Réussir la transition énergétique, pour limiter le réchauffement global à 1,5°C, nécessite l’activation de deux leviers simultanément de la part des banques : la sortie des énergies fossiles et le soutien massif au déploiement d’un système énergétique soutenable. Avec encore en 2022 plus de US$ 47 milliards de financements aux 100 entreprises qui développent le plus de nouveaux projets fossiles, les banques françaises sont loin de répondre au premier impératif [1]. Leurs engagements sur les secteurs de la transition, et notamment le déploiement d’un secteur énergétique soutenable sont eux moins connus. Reclaim Finance fait le point alors que les plus grandes banques françaises s’apprêtent à tenir leurs assemblées générales [2].
Une trajectoire claire pour la transition énergétique
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) projette une trajectoire dans son scénario Net-Zero Emission (NZE) afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 [3]. Cette trajectoire repose sur un doublement des investissements annuels dans le secteur énergétique d’ici 2030. Plus précisément, il s’agit d’une part de multiplier par 3,2 les investissements dans la transition énergétique (production et distribution d’électricité, efficacité énergétique et transformation des usages finaux), et de l’autre de décroitre les financements aux énergies fossiles avec la fin immédiate de l’expansion.
Cet objectif implique qu’à horizon 2030, pour chaque euro investi dans les énergies fossiles, 5 euros sont investis dans la production et la distribution d’énergie “propre” (principalement dans le solaire et l’éolien), soit un ratio de 5:1.
Si la notion d’énergie “propre” et son périmètre tel que défini par l’AIE pose question, il reste néanmoins essentiel de maintenir cette trajectoire du NZE appliquée à un périmètre recentré sur des solutions réellement soutenables. En effet, le respect de ce scénario offrant une probabilité de limiter le réchauffement global à 1,5°C de l’ordre de 50% en 2050, nous estimons que cette même trajectoire permettra d’accroître nos chances de succès si elle se concentre sur un périmètre limité aux solutions crédibles pour une transition juste et soutenable.
Des périmètres flous
Energies « propres », « bas-carbone », « renouvelables »… Chaque banque utilise ses propres formulations, voire alterne entre celles-ci. Les renouvelables côtoient le bas-carbone, une catégorie qui cache souvent des activités telles que la production d’électricité à partir de gaz. Deux banques vont jusqu’à inclure la combustion de déchets (“waste-to-energy”) dans les financements de la transition [4]. Difficile alors de s’y retrouver, surtout que le détail des activités couvertes derrière chaque formulation est rarement précisé publiquement. En conséquence, c’est encore plus difficile de pouvoir évaluer les efforts ou assurer des comparaisons.
Une chose est sûre, les banques ont identifié les risques liés à certaines énergies non-fossiles, en attestent leurs politiques sur l’hydroélectricité. Mais on ne peut pas en dire autant de la biomasse. Il s’agit pourtant d’une source éminemment problématique et décriée pour ses impacts sur les écosystèmes, la santé et le climat [5]. Le remplacement du charbon par la biomasse est aussi une mauvaise option, cette dernière pouvant émettre davantage de CO2 que le charbon [6].
Pour Reclaim Finance, s’il est important de s’accorder sur des objectifs de financement à des activités vraiment soutenables, excluant ainsi des activités aux impacts sociaux, climatiques et environnementaux importants, il convient déjà d’assurer la transparence sur ce qui se cache derrière les périmètres et les définitions.
Enfin, le seul financement des modes de production d’énergie soutenable ne suffit pas. La mise à niveau du réseau (distribution et stockage) est centrale pour permettre la pénétration des sources variables et décentralisées. Rénovation, extension et densification des réseaux électriques ainsi que leur flexibilisation (grâce aux stockages) devraient mobiliser près de la moitié des financements à la transition d’ici 2050 [7].
Des cibles insuffisantes
Au-delà de l’enjeu de définir le périmètre, c’est-à-dire ce qui est financé au nom de l’engagement dans la transition énergétique, il convient aussi pour les banques de préciser comment ces engagements se matérialisent dans leur activité.
Si les banques françaises font toutes référence au scénario NZE de l’AIE, leurs cibles sont encore loin d’être cohérentes avec ce scénario. Leurs engagements demeurent en l’état parcellaires, très peu lisibles et insuffisants.
Dans le cadre de ses engagements pour la transition énergétique, la banque… | BNP Paribas | Crédit Agricole | Société Générale | BPCE/ Natixis |
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Définit un périmètre transparent des énergies et solutions financées ? | Non | Non | Non | Non |
Ce périmètre exclut les fausses solutions ou énergies non soutenables ? | Non | Non | Non | Non |
Fait référence à l’AIE et au NZE dans la communication de ses engagements ? | Oui | Oui | Oui | Oui |
S’engage à atteindre le ratio 5:1 dès 2030, conformément au NZE ? | Non | Non | Non | Non |
A un objectif de financements dédiés à l’approvisionnement énergétique ?… | Oui | Oui | Non | Oui |
…aligné avec le NZE de l’AIE ? | Non | Non | Non | Non |
A un objectif de développement de capacités de production d’énergie ?… | Non | Oui | Non | Non |
…aligné avec le NZE de l’AIE ? | Non | Non | Non | Non |
Reclaim Finance appelle les banques françaises à passer des paroles aux actes. Pour pleinement répondre aux enjeux de la transition énergétique, elles doivent urgemment compléter leurs politiques sectorielles et doivent à minima :
- Définir un périmètre transparent et crédible d’approvisionnement en énergie soutenable [8] (prenant en compte production et distribution d’énergie) ;
- S’engager à atteindre un ratio de 5:1 entre leurs financements sur ce périmètre soutenable par rapport aux énergies fossiles avant 2030, conformément aux projections de l’AIE ;
- Assurer la matérialisation de ces financements en fixant un objectif de développement de capacités de production d’énergies soutenables en cohérence avec les projections de l’AIE, c’est-à-dire un quadruplement des capacités installées annuellement d’ici à 2030.
Les banques françaises soutiennent encore massivement les énergies fossiles et allouent des montants insuffisants aux secteurs de la transition pour s’aligner avec le scénario NZE de l’AIE. Derrière les discours ambitieux, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE/Natixis n’ont même pas défini un périmètre clair et cohérent de leurs financements à la transition énergétique. La marche à suivre est claire : les banques doivent amorcer dès maintenant un changement radical en triplant les financements à la transition énergétique [9] à l’horizon 2030 tout en réduisant les financements aux énergies fossiles. Les assemblées générales qui arrivent leurs offrent une parfaite opportunité pour prendre publiquement de tels engagements.