Financement du charbon : une baisse trop lente pour rester sous 1,5°C

Le secteur du charbon n’a pas encore dit son dernier mot. Still Banking on Coal publié aujourd’hui par Urgewald en partenariat avec Reclaim Finance et 12 autres ONG révèle que si les financements des banques pour le charbon diminuent au niveau global, le retrait ne va pas assez vite pour permettre une sortie du charbon dans les temps pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Certaines banques, notamment en Indonésie, aux États-Unis, au Canada et au Japon, ont même accru leur financement. D’autres banques japonaises, américaines et britanniques ont réduit leur soutien financier mais restent parmi les plus grands soutiens du secteur à l’échelle internationale. Bien que les membres du G7 se soient mis d’accord sur une sortie du charbon d’ici 2035 — soit 5 ans trop tard selon les scénarios 1,5°C — leurs banques soutiennent massivement le charbon et même son expansion. Cette situation montre que même si les politiques sectorielles des banques contribuent à réduire le financement du charbon, entrainant une baisse importante des émissions, les régulateurs, les gouvernements et les agences multilatérales doivent intervenir et prendre des mesures pour accélérer le déclin du charbon.

Entre janvier 2021 et décembre 2023, les banques commerciales ont fourni 470 milliards US$ de financement à l’industrie du charbon sous forme de prêts et de structuration d’émissions d’obligations. De ce montant, 92 % provenaient de banques basées dans sept pays : la Chine, les États-Unis, le Japon, le Canada, l’Inde, le Royaume-Uni et l’Indonésie (1). Alors que les banques américaines sont les plus grands prêteurs au secteur du charbon, les banques chinoises sont celles qui émettent le plus d’obligations d’entreprises du secteur du charbon dans le monde.

Alors que le financement des banques au secteur du charbon a globalement diminué de 20 % entre 2016 et 2023, certaines ont accru leur financement. Parmi les banques avec des augmentations notables depuis 2016, on retrouve : aux États-Unis, Bank of America (+30 %) ; au Canada, TD (+90 %) et BMO (+138 %) ; et en Indonésie, Bank Mandiri (+368 %) et BNI (+410 %). D’autres, comme Mizuho, Mitsubishi, JPMorgan Chase, Citi et Barclays, ont réduit leur soutien financier mais demeurent parmi les plus grands soutiens du secteur à l’échelle internationale.

Aux États-Unis, le financement du charbon de JPMorgan Chase et de Citi, qui ont été ciblées par des campagnes activistes depuis de nombreuses années, a diminué respectivement de 38 % et 50 % entre 2016 et 2023. Ces deux banques étaient les principaux financiers états-uniens du charbon en 2016, mais sont tombées à la troisième et à la cinquième place en 2023.

D’autres banques, qui ont pratiquement échappé à l’attention de la société civile, ont accru leur financement. C’est le cas des sixième et septième principaux financeurs du charbon aux États-Unis en 2023, US Bancorp (+39 %) et PNC (+79 %). Le cas de Jeffries Financial Group est particulièrement frappant ; son financement est passé de 7 millions US$ à 2,84 milliards US$, une augmentation spectaculaire de 40 500 %. En 2023, Jeffries se situait juste derrière Bank of America en tant que deuxième plus gros financeur du charbon aux États-Unis.

L’impact positif des politiques charbon

Nous pensons que le déclin à long terme du financement du charbon par les banques (de 170 milliards US$ en 2016 à 136 milliards US$ en 2023) est lié à deux tendances connexes : l’impact de la pression de la société civile et l’adoption de politiques sectorielles.

Un article publié en 2024 (2) par des chercheurs de la Harvard Business School a révélé que les banques dotées de politiques charbon ont considérablement réduit leur soutien au secteur, et que ces réductions ont contraint les entreprises à accélérer à la fois le retrait des centrales à charbon et la réduction des émissions des centrales existantes. Les auteurs estiment que les politiques actuelles de sortie des banques ont réduit les émissions des centrales au charbon entre 2015 et 2021 d’environ un gigatonne de CO2 équivalent — soit l’équivalent des émissions sur toute la durée de vie de 20 millions de véhicules à essence !

Des politiques lacunaires laissent le champ libre à des financements massifs: le cas du Japon

Dans le papier, les chercheurs ont constaté que l’ampleur des baisses de l’octroi de capitaux aux entreprises de charbon était directement liée à la qualité des politiques. Le cas du Japon nous permet de mieux comprendre comment de faibles politiques permettent la continuité du financement du charbon.

Entre 2021 et 2023, les banques japonaises ont fourni 23,5 milliards US$ de financement au charbon, plaçant le Japon au troisième rang des pays les plus importants pour le financement bancaire du charbon. Quatre-vingts pour cent de ce financement ont été fournis par Mizuho (8,1 milliards US$), MUFG (6,1 milliards US$) et SMBC (4,7 milliards US$).

Depuis 2022, ces trois banques ont adopté des restrictions au niveau des projets, puis au niveau des entreprises, mais uniquement pour les nouveaux clients du secteur du charbon. Cependant, en 2021, avant l’adoption de cette politique, seulement deux (SMBC), un (Mizuho) et même aucune (MUFG) des entreprises financées étaient de nouveaux clients. Le financement qu’ils ont reçu représentait moins de 6% de tout le soutien accordé par les banques japonaises au secteur au cours de cette période.

Comme présenté ci-dessous, en 2021, la politique de MUFG n’aurait empêché aucun financement tandis que moins de 6 % des financements auraient été affectés par les politiques de Mizuho et SMBC.

Nombre de nouveaux clients parmi les entreprises financées en 2021 Financements octroyés des nouveaux clients (mln US$) % des financements octroyés aux nouveaux clients/ total des financements
Mizuho 1 (sur 50 entreprises) /td> 95 3,3 %
MUFG 0 (sur 62 entreprises) 0 0 %
SMBC 2 (sur 45 entreprises) 95 5,5 %

Poids des nouveaux clients dans le financement des banques japonaises avant l’adoption de la politique (2021)

Le fait que les banques japonaises puissent encore soutenir leurs clients existants, y compris ceux qui continuent à développer de nouveaux projets de charbon, notamment en Indonésie, en Inde, au Vietnam, au Bangladesh et aux Philippines, implique que la plupart de leur financement du charbon reste inchangé par leur politique. Parmi eux figurent le groupe indien Adani, classé sixième au monde en termes de capacité électrique nouvelle prévue à partir du charbon (11 955 MW) ; l’entreprise indonésienne PLN, impliquée dans 23 projets d’expansion avec une capacité totale prévue de 5 656 MW ; et Glencore, classé comme le quatrième plus grand développeur mondial de nouvelles mines de charbon avec huit projets d’expansion.

La pression de la société civile et l’adoption de politiques fortes permettent de réduire le financement du charbon. Mais ces leviers sont insuffisants pour arrêter l’expansion du secteur et permettre la fermeture aux bonnes dates des infrastructures existantes afin de limiter le réchauffement à 1,5°C. Seule l’intervention des autorités publiques, des organismes de réglementation et des banques de développement permettra à la fois de contraindre les acteurs financiers privés à cesser tout soutien à l’expansion et de les impliquer dans le financement du démantèlement du secteur et le développement d’alternatives durables. Après l’accord d’avril 2024 du G7 sur une sortie du charbon d’ici 2035, Reclaim Finance appelle ces gouvernements à accélérer le mouvement, la première étape étant pour la France de légiférer pour mettre fin à tout soutien financier privé à l’expansion du secteur.

Notes :

  1. Urgewald, Commercial Banks Still Deep into Coal 8 Years After Paris, Mai 2024
  2. D. Green and B. Vallée, Measurement and Effects of Bank Exit Policies, Harvard Business School Working Paper, Janvier 2024
  3. Pour plus d’informations, consulter le Coal Policy Tracker
  4. Les nouveaux clients d’une banques sont définis comme les entreprises non financées par celle-ci entre 2016 et 2020. Cette approche peut surestimer le nombre de nouveaux clients.

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2024-05-02T17:20:29+02:00