Gestion passive : le greenwashing des fonds « durables »

Mercredi 20 mars 2024, 00:01 GMT – Des fonds passifs marketés comme « durables » mais qui investissent en réalité dans des entreprises du secteur fossile : c’est ce que révèle l’ONG Reclaim Finance dans un nouveau rapport (1). 430 fonds durables gérés passivement par 5 grands gestionnaires d’actifs en Europe, dont le français Amundi, ont été passés au crible. Résultat : 70% d’entre eux sont exposés à des entreprises développant de nouveaux projets de charbon, de pétrole ou de gaz. Un chiffre d’autant plus inquiétant que le nombre de fonds gérés de manière passive augmente année après année (2). Reclaim Finance dénonce des investissements qui aggravent le dérèglement climatique et appelle les régulateurs à interdire aux gestionnaires d’actifs d’appeler leurs fonds « durables » si ceux-ci soutiennent l’expansion des énergies fossiles.

Cinq des plus grands gestionnaires de fonds passifs, Amundi, BlackRock, DWS, Legal & General Investment Management (LGIM) et UBS AM, ferment les yeux sur l’impact climatique de leurs investissements passifs, alors que leurs fonds investissent dans des géants pétro-gaziers comme TotalEnergies ou Shell et du charbon tels que Glencore ou Adani. Le nouveau rapport de Reclaim Finance révèle ainsi que 70 % des 430 fonds passifs marketés comme « durables » analysés sont exposés à des entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles, des investissements destructeurs pour le climat (3).

Par exemple, 78% des 104 fonds passifs “durables” analysés d’Amundi, filiale d’investissement du groupe Crédit Agricole, sont exposés à des entreprises développant de nouveaux projets fossiles. Parmi elles, figure l’américaine ExxonMobil, 7e plus grand développeur de pétrole et de gaz au monde. Autre exemple, le gestionnaire d’actifs allemand DWS détient un fonds passif “ESG” qui investit dans Shell, ExxonMobil et TotalEnergies – des entreprises qui continuent leurs stratégies d’expansion fossile et dont les stratégies climat sont loin d’être alignées avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C (4).

Les gestionnaires d’actifs aggravent le dérèglement climatique avec ces fonds passifs dits « durables ». Malgré cette appellation, ces fonds passifs sont investis dans des entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles. Même les gestionnaires d’actifs qui prétendent avoir des politiques climat sont problématiques car la plupart d’entre eux n’appliquent pas ces politiques aux fonds passifs. Il est temps que les investisseurs institutionnels et les régulateurs se réveillent et prennent des mesures pour mettre fin à ces allégations trompeuses.

Lara Cuvelier, chargée de campagne investissements soutenables à Reclaim Finance

La gestion passive est une stratégie d’investissement qui repose sur des indices de référence. Problème, le rapport démontre que les indices “durables” utilisés par les gestionnaires d’actifs n’excluent pas les entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles. Les indices de référence utilisés pour 25 des fonds “durables” analysés révèlent ainsi des failles importantes et des méthodologies qui ne reposent pas sur des critères scientifiques en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, si certains gestionnaires d’actifs ont adopté des politiques visant à restreindre leurs investissements dans les énergies fossiles (le plus souvent dans le charbon), peu d’entre eux appliquent ces politiques à leurs investissements passifs (5). Lorsqu’elles existent, ces politiques très insuffisantes n’empêchent pas que des fonds dits durables soient exposés aux développeurs fossiles.

Reclaim Finance appelle les régulateurs à agir sur la commercialisation des fonds faussement durables en introduisant des critères minimums obligatoires et standardisés, afin que les développeurs d’énergies fossiles soient exclus des fonds passifs commercialisés en tant que fonds ESG ou « durables ». Reclaim Finance appelle également les régulateurs européens à introduire de nouvelles mesures pour s’assurer que les engagements climatiques des gestionnaires d’actifs s’appliquent à tous leurs fonds, y compris les fonds gérés de manière passive.

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Notes :

  1. Reclaim Finance, Unmasking greenwashing: a call to clean up passive funds, Mars 2024
  2. Selon Morningstar, le total des actifs gérés passivement atteignait US$ 13,29 mille milliards fin décembre 2023. En Europe, bien que le montant absolu des actifs gérés passivement soit encore inférieur à celui des fonds actifs, Morningstar a constaté une augmentation significative des actifs gérés passivement.
  3. Les fonds analysés sont ceux de Amundi (filiale du Crédit Agricole), UBS AM (filiale d’UBS), DWS (filiale de Deutsche Bank) and LGIM (filiale de Legal & General), et BlackRock. Les données ont été extraites de la plateforme Morningstar Data Services en novembre 2023. Au total, US$2,648 milliards d’actifs de ces cinq gestionnaires d’actifs ont été analysés.
  4. Reclaim Finance, Evaluation des stratégies climat des entreprises pétro-gazières
  5. Certains gestionnaires d’actifs ont commencé à prendre des mesures dans ce domaine avec leurs fonds passifs. DWS et Amundi ont lancé par exemple des fonds passifs suivant des indices « durables », appliquent leurs exclusions du charbon à une partie de leurs fonds passifs, et commencent lentement à changer les indices qu’ils utilisent pour certains des fonds existants. Mais, comme le note le rapport, beaucoup reste à faire car les fonds passifs concentrant la grande majorité des actifs restent inchangés et utilisent toujours des indices traditionnels fortement exposés aux énergies fossiles.

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2024-03-20T09:14:56+01:00