sur les critères fixés par les Nations Unies via l’initiative Race to Zero, notamment publier d’ici juin 2023 un plan de transition dans lequel ils expliquent comment ils entendent diviser par deux leurs émissions d’ici 2030, atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et contribuer aux objectifs d’arrêt de l’expansion des énergies fossiles et de sortie progressive du secteur.
    2. Il s’agit des détenteurs d’actifs AEMA – MACIF,  AEMA – Abeilles, Covéa, Ircantec, MAIF, SCOR RE et des gestionnaires d’actifs suivants : AG2R La Mondiale, Anaxis, Covéa Finance, Ecofi Investissements, La Financière de l’Echiquier, Ostrum AM, SCOR IP,  Sycomore AM.
    3. Il s’agit notamment des détenteurs d’actifs Agirc-Arrco, FRR, ERAFP,  SMA et des gestionnaires d’actifs Carmignac, ComGest, CPR AM, Edmond de Rothschild AM, Meeschaert, Natixis IM