Loi partage de la valeur : Une occasion manquée pour l’épargne salariale ?

Le gouvernement est sur le point de publier le décret d’application de la loi sur le partage de la valeur censé lister les labels financiers éligibles à l’obligation d’intégrer aux plans d’épargne salariale au moins un fonds « labellisé au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l’investissement socialement responsable ». Selon un projet de décret datant de début mai, le gouvernement prévoirait d’y intégrer des fonds labellisés qui alimentent l’expansion fossile. Reclaim Finance appelle le gouvernement à garantir aux épargnant⸱es le droit de disposer d’un fonds réellement « vert » qui exclurait les entreprises développant de nouveaux projets fossiles et encourage tous les labels à renforcer leur politique d’exclusion (1).

Le gouvernement a envoyé le 7 mai aux partenaires sociaux le projet d’un décret d’application (2) qui pourrait réduire la portée écologique de la loi sur le partage de la valeur adoptée en novembre dernier (3). Parmi les nombreux objectifs de cette loi figurait celui de promouvoir une épargne verte, en instaurant pour tous les plans d’épargne salariale l’obligation de disposer d’un fonds labellisé « au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l’investissement socialement responsable » (4). Le nouveau projet de décret risque de ne pas donner aux salarié⸱es la garantie de disposer d’un fonds d’épargne salariale sans développeurs fossiles.

Des plans d’épargne salariale très carbonés

Un rapport récent de Reclaim Finance révélait que 84 % des fonds d’épargne salariale investissent dans des entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles et sont incompatibles avec les recommandations scientifiques et projections du scénario Net Zero Emissions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pour limiter le réchauffement à 1,5°C. En conséquence, de nombreux salarié⸱es n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que d’investir leur épargne salariale dans des fonds qui aggravent le dérèglement climatique, faute d’option durable.

Pourtant, l’épargne salariale représente 180 milliards d’euros, soit l’équivalent des besoins d’investissement dans la décarbonation de l’économie française jusqu’en 2028. Cette manne ne peut être ignorée alors que, dans son discours sur l’Europe, Emmanuel Macron proposait de mobiliser « une épargne qui ne va pas dans les bons secteurs et les bons endroits » pour faire face au mur d’investissements nécessaires à la décarbonation de nos économies (5).

Des labels aux exigences climatiques variables

Le projet de décret présenté aux partenaires sociaux précise la liste des labels qui seront à priori éligibles « au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l’investissement socialement responsable » et qui pourraient se retrouver dès juillet dans les plans d’épargne salariale des entreprises. Sans surprise, on retrouve les deux labels créés par l’État et qui excluent tout soutien au développement de la production d’énergies fossiles : Greenfin , dédié à la transition énergétique et écologique, et le label Investissement Socialement Responsable (ISR). Cependant, on y trouve également trois autres labels – CIES, Finansol et Relance – qui sont, eux, bien moins restrictifs (6). Interrogé sur ce sujet, Fair dit mener des travaux afin de faire évoluer le règlement du label Finansol.

Tableau comparatif des exclusions sectorielles charbon, pétrole, et gaz des cahiers des charges des cinq labels proposés (7)

Labels Encours labélisés en épargne salariale (Mds€) Exclut les entreprises qui développent (8) Details
de nouvelles mines ou centrales à charbon de nouveaux projets de production de pétrole ou de gaz de nouveaux projets de transport et stockage de pétrole ou de gaz
CIES 31,8 Mds € Le label CIES exclut de ses fonds les « entreprises majoritairement concernées [par] le charbon et le gaz de schiste » sans donner de détails sur le seuil ni sur la métrique utilisés, et sans prendre en compte les projets d’expansion des entreprises. Les entreprises du pétrole et du gaz conventionnels ne font par ailleurs l’objet d’aucune restriction. Les fonds labellisés CIES peuvent donc contenir tous types d’entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles (de charbon, de pétrole ou de gaz).
ISR 17,2 Mds € La label ISR exclut toutes les entreprises qui développent de nouveaux projets d’exploration, extraction ou raffinage d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), ainsi que les entreprises dont plus de 5 % de leur activité provient du charbon thermique ou du pétrole et du gaz non conventionnel. Les entreprises développant de nouveaux projets de transport pétro-gaziers ne sont en revanche pas exclues, notamment celles développant des projets de gaz naturel liquéfié (GNL).
Finansol 6,1 Mds € Le label Finansol impose des conditions ESG strictes aux entreprises uniquement sur 5 à 10 % de ses investissements, tandis que les 90 à 95 % restants sont investis dans des produits financiers sans restrictions. Les fonds labellisés Finansol peuvent donc contenir tous types d’entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles (pétro-gaziers comme charbonniers).
Relance 1,6 Md € Le label Relance exclut de ses fonds les « sociétés exerçant des activités liées à la [production] de charbon » sans être clair sur le seuil ni sur la métrique utilisés, et sans prendre en compte les projets d’expansion des entreprises. Les entreprises du pétrole et du gaz ne font par ailleurs l’objet d’aucune restriction. Les fonds labellisés Relance peuvent donc contenir tous types d’entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles (pétro-gaziers comme charbonniers).
Greenfin 0,08 Md € La label Greenfin exclut toutes les entreprises qui développent de nouveaux projets d’exploration, extraction ou raffinage d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), ainsi que les entreprises dont plus de 5 % de leur activité provient de ces activités. Les entreprises développant de nouveaux projets de transport et stockage pétro-gaziers ne sont en revanche pas toutes exclues, notamment celles développant des projets de GNL.

L’arrêt de l’expansion fossile comme gage de responsabilité

74 % des Françaises et des Français considèrent que l’investissement responsable est avant tout un argument marketing sur lequel les banques communiquent mais qui ne change rien à l’utilisation concrète qui sera faite de leur épargne (7). Pour rétablir la confiance, il est urgent d’établir pour les fonds et labels qui se prétendent « responsables » des critères minimaux d’exigences environnementales et sociales, comme l’exclusion des entreprises qui participent à l’expansion fossile.

À l’occasion de la refonte du cahier des charges du label ISR, le gouvernement avait pourtant envoyé un message politique clair en faisant de l’exclusion des entreprises qui développent de nouveaux projets de charbon et de production de pétrole et de gaz une condition sine qua non de l’investissement socialement responsable. La rédaction du décret apparaît ainsi en contradiction avec cette prise de position claire.

Seul le respect de critères environnementaux et sociaux minimaux comme c’est le cas du principe de « ne pas nuir » (ou Do Not Significant Harm – DNSH) de la taxonomie européenne, permettront de préserver la crédibilité de l’investissement responsable en France. C’est pourquoi Reclaim Finance appelle le gouvernement à travailler de pair à la révision des labels CIES, France Relance et Finansol pour qu’ils offrent les mêmes garanties climatiques que le label d’État ISR en excluant les entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles.

Notes :

  1. Reclaim Finance se tient à disposition des équipes chargées de la définition du cahier des charges des labels pour les accompagner dans l’intégration de critères d’exclusions sectorielles charbon et pétrole/gaz.
  2. Projet de décret portant application des dispositions de la loi n°2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
  3. LOI n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
  4. Article 18 de la LOI n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
  5. Discours du Président de la République sur l’Europe à la Sorbonne, 24 avril 2024
  6. Liens vers les cahiers des charges des différents labels proposés
  7. Aussi appelé France finance verte
  8. sont notamment considérés comme des « nouveaux projets » fossiles les projets de nouvelles mines et centrales à charbon, les projets d’extraction de pétrole et de gaz ayant reçu une décision finale d’investissement après le 31 décembre 2021, ainsi que les nouveaux terminaux de liquéfaction qui ne sont pas encore entrés en opération fin 2023, en cohérence avec le scénario Net Zero Emissions by 2050 de l’AIE.
  9. Sondage les français et la finance responsable, FIR, 2023

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2024-05-30T10:07:02+02:00