Seulement 17,3% des financements des banques françaises aux 5 plus grandes entreprises pétrolières et gazières européennes (1) sont allés entre 2020 et 2023 à leurs activités « bas carbone » (US$7,1 milliards) et non à leurs activités fossiles (US$34,2 milliards). Les financements fléchés à leurs projets ou filiales « bas carbone » n’ont eux capté que 7,5% des financements globaux. Chiffres inédits à l’appui, Reclaim Finance révèle ainsi que les banques françaises sont donc loin de financer la transition quand elles accordent de nouveaux soutiens à ces entreprises, contrairement à ce qu’elles prétendent. Alors que l’analyse de la stratégie climat de ces entreprises démontre aussi que le pétrole et le gaz continueront de capter la majorité de leurs investissements, une seule solution s’impose pour mettre les pratiques des banques en cohérence avec leurs discours : cesser tous soutiens non fléchés à ces entreprises tant qu’elles développent de nouveaux projets d’énergies fossiles.
Les banques françaises comptent parmi les plus gros financeurs des plus gros développeurs de pétrole et de gaz. Elles ont accordé entre 2020 et 2023 plus de 67,5 milliards de dollars de financements à 12 des plus grandes entreprises pétro-gazières intégrées de la planète (2), malgré la connaissance de leur plan de développement massif dans les énergies fossiles.
Après avoir contesté le premier scénario Net Zero for 2050 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié en mai 2021 et qui projetait la fin des nouveaux champs pétroliers et gaziers après le 1er janvier 2022, auxquelles les versions de 2022 et 2023 ont ajouté le Gaz Naturel Liquéfié (GNL), les banques françaises ont fini par reconnaître, même si parfois timidement, l’incompatibilité de ces nouveaux projets avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C et leurs propres engagements climat.
Mais elles continuent de globalement défendre leurs soutiens aux plus grandes entreprises pétrolières et gazières, et en particulier aux européennes, au nom de leur diversification et capacité à financer la transition.
Reclaim a voulu en avoir le cœur net et comparer pour la première fois les financements alloués par les 4 grandes banques françaises aux activités « bas carbone » des 12 grandes entreprises pétrolières et gazières mondiales avec les financements alloués à l’ensemble de leurs activités fossiles (upstream, midstream, downstream).
L’infime part des financements au « bas carbone »
82,7% des financements alloués par les banques françaises aux 5 plus grandes entreprises européennes – BP, Eni, Equinor, Repsol, et TotalEnergies – sont en moyenne allés vers les énergies fossiles. Le « bas carbone » n’a capté dans le pire des cas que 11,1% des financements (BP).
Le pourcentage alloué au “bas carbone” chute de 17,3 à 15,0% si on rajoute les 2 majors états-uniennes et les entreprises pétro-gazières nationales.
Il est toutefois possible d’allouer les financements de façon fléchée aux activités bas carbone de l’entreprise en finançant certains projets ou certaines acquisitions spécifiques dans le bas carbone. C’est en grande partie le cas pour les financements “bas carbone” des banques françaises à l’entreprise Equinor, qui a reçu 95,9% de ses financements “bas carbone” de façon fléchée. Toutefois, en raison des soutiens généraux apportés à l’entreprise, les soutiens fléchés au bas carbone restent minoritaires, représentant 49% des soutiens reçus par l’entreprise entre 2020 et 2023 par les banques françaises.
Répartition des financements à
TotalEnergies, BP, Eni, Equinor et Repsol par banque
Des banques absentes des deals fléchés garantis sans fossiles
TotalEnergies fait partie, avec Equinor, Repsol, Eni et BP, des rares entreprises à avoir levé des financements fléchés pour des activités « bas carbone ».
Seule BNP Paribas a participé au financement « bas carbone » levé par BP et seule Crédit Agricole a participé à deux financements levés par Eni, pour un montant total de 585,6 millions de dollars. Eni en a eu pourtant plusieurs, 6, pour un montant total de 841,2 millions de dollars entre 2020 et 2023, dont 4 auxquels seuls acteurs financiers italiens ont participé. Les banques françaises ont, elles, bien financé à hauteur de 9,0 milliards Eni entre 2020 et 2023 pour des activités fossiles. Même BNP Paribas qui s’est globalement tenue à l’écart des financements généraux à ces entreprises depuis près d’un an a participé en décembre dernier à un prêt de 3 milliards de dollars (4) aux côtés d’autres banques dont Natixis, Société Générale et Crédit Agricole.
La majorité (57%) des financements au « bas carbone » versée par les banques françaises aux 5 entreprises européennes est donc passée à travers du financement d’entreprise. Problème, les financements généraux aux entreprises, qu’ils prennent la forme de prêts ou d’aides à l’émission d’obligations, soutiennent l’ensemble des activités des entreprises, y compris leurs activités dans les énergies fossiles.
Certaines banques reconnaissent que ces financements généraux sont problématiques. Le directeur du Crédit Agricole Philippe Brassac a même reconnu devant le Sénat être conscient qu’ils puissent être reprochés à la banque en raison de leur contribution aux activités non renouvelables, donc fossiles des entreprises. Mais les banques, dont le Crédit Agricole, continuent tout de même de les justifier, toujours au nom des soutiens à la transition. L’argument tenu est stratégique : reconnaître le problème pour mieux le réfuter en indiquant que c’est un moindre mal à accepter pour soutenir la transition de ces majors.
Sauf que l’analyse révèle que, en dehors d’Equinor, aucune entreprise ne prévoit d’allouer plus d’un tiers de ses investissements au « bas carbone » dans les prochaines années. Autrement dit, financer ces entreprises à travers des financements non fléchés servira davantage les énergies fossiles que le « bas carbone ».
TotalEnergies ne fait pas exception
Sur les 14,8 milliards de dollars que les 4 grandes banques françaises ont accordés à TotalEnergies entre 2020 et 2023, plus de 84,1% sont allés à ses activités fossiles : BNP Paribas a alloué seulement 12,7% de leurs financements totaux aux activités « bas carbone » de l’entreprise, Crédit Agricole 14,9%, quand BPCE y a accordé 17,7% et Société Générale près de 24,7%.
La majeure partie des ces 14,8 milliards de dollars a été versée à travers des financements généraux. Les financements fléchés vers le « bas carbone », par les 4 banques françaises, n’ont en effet atteint que 980,7 millions entre 2019 et 2023.
Crédit Agricole en a apporté 288,7 millions, soit 16 fois moins que ce qu’il a apporté aux activités fossiles de TotalEnergies sur cette même période. Pourtant, interrogé sur ses financements à TotalEnergies lors de l’assemblée générale du Crédit Agricole en mai 2023, Philippe Brassac déclarait publiquement que l’expansion pétro-gazière était incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C mais que les financements versés par la banque à TotalEnergies soutenaient les activités renouvelables du groupe. Les chiffres démontrent qu’il n’en est rien. Additionnés à la part des financements généraux attribuable aux activités « bas carbone » de TotalEnergies, les montants versés par Crédit Agricole à ces activités ne représentent toujours que 14,9% de l’ensemble des financements versés à la major française entre 2020 et 2023. Malgré leurs fortes relations commerciales avec TotalEnergies, les banques françaises n’ont pas participé à la totalité des financements fléchés vers le « bas carbone » de l’entreprise. Les banques françaises n’ont ainsi pas participé au 1,8 milliards de dollars reçu par Seagreen Wind Energy, filiale de TotalEnergies, en 2020.
Fin 2023, et avec les conclusions de la COP28, nous avons pris deux décisions plus radicales encore, c’est celles de concentrer nos financements projets uniquement sur les projets énergies renouvelables ou « bas carbone » compte tenu de l’importance des volumes qui vont être sans doute appelés dans les années qui viennent. Et je souligne parce que c’est un peu polémique, je souligne que nous n’excluons aucun projet ENRr, y compris des énergéticiens. On a une critique qui est si vous financez les projets ENR des énergéticiens, vous leur permettez dune certaine façon de développer le reste, c’est probable mais en tout cas, notre politique, de façon transparente, c’est de passer à côté d’aucun projet de financement en énergies renouvelables. Et sur les financements corporate des énergéticiens, parce que là aussi, on a une autre critique qu’il faut entendre, vous parlez des projets mais dans les financements corporate non affectés finalement, quels sont vos critères de décisions, et bien nous assumons, sur nos financements corporate aux énergéticiens, de décider en fonction de leur plan de transition et de la crédibilité de leur plan de transition”
Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, lors de l’audition au Sénat sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour que TotalEnergies respecte les objectifs climatiques de la France. (5)
Rappelons que TotalEnergies est la première entreprise listée au monde à prévoir le plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers, devant BP, ExxonMobil, Shell, et qu’elle entend allouer d’ici 2028 66% de ses investissements nets dans les énergies fossiles, 30% de ses investissements nets sont destinés à l’expansion pétrolière et gazière (dont les nouveaux champs de pétrole et de gaz et les nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié).
Répartition des financements à TotalEnergies par banque
Un financement à une major pétro-gazière est un financement au pétrole et au gaz. Cette vérité devait être rappelée, la voilà démontrée grâce à une recherche inédite de Reclaim Finance. Contrairement à ce qu’elles prétendent, les quatre plus grandes banques françaises continuent d’alimenter notre dépendance aux énergies fossiles et l’expansion pétro-gazière quand elles financent TotalEnergies et ses pairs. Seuls des financements fléchés aux projets « bas carbone » sauraient se justifier et garantir l’absence de soutien à l’expansion fossile. Quant aux financements généraux, qui représentent la part du lion des financements à ses entreprises, ils doivent immédiatement cesser et être formellement exclus par des engagements publics de la part des banques françaises.