Les grandes banques françaises épinglées dans l’émission d’obligations pour Saudi Aramco

Malgré leurs engagements à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, Reclaim Finance a découvert que les quatre grandes banques françaises BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et Natixis ont participé à l’émission d’un ensemble d’obligations d’une valeur totale de US$ 4.5 milliards pour l’entreprise saoudienne Saudi Aramco. Il s’agit pourtant de l’entreprise développant le plus de projets pétro-gaziers au monde, un développement incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).  

Détectées sur le terminal Bloomberg (1), ces obligations, émises le jeudi 23 février par GreenSaif Pipelines et TMS Issuer Sarl (2), deux filiales du géant pétro-gazier, visent le refinancement d’un prêt initial accordé en mars 2022 à GreenSaif Pipelines. 

Plusieurs points interpellent, à commencer par la très courte durée entre le versement du premier prêt et sa transformation en obligation. Cette restructuration permet notamment aux banques de sortir la transaction de leur bilan, une manière habile de baisser l’exposition de leurs portefeuilles aux énergies fossiles et les émissions associées sans pour autant contribuer à la décarbonisation du monde réel.  

Or, il faut noter que la transaction originelle date de mars 2022, soit après que les quatre banques françaises se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 suivant une trajectoire 1.5°C en rejoignant la Net Zero Banking Alliance. 

Bien qu’il s’agisse là d’une transaction à deux filiales spécifiques de Saudi Aramco, il faut rappeler que ce groupe pétrolier, avec 20 milliards de barils équivalents pétrole en développement sur le court terme, n’est autre que la première entreprise au monde à prévoir le plus de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Saudi Aramco ne dispose pas à l’heure actuelle que de très faibles cibles de décarbonation à long terme sur une très faible partie de ses émissions.  Autrement dit, le groupe est très loin de répondre aux conclusions des scientifiques et de l’AIE quant aux trajectoires à suivre pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Pour les acteurs financiers, lui accorder des nouveaux soutiens sans condition relèvent du greenwashing d’après le Groupe d’experts de haut-niveau sur les engagements de neutralité carbone des Nations Unies , mais effacer les transactions de leur bilan à travers une émission obligataire leur permet de tenir leurs objectifs de décarbonation.  

Il est donc possible de se demander si le même procédé sera utilisé par les banques françaises pour sortir de leur bilan les transactions déjà versées aux autres expansionnistes des énergies fossiles, voire pire, pour continuer d’accorder de nouveaux prêts à ces entreprises en misant sur leur transformation en obligations. En janvier dernier, nous  soulignions les US$ 23,2 milliards accordés aux développeurs d’énergies fossiles depuis qu’elles étaient membres de la Net Zero Banking Alliance. Le 9 février dernier, deux jours après que BP annonce des profits démentiels et une baisse de ses objectifs de décarbonation, plusieurs banques, dont BNP Paribas, ont également aidé le géant pétro-gazier à émettre une obligation d’une valeur de US$ 2.5 milliards.  

Cette transaction révèle une fois de plus que le diable se cache dans les détails dès lors qu’il s’agit d’évaluer la sincérité et la qualité des engagements pris par les banques en matière climatique. Pour répondre effectivement à l’urgence climatique, les banques doivent adopter des mesures qui couvrent l’ensemble de leurs services financiers et compléter leurs cibles de décarbonation de mesures restreignant leurs soutiens aux expansionnistes des énergies fossiles.  

Notes :

  1. Codes Bloomberg des transactions : Greensaif ISIN: US39541EAA10 et US39541EAC75. TMS ISIN: US87266GAA85. 
  2. Saudi Aramco a créé Aramco Pipelines afin de vendre 49% de ses activités dans ce domaine. Les propriétaires d’Aramco Pipelines sont à 51% Saudi Aramco, et à 49% GreenSaif (détenu par les investisseurs Blackrock et Hassana Investment). TMS Issuer SARL est une autre entité de financement mis en place par Blackrock et Hassana.   
  3. Contrairement aux prêts, les émissions obligataires ne figurent pas aux bilans des banques : celles-ci aident les entreprises à les émettre et font l’intermédiaire avec les investisseurs qui seront les détenteurs des titres et seront remboursés à l’échéance fixée.  Données chiffrées : Cojoianu, Does the fossil fuel divestment movement impact new oil and gas fundraising? (2021).

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2023-03-02T16:45:20+01:00