TotalEnergies a bien une responsabilité dans la consommation de ses produits

Le 28 avril 2023 – En réponse à une résolution déposée par 17 actionnaires en vue de son assemblée générale, TotalEnergies nie toute responsabilité dans la pollution engendrée par la consommation de ses produits (1). La major française remet en cause l’intérêt de se fixer des objectifs de baisse des émissions de scope 3 (2), à contre-courant d’une pratique déjà largement répandue et nécessaire. Elle considère notamment n’avoir aucune influence sur la demande en hydrocarbures et alerte ses actionnaires sur le risque de devoir céder ses activités à la concurrence si elle devait réduire ses émissions de scope 3. Décryptage par Reclaim Finance d’un argument anachronique et perfide portée par une entreprise poursuivant une stratégie climaticide.

Pour justifier son appel à voter contre la résolution, TotalEnergies a choisi son arme fétiche : le dénigrement. Plutôt que d’expliquer comment elle compte répondre à l’urgence climatique malgré des prévisions de production d’hydrocarbures en 2030 81% supérieure au niveau nécessaire pour s’aligner sur le scénario 1,5°C de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) (3), l’entreprise joue la mauvaise foi en affirmant qu’elle ne peut “être tenue pour responsable de la réduction des émissions liées à l’usage des produits utilisés par ses clients”. Autrement dit, elle ne souhaite pas se fixer d’objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur son scope 3, considérant qu’elle n’a pas de levier d’action pour les atteindre.

Selon elle, la responsabilité de ces émissions incombe uniquement à ses clients, dont la dépendance à son pétrole et à son gaz n’est pas de son fait. Ne pas satisfaire une demande jugée insatiable serait une erreur stratégique que les actionnaires sont invités à ne pas cautionner.

La demande en hydrocarbure dépend aussi de l’offre

L’offre et la demande sont deux phénomènes corollaires sur lesquels il faut agir simultanément. Même en cessant le développement de nouveaux champs pétroliers ou gaziers, la sécurité énergétique de nos économies n’est pas en danger. A l’échelle d’une entreprise, si TotalEnergies renonce à développer de nouveaux champs, elle peut maintenir son niveau de production d’hydrocarbures de 2022 pendant plus de 6 ans. Au-delà de cette période, sa production devra diminuer mais elle devrait être compensée par le développement des énergies renouvelables, dans lesquelles il faut investir massivement dès aujourd’hui. En suivant une telle stratégie, le modèle économique de TotalEnergies reste viable et son scope 3 pourra baisser d’ici 2030.

En parallèle, il revient à tous les acteurs de l’énergie, du producteur jusqu’au consommateur en passant par les pouvoirs publics, de mener des transformations profondes de la société. En tant qu’entreprise intégrée, TotalEnergies a tout son rôle à jouer.

TotalEnergies agit déjà sur la demande… pour perpétuer le règne des énergies fossiles

Contrairement à ce qu’elle sous-entend, TotalEnergies est loin d’encourager l’action climatique et la réduction de la demande en énergie fossile. Que ce soit en matière de publicité, de sponsoring, d’investissement ou de lobbying, que ce soit dans les infrastructures gazières, l’automobile ou la plasturgie, la major française contribue, aux côtés d’autres entreprises pétro-gazières, à la perpétuation de notre dépendance aux hydrocarbures en influençant la demande (4).

Rendre compte de l’évolution de son scope 3 est devenu la norme

Toutes les initiatives sérieuses en matière climatique soutiennent ou exigent le reporting des émissions de scope 3. Qu’il s’agisse du Greenhouse gas protocol, du Carbon Disclosure Project (CDP), de Partnership For Carbon Accounting Financials (PCAF), ou de normes réglementaires comme la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la norme internationale tend à une généralisation du reporting sur le scope 3.

Or, à quoi sert le calcul et le reporting des émissions si ce n’est pas pour les contrôler et inciter à les réduire ? Connaître les émissions en scope 3 n’est pas une finalité. L’objectif ultime est bien d’y associer des objectifs de décarbonation que les organismes chargés de leur suivi pourront mesurer.

Par exemple, le Science based target initiative (SBTi), cadre de référence de certification des cibles de décarbonation, ne valide que les cibles qui intègrent le scope 3. Des centaines d’acteurs financiers doivent, à travers les alliances pour la neutralité carbone, adopter des cibles de décarbonation sur leur scope 3. Enfin, le Climate Action 100+, collectif d’investisseurs qui évaluent les plans de transition des entreprises les plus émettrices, exige des cibles sur scope 3.

TotalEnergies s’est elle aussi déjà engagée à maintenir ses émissions annuelles en scope 3 sous les 400 MtCO2e d’ici à 2025 et 2030, contre 410 MtCO2e en 2015. Soit une baisse très timide de 2 %.

TotalEnergies ne peut prétendre être un acteur majeur de la transition énergétique tant qu’elle continue d’investir principalement dans les énergies fossiles

TotalEnergies est la première entreprise européenne qui développe le plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers (7ème mondiale) (5). Sa diversification en trompe l’œil repose en grande partie sur le développement des activités autres que l’extraction, qui dépendent encore énormément des énergies fossiles. C’est le cas notamment du transport, de la distribution, de la vente d’hydrocarbures ; de la production d’électricité à partir de gaz ; ou encore de la pétrochimie destinée à la production de plastique, de produits chimiques ou d’engrais agricoles.

L’AIE projette une multiplication par 2,1 des investissements dans le secteur énergétique d’ici 2030 suivant une répartition équivalente à 9 euros investis dans les solutions (la production d’électricité renouvelable, réseaux et utilisation finale) pour chaque euro investi dans les énergies fossiles.

Or, TotalEnergies prévoit toujours d’allouer au moins 67 % de ses investissements (Capex hors-maintenance) aux énergies fossiles en 2030 et seulement un tiers dans les énergies “bas-carbone”, comprenant notamment certaines énergies non-renouvelables comme les centrales à gaz. (6)

Adopter des cibles de décarbonation sur le scope 3 ne porte pas atteinte à la bonne gouvernance de l’entreprise

Dans son argumentaire contre la résolution déposée par les actionnaires, TotalEnergies considère que même si elle « n’empiète pas facialement sur les compétences du conseil d’administration”, son adoption « introduirait une certaine confusion dans la gouvernance car elle conduirait le Conseil d’administration à changer sa stratégie ».

L’année dernière, TotalEnergies avait refusé d’inscrire à l’ordre du jour une résolution similaire, arguant qu’elle empiétait sur les compétences du conseil d’administration. Cette année, afin d’éviter un nouveau rejet, les actionnaires ont préféré ne pas demander de changement des statuts et insistent sur le caractère purement consultatif de leur résolution, qui n’a que pour simple objet d’encourager TotalEnergies à “aligner ses émissions de scope 3 sur l’Accord de Paris”. Son adoption ne contraindrait aucunement l’entreprise à s’y plier.

Voter en faveur de cette résolution reviendrait donc à envoyer un signal fort à TotalEnergies  pour l’encourager à revoir sa stratégie – actuellement climaticide. Pour autant, l’entreprise resterait libre de décider de la méthode à adopter, notamment dans le choix des projets d’hydrocarbures auxquels renoncer en premier.

Reclaim Finance appelle donc les investisseurs de TotalEnergies soucieux des enjeux climatiques à soutenir cette résolution actionnariale et à voter contre le plan climat de la major française lors de son assemblée générale du 26 mai prochain.

Notes :

  1. TotalEnergies, Assemblée générale des actionnaires du 26 mai 2023 & Climat : TotalEnergies inscrit la résolution consultative présentée par un groupe d’actionnaires représentant moins de 1,4% du capital et recommande aux actionnaires de la rejeter, 28 avril 2023
  2. Les émissions de scope 3 intègrent toutes les émissions indirectes (non incluses dans le champ d’application 2) qui sont produites tout au long de la chaîne de valeur d’une entreprise, y compris les émissions en amont et en aval (fournisseurs de matériaux, prestataires logistiques tiers, fournisseurs de gestion des déchets, les fournisseurs de voyages, les locataires et les bailleurs, les franchisés, les détaillants, les employés et les clients, etc.).  (GHG Protocol, Corporate Value Chain (Scope 3) Accounting and Reporting Standard, Septembre 2011).  Pour ce qui est des entreprises productrices de pétrole et de gaz, cela intègre notamment les émissions avales liées au transport, à la distribution et à la combustion des hydrocarbures vendus. Pour ce qui est des produits vendus ou utilisés par une entreprise de l’énergie qui ne les auraient pas produits elle-même, par exemple pour la production d’électricité à partir de gaz acheté sur le marché du GNL ou pour la vente de carburants achetés à d’autres compagnies pétrolières, le scope 3 intègre notamment les émissions en amont liées à la production, au raffinage et au transport des hydrocarbures utilisés et vendus.
  3. AIE, Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global Energy Sector, Octobre 2021.
  4. InfluenceMap, InfluenceMap Score for TotalEnergies’ Climate Policy Engagement, 2022
  5. Urgewald, Global Oil & Gas Exit List

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2023-05-02T13:59:47+02:00