Dans le contexte de mobilisation générale contre le coronavirus, Reclaim Finance considère que la réponse exceptionnelle de la BCE, si elle permettra sans aucun doute d’entretenir la liquidité des marchés, pourrait bien passer à côté de l’essentiel : venir en aide aux plus vulnérables et protéger l’avenir.

Contre le coronavirus, quelle est l’ordonnance de la BCE ? Une activation des leviers monétaires, afin d’accroître la liquidité des marchés, et un assouplissement des règles prudentielles, pour « alléger » le travail des banques et leurs donner des « marges de manœuvre ».

Dans la pratique, ce remède pourrait ne bénéficier que très peu aux entreprises et ménages les plus vulnérables et contribuer au financement des énergies fossiles, tout en affaiblissant les mécanismes de prévention des risques financiers.

Des liquidités… pour les grandes entreprises

La politique monétaire de la BCE repose principalement sur deux leviers :

1. Les achats d’actifs (quantitative easing) : la Banque Centrale achète directement des obligations et titres d’entreprises, de banques ou d’états.

  • Le 12 puis le 18 mars, la BCE a annoncé l’augmentation de ces rachats d’actifs de 870 milliards d’euros – 36% du PIB de la France – pour atteindre 1010 milliards sur l’année 2020. Selon la politique adoptée par la BCE en matière de rachat d’obligations d’états, ils représenteront de 70 à 210 milliards de rachats de titres des entreprises. (Lire notre article 870 milliards supplémentaires de QE : combien iront aux entreprises les plus polluantes ?)
  • Les rachats de titres d’entreprises concernent tous les secteurs sans distinction et dépendent largement de la présence des entreprises sur les marchés de capitaux. Ces fonds ne vont donc pas bénéficier aux petites entreprises et aux ménages mais toucheront principalement les grandes entreprises et, parmi elles, les entreprises les plus polluantes : celles-ci pourraient percevoir de 132 à 40 milliards de financement supplémentaires par ce canal. (Lire notre article 870 milliards supplémentaires de QE : combien iront aux entreprises les plus polluantes ?)

2. Les prêts : de plusieurs types avec échéances et taux variables, ils permettent aux banques de se financer en déposant des actifs (collatéraux) auprès de la Banque centrale.

  • Dès le 12 mars, la BCE a aménagé ses opérations de refinancement de long terme – prêts accordés pour 4 ans – en mettant en place des prêts ciblés (LTRO) à un taux de – 0,5 %. Ils joueront un rôle de relai jusqu’au lancement des TLTRO III en juin 2020. Ceux-ci seront alors accordés selon des conditions particulièrement favorables jusqu’en juin 2021, avec un taux de – 0,25% descendant à – 0,75 % pour les banques respectant les exigences de prêts de la BCE. Avec ces dispositions, les banques seront rémunérées pour les prêts qu’elles accordent mais rien ne permet de flécher ces prêts pour aider les plus touchés.
  • A minima, il est nécessaire de mettre en place une supervision permettant de s’assurer que les prêts accordés par les banques grâce aux LTRO et TLTRO III soutiennent en priorité les petites et moyennes entreprises et les ménages et soient accordés à des taux proches des taux de refinancement, donc nuls.
  • Par ailleurs, les actifs pris en garantie – ou collatéral – par la Banque centrale contre ces prêts ne prennent pas en compte l’impact carbone ni les risques climatiques. Les banques peuvent se financer en déposant en collatéral des actifs particulièrement polluants, une situation doublement problématique car l’acceptation d’un actif en collatéral par une banque centrale contribue à sa valorisation sur les marchés. L’exclusion des actifs liés au secteur du charbon et des pétroles et gaz non conventionnels de la liste des collatéraux est un premier pas indispensable vers une politique monétaire responsable (voir Nos demandes).

Sans ces ajustements les premiers bénéficiaires de la politique monétaire seront toujours les banques et les grandes entreprises.

L’assouplissement des règles dont les banques rêvaient

La BCE a prononcé l’assouplissement des règles prudentielles concernant les obligations de fonds propres et de liquidité des banques, le report des stress-test européens et l’octroi d’ajustements individuels, ce dernier point laissant des marges de manœuvre considérables aux banques nationales.

Les banques pourront diminuer leurs réserves et les règles encadrant ces obligations légales sont ouvertes. Les divers « coussins contracycliques », visant notamment à parer aux risques systémiques et variables selon les régulations nationales, devraient eux aussi être abaissés comme en France où ils ont été réduits à zéro.

Ce relâchement réglementaire est applicable à toutes les banques sans distinction. Là encore, aucun critère ne permet de s’assurer que les capacités de financement débloquées bénéficient à ceux qui en ont le plus besoin.

De plus, la réduction des obligations de fonds propres de banques accroît les lacunes existantes en matière de couverture de risques liés aux actifs carbonés toujours très mal pris en compte. Ces actifs devraient pourtant nécessiter la constitution de provisions supplémentaires reflétant les risques qu’ils font peser sur le système financier et atténuant leur attractivité (voir Nos demandes). La mauvaise prise en compte des risques climatiques couplée à un abaissement de la qualité et quantité des fonds propres augmente le risque de crise systémique, d’autant que la crise actuelle est révélatrice de la faible résilience du système financier face aux chocs exogènes comme ceux du changement climatique.

Si la Banque de France avait annoncé ses premiers stress-tests climatiques pour 2020, le report des stress-tests européens laisse présager un recul. Les risques climatiques étant désormais unanimement reconnus comme un danger et la sous-préparation des acteurs et régulateurs étant évidente, les stress-tests reportés devront intégrer les risques climatiques et la France bénéficierait du maintien de ses annonces. Au demeurant, les banques devraient continuer à tester leurs résistances et 2020 ne devraient pas devenir une année blanche en matière de stress-tests, ni une année de recul de la réglementation prudentielle.

Remettre la solidarité et l’environnement au centre, les propositions de Reclaim Finance :

  • Pour lutter contre les effets du coronavirus sans sacrifier l’avenir : Lire notre page Nos combats
  • Pour une politique monétaire et prudentielle de lutte contre le changement climatique : Lire notre page Nos demandes aux Banques centrales