Face à la crise climatique, le message de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de la Banque de France est clair : il y a urgence climatique et il est urgent… d’attendre pour agir. Si depuis quelques mois les annonces se succèdent, révélant la montée en puissance des enjeux climatiques au sein des banques centrales européennes, les banquiers n’ont toujours rien fait pour aligner les politiques monétaires et prudentielles avec les objectifs de l’Accord de Paris. Pire, rien n’a été fait pour mettre fin aux soutiens que la BCE apporte aux acteurs les plus polluants. Décryptage.

Urgent d’attendre « 3 à 5 ans »

Le 25 janvier 2021, la BCE annonçait la création d’un « centre climatique » visant à étudier l’intégration des enjeux climatiques à l’ensemble des opérations de la BCE et le fléchage d’une partie de ses fonds propres vers des obligations vertes. Ces annonces étaient accompagnées de nouveaux discours de Christine Lagarde et de Fabio Panetta.

A première vue, ces annonces témoignent de l’importance des enjeux climatiques pour la banque centrale et laissent entrevoir la possibilité pour celle-ci de les prendre en compte dans «l’ensemble de ces opérations». Mais, à y regarder de plus près, elles n’ont en réalité aucun effet sur l’impact environnementale de la banque. Pire, elles pourraient lui servir d’excuse pour repousser encore l’adoption de mesures climatiques ambitieuses.

En effet, le gouverneur de la Banque de France avait préalablement suggéré que l’intégration des enjeux climatiques devait être étudiée dès à présent pour pouvoir être effectuée d’ici «3 à 5 ans ». La BCE semble désormais suivre ce calendrier: son communiqué indique que le nouveau « centre climatique » vise « à terme » – et non immédiatement l’intégration de ces enjeux et ne sera révisé qu’au bout de trois ans. Pour rappel, les scientifiques du GIEC estiment que nous avons désormais moins de 10 ans pour opérer les transformations nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Nous n’avons pas le luxe d’attendre plusieurs années alors que nos émissions doivent dès maintenant baisser de 7,6% par an.

L’alibi des obligations vertes

Pour toute action concrète, la BCE met en avant l’achat d’obligations vertes. Même en laissant de côté la question de la contribution environnementale très incertaine de ces obligations, l’impact de cette annonce est particulièrement limité :

  • La Présidente de la BCE avait déjà mis en avant l’achat d’obligations vertes via ses rachats d’actifs (CSPP et PEPP) il y a plusieurs mois, oubliant au passage de souligner que celles-ci n’y occupaient qu’une place très marginale et étaient simplement le résultat du développement de ces obligations sur les marchés financiers.
  • La nouvelle annonce ne concerne que les fonds propres de la BCE, et non sa politique monétaire. Aujourd’hui, 728 millions des 20,8 milliards d’euros de fonds propres de la BCE sont investis dans des obligations vertes. L’annonce de la banque signifie simplement une augmentation de ce volume. L’augmentation devrait être relativement faible étant donné que les fonds dans lesquels la BCE entend investir ne dépassent pas les 2 milliards de dollars au total.

L’opération ressemble donc beaucoup à un « coup de com ». La BCE n’en est pas à son coup d’essai : en septembre 2020, elle avait annoncé accepter les « sustainability linked bonds » comme collatéraux, une mesure à l’impact environnemental infime qui concerne une classe d’actif quasi inexistante actuellement.

Derrière l’écran de fumée, le chaos climatique

Derrière cet écran de fumée, la BCE ne prévoit aucune condition environnementale pour les €5 000 milliards qu’elle entend déverser sur les marchés en 2020-2022 en réponse à la crise du Covid-19. Conséquences :

  • Elle continue à favoriser les entreprises polluantes, dont 38 entreprises des énergies fossiles, via ses rachats d’actifs.
  • Elle permet aux banques qui se financent à historiquement bas, et même négatifs, de financer les activités les plus polluantes.
  • Elle laisse les banques et acteurs financiers accumuler des actifs polluants sans prendre en compte les risques qui y sont liés.

Pourtant, contrairement à ce que les banquiers centraux aiment à prétendre, la BCE peut agir dès maintenant : d’après le Production Gap Report 2020, la production d’énergies fossiles doit diminuer de 6% par an jusqu’en 2030 pour limiter le réchauffement à 1.5°C. Les nouveaux projets de production d’énergies fossiles sont incompatibles avec nos objectifs climatiques et comptent parmi les plus exposés aux les risques financiers climatiques.

La Banque de France l’a reconnu en adoptant des mesures de réduction drastique de ses investissements dans les énergies fossiles. Son gouverneur François Villeroy de Galhau reste pourtant aux abonnés absents quand il s’agit des milliers de milliards de la politique monétaire européenne, qui soutient des entreprises prévoyant 67 nouveaux projets pétroliers et gaziers. Face à ce constant, l’ambition affichée par le gouverneur de la Banque de France de faire de la BCE « la banque centrale pionnière dans la lutte contre le changement climatique» est vidée de sa crédibilité.

Les banquiers centraux sous le feu des projecteurs

Longtemps à l’abri de la contestation et prétextant la «neutralité», les banquiers centraux sont désormais visés par une part grandissante de la population soucieuse d’agir pour préserver ce qui peut l’être face à l’intensification des dérèglements climatiques. Après une première pétition demandant à la BCE d’arrêter de contribuer au chaos climatique déjà signée par 167 000 européens, Reclaim Finance et SumOfUs interpellent désormais aussi, à travers une nouvelle pétition, la Banque de France.