CA100+ : début d’une deuxième phase toujours pas à la hauteur de l’urgence climatique

Après cinq années d’activité, la coalition d’investisseurs dédiée à l’engagement collaboratif pour le climat entre dans la deuxième phase de son existence. Mi-juin, Climate Action 100+ a annoncé le début de sa seconde phase, qui se déroulera jusqu’en 2030 et se caractérise par l’évolution de ses objectifs et de son fonctionnement. L’objectif de cette nouvelle phase est de renforcer l’engagement mené par ses membres et d’accélérer la transformation des entreprises. Reclaim Finance salue des améliorations bienvenues, mais déplore une occasion manquée pour permettre au Climate Action 100+ d’inciter ses membres à mener un engagement véritablement efficace pour le climat. Nous appelons les investisseurs membres du Climate Action 100+ à adopter des politiques d’engagement et de vote robustes, incluant notamment une stratégie d’escalade avec des sanctions systématiques.

Lancée en 2017, Climate Action 100+ (CA100+) est la plus grande initiative mondiale d’engagement collaboratif dédiée à la lutte contre le réchauffement climatique. La coalition rassemble plus de 700 investisseurs représentant 68 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, et cible 166 entreprises. Initialement créée pour une période de 5 ans, la coalition a décidé d’étendre ses activités jusqu’à 2030. 

L’échec de la première phase du CA100+

Le bilan de la coalition d’investisseurs au cours de la première phase est maigre. Les principales demandes des investisseurs plaidant pour plus de transparence, qui correspondent aux indicateurs du Net Zero Company Benchmark du CA100+, n’ont pas été satisfaites. A l’issue de la première phase, seuls 51% des engagements net zro adoptés par les entreprises couvrent tous les scopes des émissions générées, et 24% n’intègrent pas le scope 3. Par ailleurs, 64% des entreprises cibles n’ont pas fixé d’objectif de réduction des émissions à court-terme couvrant l’ensemble des scopes, et 91% ne se sont pas engagées à aligner leurs dépenses d’investissements avec une trajectoire 1,5°C. [1] 

Evaluation d’indicateurs de transparence du benchmark Net Zero Company Benchmark du CA100+

Evaluation d'indicateurs de transparence du benchmark Net Zero Company Benchmark du CA100+

* Objectif couvrant au moins 95 % des émissions de scopes 1 et 2 et les émissions de scope 3 les plus pertinentes. 

D’autre part, les investisseurs du CA100+ échouent à utiliser tous les outils d’engagement à leur disposition. En particulier, leurs votes en assemblée générale ne sanctionnent pas clairement les entreprises dont les stratégies climatiques sont insatisfaisantes et qui n’affichent pas de progrès. Aucune résolution climatique actionnariale signalée sur la page « Flagged Votes » du site du CA100+ n’a jamais été approuvée, alors que les investisseurs de la coalition représentent 68 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Enfin, les gestionnaires d’actifs du CA100+ utilisent très peu la possibilité de voter contre la réélection des membres sortants du conseil d’administration [2].

Un cadre d’évaluation des entreprises inapte à remplir les objectifs affichés 

Pour cette seconde phase, la coalition indique vouloir recentrer ses principaux objectifs, non plus sur la publication d’informations clés concernant les plans de transition, mais sur la mise en œuvre de ces plans de transition.  

Pourtant, la majorité des indicateurs du benchmark du CA100+ (11 sur 14), que les investisseurs sont incités à utiliser pour guider leur dialogue avec les entreprises, demeurent focalisés sur la transparence. Par ailleurs, assurer la mise en place d’objectifs fixés ne saurait être réellement utile qu’à la condition que ces objectifs soient suffisamment ambitieux pour permettre un alignement avec l’objectif 1,5°C.  

Les membres de l’initiative seront-ils au rendez-vous ?  

Prenant acte des critiques faisant état de l’absence d’engagement réel par un grand nombre d’investisseurs membres de l’initiative, CA100+ a dévoilé de nouvelles recommandations à l’intention des lead investors – en charge de diriger l’engagement auprès d’une entreprise au nom de la coalition. Ceux-ci sont désormais tenus de dévoiler publiquement leur identité sur le site internet du CA100+, et de publier le détail de leurs votes et les justifications associées pour les résolutions signalées sur la plateforme (Flagged Votes sur leur site web). Les attentes du CA100+ vont bien dans le sens d’une responsabilisation accrue de ses membres, mais l’initiative aurait pu aller plus loin en les étendant à l’ensemble des signataires et en se dotant de sanctions pour ceux refusant de les appliquer.

Il est désormais également attendu des lead investors qu’ils préparent un plan d’engagement annuel, définissant des objectifs, un planning et des options d’escalade, et un bilan annuel des avancées obtenues. Si ces principes sont les bons, rien ne garantit leur suivi par les membres de l’initiative, l’absence de mécanisme d’exclusion des réfractaires par CA100+ le rendant encore plus incertain. Reclaim Finance appelle donc les investisseurs membres du Climate Action 100+ à se doter de politiques d’engagement et de vote robustes, qui incluent :

  • Une diversification et une multiplication des leviers d’action, ne se limitant pas à l’organisation de deux rendez-vous annuels comme indiqué dans son guide à destination des signataires [3] ;
  • La définition de demandes associées à des échéances dans le temps portant sur l’alignement avec les recommandations scientifiques, plutôt que sur la transparence des plans climat ;
  • Une stratégie d’escalade appliquant des sanctions systématiques dans le cas où les demandes ne sont pas satisfaites à l’échéance fixée.

Les investisseurs doivent aussi prendre acte de l’incapacité à engager toutes les entreprises de leurs portefeuilles et suspendre dès à présent tout investissement obligataire dans les entreprises ne répondant pas immédiatement à certains critères fondamentaux. Par exemple, les entreprises ne publiant pas d’informations complètes sur leur impact sur le climat, ou celles qui ne respectent pas des lignes rouges définies par la science doivent être sanctionnées. Cela peut potentiellement être le cas par exemple des 10 entreprises retirées de la liste d’entreprises engagées par CA100+ [4], avec lesquelles les investisseurs devraient poursuivre la démarche d’engagement.

Les changements annoncés par Climate Action 100+ ne tirent pas les leçons des échecs de la première phase, et sont insuffisants pour convaincre réellement les entreprises de s’aligner sur une trajectoire 1,5°C. Reclaim Finance appelle ses investisseurs membres à renforcer leurs pratiques d’engagement existantes, notamment en appliquant des stratégies d’escalade systématiques pour les entreprises refusant de respecter leurs demandes ou n’affichant pas de progrès suffisants pour s’aligner avec une trajectoire 1,5°C.

Notes :

  1. Climate Action 100+, Net Zero Company Benchmark, Net Zero Company Benchmark | Climate Action 100+

  2. Majority Action, Climate in the Boardroom: How asset manager voting shaped corporate climate action in 2022

    Reuters, Investors in biggest climate pressure group don’t like to pressure, June 2023, Investors in biggest climate pressure group don’t like to pressure | Reuters

  3. Climate Action 100+, Signatory Handbook, June 2023, Signatory-Handbook-2023-Climate-Action-100.pdf (climateaction100.org)

  4. La liste des entreprises ciblées par le CA100+ évolue pour mettre à jour les entreprises correspondant aux 100 plus grands émetteurs, d’après les données du Carbon Disclosure Project. Les modifications consistent à ajouter 14 entreprises, et en retirer 10.

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2023-07-31T16:15:21+02:00