Ce mercredi 24 avril, après plus de deux ans de négociations, le Parlement européen a ajouté un point final à la Directive sur le devoir de vigilance (CSDDD). L’adoption de ce texte est une victoire pour le climat, l’environnement, la biodiversité et les droits humains. Cependant, les positions très conservatrices de certaines parties aux négociations ont considérablement amoindri la portée du texte pour le secteur financier. L’exclusion des services financiers du champ du devoir de vigilance et les incertitudes sur la robustesse des plans de transition climat obligatoires appellent à des mesures supplémentaires pour éviter une impunité des banques, investisseurs et assureurs.
C’est acté, les très grandes entreprises (1) devront s’assurer que leurs opérations n’ont pas d’impacts disproportionnés sur le climat, l’environnement, la biodiversité et les droits humains sur l’ensemble de leur chaîne d’activité (2). Si tel était le cas, les entreprises devraient réparer les dommages et s’exposeraient à des poursuites pénales. En dépit de certaines faiblesses, la Directive sur le devoir de vigilance est donc un grand pas contre l’impunité des multinationales européennes ou opérant sur le marché européen. Mais, le constat est moins positif lorsque l’on s’intéresse particulièrement à son impact sur le secteur financier.
L’ombre au tableau : l’exclusion des services financiers
La plus grande déception de ce texte concerne l’inclusion du secteur financier. Deux visions politiques se sont opposées lors de l’examen de ce texte. Le Parlement européen s’est positionné en faveur de l’inclusion des services financiers dans le devoir de vigilance. Auraient ainsi été couverts, par exemple, les prêts octroyés à des projets néfastes pour le climat, l’environnement, la biodiversité ou les droits humains. De son côté, le Conseil de l’UE, mené par la France, s’est fortement opposé à leur inclusion dans la directive, reprenant à la lettre les arguments avancés par le secteur dont la Fédération Bancaire Française.
La rhétorique utilisée par la France et certains acteurs financiers est particulièrement trompeuse. Selon eux, le devoir de vigilance doit inclure le secteur financier, « comme il s’imposera aux autres secteurs » (3). Cette formulation signifie en fait l’exclusion des services financiers – responsables de la quasi-totalité de l’impact des banques, investisseurs et assureurs sur l’environnement et les droits humains – du champ de la directive. En effet, la directive s’attaque aux chaînes d’activité des entreprises, ce qui comprend l’extraction des matières premières, la production, le transport, le stockage, puis la vente des produits. Or, dans les faits, un acteur financier ne produit rien directement, ses activités hors services financiers sont presque nulles.
Comme la position du Conseil de l’UE l’a emporté, les acteurs financiers devront assurer un devoir de vigilance sur leurs activités non financières uniquement. Il s’agit par exemple de s’assurer que les livrets publicitaires sont imprimés sur du papier issu de forêts durables et que le plastique des cartes bancaires puisse être recyclé. Rien en revanche sur les soutiens financiers, comme les investissements dans les énergies fossiles. Il s’agit d’une énorme opportunité manquée pour s’attaquer au coeur du problème : les services financiers vers les investissements néfastes pour le climat.
Une victoire en demi teinte : les plans de transitions climat obligatoires
Pour le climat, l’une des grandes avancées est l’obligation pour les entreprises d’adopter et de mettre en œuvre un plan de transition. Les entreprises concernées par la Directive devront s’assurer que leurs activités et leurs stratégies soient compatibles avec les objectifs climatiques européens. Alors que la Directive sur le Reporting (CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive) laissait les entreprises libres d’adopter un plan (4), la CSDDD va plus loin en les obligeant à le faire et en demandant à ce qu’elles fournissent des éléments démontrant que suffisamment de moyens sont consacrés à sa mise en oeuvre.
Ces plans concernent les grandes entreprises, mais également les acteurs financiers. Ces derniers devront étudier la compatibilité de leurs services financiers avec l’impératif de réduction du réchauffement planétaire et adopter des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur ceux-ci (scope 3). Étant donné les éléments scientifiques disponibles, une telle obligation devrait notamment se traduire par l’adoption de politiques sectorielles qui coupent le soutien à l’expansion fossile (5).
Notons cependant que toute entreprise qui publierait un plan de transition CSRD serait présumée satisfaire à l’obligation d’adoption de la CSDDD. Cette base CSRD n’est néanmoins pas parfaite, les indicateurs et critères larges demandés dans la CSRD pouvant mener à une qualité très variable des plans de transition (6). En effet, la CSRD est une réglementation axée sur la transparence et n’est donc que très peu prescriptive dans ce qu’elle demande aux entreprises et la qualité des plans. Il incombera alors aux autorités européennes de préciser leurs attentes sur le contenu des plans et aux superviseurs de vérifier leur qualité et d’en assurer le suivi. À ce titre, la transposition en droit national sera une étape importante, puisqu’il sera nécessaire de donner des moyens à l’autorité compétente désignée afin qu’elle puisse remplir cette mission.
Si l’adoption de la CSDDD est une bonne nouvelle pour l’environnement et les droits humains, l’exclusion des services financiers est incohérente avec la philosophie de ce texte et vient en réduire l’efficacité potentielle. Cette exclusion laisse libre court aux acteurs financiers de continuer leurs pratiques les plus néfastes, dont le financement massif des énergies fossiles et des activités les plus polluantes. Si ces services sont bien inclus dans le champ de l’obligation d’adoption d’un plan de transition, cette obligation reste trop imprécise et peu contraignante pour assurer le nécessaire changement de pratiques. Pour les autorités européennes, un double chantier persiste donc : 1) Poser des exigences précises concernant les plans de transition des entreprises et acteurs financiers et leur supervision ; 2) Préparer l’inclusion future des services financiers au champ du devoir de vigilance (7).