Communiqué de presse – Reclaim Finance et Greenpeace France

Paris, le 2 avril 2021 – Afin de dissuader ses actionnaires les plus engagés de déposer une nouvelle résolution climat en amont de l’assemblée générale qui se tiendra fin mai, Total annonce aujourd’hui dans un rapport qui détaille les résolutions, des mesurettes supplémentaires relatives aux objectifs de décarbonation du groupe. Mais aucune ne vise à changer les prévisions d’augmentation de sa production d’hydrocarbures d’ici 2030. Reclaim Finance et Greenpeace France se joignent donc aux voix de ceux, notamment de la Children’s Investment Fund Foundation (CIFF), qui appellent les actionnaires de Total à s’engager à voter contre la stratégie climat du groupe et à déposer leur propre résolution sur le climat.

Dans sa convocation à son assemblée générale du 28 mai prochain (1), Total annonce quelques légères modifications à la stratégie climat qu’il prévoit de soumettre au vote de ses actionnaires sur le principe du Say on Climate :

  • En vue d’atteindre la neutralité carbone sur ses opérations mondiales (scope 1+2) d’ici 2050, Total annonce un nouvel objectif intermédiaire d’une baisse de ses émissions de 40% d’ici 2030 par rapport à 2015.
  • La major porte l’objectif intermédiaire de réduction de l’intensité moyenne en carbone des produits énergétiques utilisés dans le monde par ses clients (scope 1+2+3) de 15 % à 20 % d’ici 2030.
  • Le groupe s’engage à ce que “ le niveau des émissions mondiales scope 3 liées à l’utilisation par ses clients des produits énergétiques vendus pour usage final (2) en 2030 soit inférieur en valeur absolue à celui de 2015” mais ne précise aucun chiffre (3).

Total annonce ces modifications alors que plus de 500 investisseurs ont reconnu dans une récente évaluation des performances climatiques des plus gros pollueurs que Total n’avait pas pris les mesures adéquates pour atteindre l’objectif de neutralité carbone (4). Cette énième tentative ne convainc pas, y compris du côté du CIFF, la fondation derrière l’initiative Say on Climate.

“La nouvelle annonce de Total ne change rien à l’affaire. Sa stratégie climatique n’est pas alignée sur un objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Les actionnaires de Total doivent voter en conséquence lors de son assemblée générale annuelle, et en tenir le conseil d’administration pour responsable , en votant contre sa réélection si nécessaire. L’urgence climatique laisse très peu de temps pour obliger les entreprises dans lesquelles nous investissons à réellement décarboner leurs activités. Nous encourageons donc les actionnaires de Total à profiter de la possibilité offerte par la loi française (5) pour déposer une résolution exigeant du conseil d’administration de Total qu’il adopte une stratégie alignée sur l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, en abandonnant progressivement le pétrole et le gaz avec des objectifs clairs à court terme.déclare Michael Hugman, le directeur du programme Climat et Finance du CIFF.

Alors que le rapport “Production Gap”, coordonné par les Nations-Unies, indique qu’il faut baisser de 4% et de 5% les productions respectives de pétrole et de gaz par an d’ici 2030 pour tenir l’objectif de 1,5°C, Total vient de confirmer que les énergies fossiles capteront toujours 80% de ses investissements en 2030.

Selon Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance : “L’objectif est le bon mais Total ne l’atteindra pas. En campant sur l’idée d’augmenter sa production d’hydrocarbures d’ici 2030 (6), Total s’imagine en lapin blanc d’Alice aux Pays des Merveilles. Il fait miroiter un monde où il serait possible de faire disparaître comme par magie des émissions qu’on aura sciemment rejetées en refusant de suivre les recommandations scientifiques: laisser les fossiles dans le sol ! Ses actionnaires doivent très vite se réveiller”.

La neutralité carbone à l’horizon 2050 ne pourra être atteinte qu’en adoptant des mesures concrètes et immédiates pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 7,6% dans le monde, dès maintenant et tous les ans jusqu’en 2030. Or, comme expliqué dans le rapport publié par Greenpeace France et Reclaim Finance fin février “Total fait du sale: La Finance complice ?, la major pétrolière parie principalement sur le déploiement de technologies de puits de carbone non matures et/ou largement insuffisantes. La baisse annoncée de 20% de l’intensité carbone des produits énergétiques utilisés par ses clients d’ici 2030 (contre 15% auparavant) reste anecdotique : Carbone 4 calcule que Total devrait baisser de 75% cet indicateur pour respecter l’objectif d’une limitation des températures à 2°C de l’Accord de Paris et de 90% pour un objectif à moins de 2°C.

“Les dernières annonces de Total, qui continue à reporter une éventuelle réduction de sa production fossiles à après 2030, ne serviront qu’à écoper à la petite cuillère le bateau qui sombre, » déclare Edina Ifticène, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace France. « Il s’agit d’une énième diversion de la part du pétrolier, afin de gagner du temps et de ne rien changer. Total est spécialiste de ces effets d’annonce qui détournent l’attention des enjeux réels, à savoir entamer la sortie des énergies fossiles. Cela fait partie d’une stratégie d’influence bien rodée que Greenpeace France décrypte dans une série documentaire L’emprise Total – Le pouvoir silencieux du géant du pétrole, dont le premier épisode est sorti mercredi 31 mars (7).”

Contacts médias :

  • Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance, 06 79 54 37 15
  • Cécile Cailliez, chargée de communication à Greenpeace France, cecile.cailliez@greenpeace.org : 06 13 07 04 29

Notes :

  1. Voir le Document d’enregistrement universal 2020 de Total, lié à la convocation à son assemblée générale du 28 mai prochain ce matin, et le rapport sur les résolutions soumises à l’AG ici.
  2. Le groupe dit calculer son scope 3 “à partir des ventes de produits finis dont l’étape suivante est l’usage final, c’est-à-dire leur combustion pour obtenir de l’énergie”. Ce calcul exclut donc de fait les produits non énergétiques (asphalte et bitume, lubrifiants, plastiques, etc.).
  3. D’après le graphique p.7 du Results and Outlook, la baisse de 30% des émissions scope 3 Europe va de pair avec un accroissement des émissions monde, hors Europe, de plus de 40%.
  4. Voir le benchmark publié par la coalition Climate Action 100+ qui pèse plus 52 000 milliards de dollars et regroupe de nombreux investisseurs français dont Amundi, AXA IM, BNP Paribas Asset Management, ainsi que notre réaction.
  5. Total SE a argumenté que le dépôt de résolution climat par des actionnaires était illégal. Pourtant, Total SE avait accepté l’année dernière celle des 11 actionnaires qui avait intégré les éléments liés au climat dans une résolution requérant un changement de statuts. Seule la résolution ordinaire sur le climat déposée par TCI en vue de l’assemblée générale de VINCI avait été jugée irrecevable par l’entreprise. La loi n’a pas changé en la matière depuis l’année dernière et Total n’a pas de raison de s’opposer à ce qu’il a accepté l’an passé. Son positionnement vise avant tout à dissuader ses actionnaires de déposer leur propre résolution. Celle-ci leur permettrait non seulement d’exprimer ce qu’ils attendent de Total mais ferait aussi progresser vers une clarification de la loi avec de grandes chances d’aboutir à un renforcement des droits des actionnaires en matière climatique.
  6. Voir le rapport “Total fait du sale: La Finance complice ?”, Reclaim Finance, Greenpeace France, février 2021
  7. Voir le premier épisode de la série documentaire produite par Greenpeace France