Plus de deux ans après le lancement de sa réforme (1) et quelques semaines après en avoir dressé les contours (2), le Ministère de l’Economie et des Finances vient de publier le nouveau référentiel du label ISR (3). Parmi les principales avancées bienvenues à retenir sur le volet climatique se trouve l’exclusion des entreprises qui développent de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz (“upstream”). Reclaim Finance appelle les acteurs financiers à adopter des critères minimums similaires pour l’ensemble de leurs fonds ayant une prétention de durabilité, modulo la prise en compte de recommandations détaillées dans cet article.
Fumée blanche. Le label ISR (pour “Investissement socialement responsable”) fait (enfin) peau neuve après plus de deux ans de processus de refonte sous l’égide du Comité du Label ISR. Bien que ce label adopté par 1 172 fonds dans lesquels sont répartis 773 milliards d’euros d’encours (4) ait vocation à rester généraliste, sa crédibilité – et donc son attractivité – est nettement améliorée grâce à l’adoption de critères d’exclusion qui répondent au principe de “ne pas nuir” (ou Do Not Significant Harm – DNSH), notamment sur le plan climatique.
L’arrêt de l’expansion fossile reconnue comme la base de la responsabilité
En excluant les entreprises qui développent de nouveaux projets de charbon, de pétrole ou de gaz (5), le gouvernement fait de l’impératif exprimé par le GIEC, l’ONU et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de mettre fin à l’expansion fossile pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C et atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 (6) – la base de la responsabilité dans un contexte d’urgence climatique.
Le message politique est clair : tout acteur financier construisant ou commercialisant des fonds qui se prétendent responsables, ou dépasser une seule approche financière, ou viser des objectifs de durabilité (fonds “ESG”, “responsable”, “durable”, “à impact”, “éthique”, etc.) doit s’assurer du respect de cette ligne rouge.
Des critères d’exclusion sur les énergies fossiles à appliquer avec précaution
Malheureusement, le référentiel du label ISR est pauvre en recommandations concernant la manière d’appliquer les exclusions fossiles. Comme pour les autres critères d’exclusion portant sur le charbon ou les pétrole et gaz non conventionnels, rien n’est dit des bases de données à utiliser pour identifier les entreprises correspondant à ces critères ou du niveau de leur application – entre les groupes et les filiales. Comme reconnu par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) dans leur rapport sur les engagements climat des acteurs financiers français, l’effectivité d’une politique varie fortement en fonction de ces paramètres.
Pour garantir le respect de l’objectif visé, Reclaim Finance recommande l’application des critères autant aux entreprises concernées par les seuils qu’aux groupes auxquels elles appartiennent, et l’utilisation de la Global Coal Exit List (GCEL) et de la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) publiées par l’ONG Urgewald comme bases de données. Déjà plébiscitées par de nombreux acteurs financiers, ces listes permettent d’identifier les entreprises avec des plans d’expansion dans les énergies fossiles ou encore de les filtrer en fonction de plusieurs métriques, notamment la part représentée par une énergie dans la production d’une entreprise, alors que les fournisseurs de données privés tendent à n’indiquer que la part d’une énergie dans les revenus d’une entreprise (7).
Par ailleurs, si cela n’est pas requis pour obtenir le label ISR, Reclaim Finance recommande aux acteurs financiers d’appliquer ce principe de responsabilité – pas d’aggravation du dérèglement climatique à travers le financement de l’expansion – aux autres entreprises de l’énergie qui développent de nouveaux projets d’infrastructures de transport d’énergies fossiles, comme par exemple les terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), ou encore de nouvelles centrales électriques alimentées en énergies fossiles comme du charbon, du fioul ou du gaz.
Un label qui met un pied dans l’analyse des stratégies de transition
Au-delà des critères d’exclusion, le nouveau référentiel du Label ISR renforce certaines dispositions sur le plan climatique, dont l’obligation d’évaluer les “stratégies de transition climatique” des entreprises (10). L’obligation de résultat (11) ne portant que sur 15 à 20 % des entreprises impliquées dans des secteurs “à fort impact climatique” (12), le label conserve son caractère généraliste fondé sur une analyse ESG classique. Le renforcement des critères de sélectivité ESG (13) ne comble pas le manque de clarté et de fiabilité propre à cette méthodologie (14), qui mériterait d’être améliorée (15).
Reclaim Finance regrette l’absence des acteurs financiers dans la liste des entreprises “à fort impact climatique”, mais souligne surtout la faiblesse du référentiel concernant l’analyse des stratégies de transition. Certaines des méthodologies, initiatives ou standards mentionnés dans le référentiel (TPI, NGFS, ISSB, TCFD, Climate Action 100+) n’offrent pas de gages suffisants de crédibilité, certains ne visant pas même un alignement sur une trajectoire 1.5°C avec peu ou pas de dépassement et un recours limité aux émissions négatives.
Le nouveau référentiel du Label ISR envoie un signal fort, en actant clairement que le développement de projets de production d’énergies fossiles n’est pas compatible avec une notion de responsabilité et ne saurait l’être avec tout objectif plus important, notamment en termes de durabilité et de financement de la transition. Pour être crédibles, les acteurs financiers doivent désormais appliquer des critères minimum similaires à l’ensemble de leurs fonds affichant une prétention ESG ou de durabilité, en garantissant l’exclusion des autres entreprises de l’énergie qui développent des nouveaux projets d’infrastructures de transport d’énergies fossiles, comme les terminaux de GNL. Des outils existent pour le faire efficacement. Aux acteurs financiers de s’en saisir.