Total SE a réagi ce matin au rapport que nous avons publié avec Greenpeace France il y a déjà un mois intitulé “Total fait du sale : la finance complice ?”. Car nous aussi sommes guidés par le souci de la vérité, nous lui répondons.

1/ Total SE rappelle tout d’abord son ambition, et non engagement, à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Rien de nouveau. C’est sur les trois autres points de sa réponse que nous nous concentrerons.

2/ Total SE mentionne le graphique inséré page 12 de notre rapport qui estime leurs émissions de scope 3, en Europe et dans le monde entre 2015 et 2050, et les compare à la trajectoire qu’elles devraient suivre pour être en cohérence avec un scénario 1.5°C.

  • Ce graphique est tiré d’un rapport de Oil Change International paru en septembre dernier, Big Oil Reality Check, auquel Reclaim Finance et Greenpeace France ont ajouté une règle de mesure des émissions estimées de Total SE en 2030, cela afin de faire ressortir l’écart avec le niveau d’émissions que le groupe devrait atteindre afin de s’aligner sur une trajectoire 1,5°C.
  • La trajectoire des émissions de Total sont estimées à partir des données de Rystad Energy sur les prévisions de la production d’hydrocarbures de Total, établies à août 2020. Rystad Energy est une société indépendante de recherche et d’intelligence économique dans le domaine de l’énergie qui fournit des données, des outils, des analyses et des services de conseil à ses clients et qui est utilisée par de nombreuses entreprises.
  • Ce graphique montre ainsi que les émissions de scope 3 de Total augmenteraient à 500MT en 2030 contre 410MT en 2015 et qu’elles seraient de 200MT supérieures à ce qu’il faudrait pour s’aligner sur une trajectoire 1,5°C.
  • A cela, Total répond en citant la page 16 de son rapport Climat 2020 de Total : « Sur ces émissions scope 3, le Groupe se donne de nouveaux objectifs d’ici 2030 : En Europe, une réduction de 30 % des émissions en valeur absolue par rapport à 2015, étape majeure vers la neutralité en 2050. À l’échelle mondiale, une diminution en valeur absolue des émissions par rapport à 2015, malgré la croissance prévue de la demande d’énergie de nos clients dans la décennie à venir”
  • Il faut d’abord noter qu’aux données de Rystad, Total ne répond que par des mots, sans donner d’objectif chiffré de la baisse de ses émissions mondiales. Il pourrait s’agir d’une baisse insignifiante, cela suffirait pour affirmer qu’il y aura une baisse. Les investisseurs devraient exiger la transparence sur ce point et demander à Total SE si le groupe entend baisser d’environ 170 millions de tonnes ses émissions de CO2e d’ici 2030 par rapport au niveau de 2015 afin d’atteindre un niveau de 240MT en 2030.
  • Il faut donc se tourner vers les autres informations disponibles. L’Europe faisant partie du monde, il faut entendre que Total s’engage à baisser ses émissions en valeur absolue “à l’échelle mondiale”, mais non pas de baisser ses émissions en valeur absolue hors Europe. Notre rapport fait bien cette différence et indique que si Total entend baisser ses émissions en Europe d’ici 2030, il devrait les augmenter hors Europe pendant la prochaine décennie.
  • Total ne dit d’ailleurs rien d’autre: “Total s’est donc engagé à ce que les émissions indirectes de scope 3 au niveau mondial en 2030 soient inférieures à leur niveau de 2015 […]. Cet engagement est notamment rendu possible par celui pris sur l’Europe d’une réduction de 30% des émissions dites de scope 3 à horizon 2030.” Sauf qu’ici, Total se trompe sur le montant de baisse de ses émissions de scope 3 en Europe, affirmé ici d’être de 75 MT/an. Voir le point suivant.

3/ Concernant la baisse de ses émissions de scope 3 en Europe, Total écrit qu’elles étaient de 256 MT en 2015.

  • Or, Total s’est engagée à les réduire de 30% à l’horizon 2050, ce qui fait un total de 76,8 MT. Quand au point d’avant Total parlait de les réduire de 75MT/an, il s’agit en réalité de les réduire de cet ordre de grandeur sur 15 ans, soit de 5MT/an.
  • Il est certain que cela est moins spectaculaire mais cela a le mérite d’être cohérent avec l’évaluation faite par le Climate Action 100+ des performances climatiques de Total. Ce “Climate Action 100+ Net-Zero Company Benchmark” montre que Total ne valide qu’un seul des 9 indicateurs évalués, dont aucun sur les cibles de baisse de ses émissions.

4/ Concernant le calcul de l’intensité carbone de ses produits, le groupe précise intégrer au numérateur « Les émissions liées à l’utilisation des produits énergétiques par les clients. » en ajoutant que « Les produits à usage non combustibles (bitumes, lubrifiants, plastiques, etc.) ne sont pas pris en compte».

  • Nous comprenons que seules les émissions de CO2e liées à l’utilisation pour usage final par ses clients, entrent dans le calcul de cet indicateur. En d’autres termes, outre des émissions liées aux «bitumes, lubrifiants, plastiques, etc. », les émissions liées aux produits vendus à un stade intermédiaire ne seraient pas comptabilisées. Les investisseurs devraient exiger de la transparence également sur ce point.
  • Plus globalement, dans la mesure où Total SE précise dans ses rapports ne prendre en considération que le poste 11 (sur 15) de la méthodologie publiée par l’IPIECA pour calculer ses émissions de scope 3, le groupe gagnerait en transparence en communiquant des informations plus exhaustives sur les émissions prises ou non en compte dans ses calculs, et notamment sur le fait de limiter son reporting à un seul de ces postes.
  • Par ailleurs, rappelons que, quelque soit la manière de calculer ses émissions, les baisses annoncées par le groupe, de 15% de son intensité carbone d’ici 2030 par rapport à 2015 – soit environ 1% par an – et de 35% en 2040, restent très inférieures à ce qui est nécessaire pour limiter la hausse de températures à moins de 2°C (une baisse d’intensité carbone d’environ 90% d’après Carbone 4).

En conclusion, nous confirmons les conclusion de notre rapport, validées par le référentiel publié par le Climate Action 100+ : Total ne compte pas réduire de manière significative son impact sur la planète de manière à s’aligner sur le court terme sur une trajectoire 1,5°C. Les actionnaires auront donc raison de voter contre sa stratégie climat et de déposer leur propre résolution afin d’inciter le groupe pétrolier à faire preuve d’une plus grande transparence et ambition en matière climatique.

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