STOPPER TOTAL DANS SON EXPANSION

Le 29 mai 2020, 16,8% des actionnaires du géant pétrolier ont voté en faveur de la première résolution climat jamais déposée en France, marquant enfin un réveil des actionnaires sur leur responsabilité à pousser Total vers une profonde transformation de ses activités. L’abstention extrêmement forte d’actionnaires avec 11,12% des droits de vote renforce le désaveu de la stratégie climat adoptée par la major pétrolière et gazière française début mai 2020.

Un an plus tard, la stratégie climat de Total n’a pas évoluée. Reclaim Finance et Greenpeace France ont analysé les engagements climat de la major et publié leur analyse dans un rapport intitulé « Total fait du sale – la Finance complice ? ». Le verdict est clair : loin d’être ambitieuse, l’ambition de neutralité carbone de Total est un écran de fumée qui entretient la confusion dans le but de maintenir le plus longtemps possible un modèle d’expansion des énergies fossiles. En conséquence, les actionnaires vont devoir de nouveau choisir entre agir en cohérence avec leurs engagements climatiques ou soutenir Total de manière indéfectible, quitte à nous mener tous vers la catastrophe climatique.

Reclaim Finance les appelle à déposer une nouvelle résolution climat exigeant de Total l’adoption d’un véritable plan de décarbonation se ses activités et à conditionner leurs soutiens à l’arrêt du développement de nouveaux projets d’énergies fossiles, à commencer par le projet EACOP en Afrique de l’Est, et ceux dans les pétrole et gaz non conventionnels.

Total ne vise pas la neutralité carbone

Son objectif de neutralité carbone au niveau mondial ne concerne que 15% de ses émissions de gaz à effet de serre. Elle concerne uniquement les émissions provenant directement de ses installations (scope 1 et 2) et non celles provenant de l’utilisation des produits énergétiques vendus (scope 3).

En ne s’engageant à atteindre la neutralité carbone sur le scope 3 qu’en Europe, Total ne fait que s’engager à respecter les législations nationales et européennes et s’adapter aux évolutions de marché.

  • Pour rappel, Total SE opère dans 130 pays et « seuls 13 % de la production de Total SE en 2019, et des émissions du scope 3 correspondantes, proviennent d’Europe.»
  • Et surtout, ses émissions hors Europe sont amenées à croître légèrement jusqu’en 2030. Alors, les émissions de CO2e de Total devraient excéder de 200Mt les émissions maximales autorisées pour s’aligner sur une trajectoire à 1,5°C.

Total a aussi l’ambition de réduire de 60% l’intensité carbone de ses produits.

  • Au-delà du fait qu’il ne s’agisse que d’une ambition, il faut en noter sa faiblesse à l’horizon 2030, soit sur la décennie qui nous reste pour opérer les transformations profondes de notre économie de manière à tenir l’objectif de 1,5°C. En effet, Total SE vise une baisse de 15% de son intensité carbone d’ici 2030 par rapport à 2015 – soit une baisse modeste d’environ 1% par an- et de 35% en 2040. La majorité de la baisse se fera donc quand il sera trop tard.
  • La seule condition pour baisser l’intensité carbone de ses produits est de développer plus rapidement des énergies relativement moins carbonées que celles produites antérieurement. C’est le recours à cette métrique qui permet à l’entreprise d’augmenter sa production d’énergies fossiles et donc ses émissions en valeur absolue tout en prétendant se décarboner. Le groupe est ainsi parvenu à baisser son intensité carbone entre 2014 et 2018, alors que, dans le même temps, ses émissions de CO2e progressaient de 8%.

Total vise toujours
l’expansion des énergies fossiles

Total a annoncé vouloir augmenter sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables pour atteindre environ 30 TWh en 2025 – soit près de 8 fois plus que sa production actuelle de 4 twh – et continuer à développer ses capacités brutes de 10 GW/an au-delà.

Cette hausse fulgurante dans les énergies renouvelables reste toutefois à relativiser. Non seulement, Total SE produit aujourd’hui 447 barils d’hydrocarbures pour 1 « baril » d’énergies renouvelables. Mais surtout, alors que le Production Gap Report du PNUE recommande de baisser la production de pétrole et de gaz de 4 et 3% par an d’ici 2030 pour tenir l’objectif de 1,5°C, Total SE – à l’instar des autres majors pétrolières et gazières – prévoit une hausse de sa production d’hydrocarbures.

L’évolution de la production de Total dans les hydrocarbures nous amène vers une augmentation de + de 50% de cette dernière entre 2015 et 2030.

Par ailleurs, après avoir dirigé plus de 90% de ses capex dans les énergies fossiles sur la période 2015-2020, la production de gaz et de pétrole continuera à elle seule à capter près de 80% des investissements entre 2026 et 2030. C’est donc seulement un peu plus de 20% qui seront alloués à la catégorie intitulée “renouvelables et électricité” et qui comprend, outre la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, les centrales à gaz à cycles combinés, le biogaz et la biomasse.

Parmi les projets pétroliers et gaziers de Total en développement se trouvent pas moins de 5 nouveaux projets en Arctique ainsi que le projet EACOP. Ce projet de pipeline est en bonne voie de devenir le DAPL de l’Afrique – en référence au projet de pipeline de pétrole lourd développé en Amérique du Nord et contesté en raisons des lourdes violations des droits des populations autochtones associées à son développement, en plus de ses risques pour le climat et l’environnement.

Total menace ses actionnaires en plus du climat

La politique de Total SE est à contre-courant d’une plus grande régulation climatique et est source de risques pour l’entreprise et ses actionnaires. D’après un rapport de Carbon Tracker publié en novembre 2019, entre 30% et 40% des projets déjà permis ou proposés de Total SE sont incompatibles avec le scénario SDS de l’AIE. L’organisation, réputée pour son approche purement économique des enjeux liés à la transition énergétique et pour avoir popularisé le concept de bulle carbone, indique que Total SE devrait réduire de 35% sa production d’hydrocarbures d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 2019 afin de protéger ses investisseurs du risque de stranded assets.

Afin de duper ses actionnaires et conjuguer le business as usual et l’atteinte d’objectifs de neutralité carbone, Total SE s’est lancé, à l’instar de Shell, BP et Repsol, dans la publication de scénarios climatiques. Nommés « Energy Outlook », ces scénarios décrivent l’évolution du secteur de l’énergie d’ici 2050 selon le géant pétrolier. On y découvre que la major pétrolière mise fortement sur le déploiement à l’échelle industrielle de la capture de CO2 et du recours à des “solutions naturelles” reposant sur la biomasse (afforestation, préservation, management des forêts…) pour absorber les émissions restantes.

Total SE mise aussi sur la compensation mais s’il en fait, avec les projets de capture, un incontournable de sa stratégie climat, il ne précise pas leur rôle respectif dans l’atteinte de ses objectifs de baisse en valeur absolue de ses émissions GES.

Ce tour de passe-passe est dangereux : non seulement, il justifie des émissions supplémentaires qui ne pourront être « supprimées » si les volumes d’émissions négatives projetés n’étaient pas réalisés, mais il ne tient pas non plus compte des autres conséquences environnementales ou humaines propres à ces techniques.

 

Pour une nouvelle résolution climat

Un nombre croissant d’acteurs financiers français et internationaux s’engagent à atteindre la neutralité carbone (net-zero) et à aligner leurs activités avec l’objectif de 1,5°C. Ils ne pourront atteindre leurs objectifs climatiques qu’à condition de pousser Total à s’aligner sur des trajectoires de transition équivalentes. A défaut, ils doivent exclure la major de leurs soutiens. Dans un contexte d’urgence climatique, l’inaction n’est pas une option. S’ils optent pour cette troisième voie, ils doivent se tenir prêts à être jugés par l’Histoire pour leur échec à agir maintenant et pousser le plus gros pollueur du CAC40 vers la sortie des énergies fossiles.

S’ils décident d’engager Total, banques, assureurs et investisseurs doivent demander à Total quels sont ses engagements en matière de réduction de sa production d’hydrocarbures et de baisse en valeur absolue de ses émissions de gaz à effet de serre, sur toutes ses activités (scope 1+2+3). A l’heure actuelle, Total n’en a aucun.

L’année dernière, 83,2% ont voté contre la stratégie climat déposée à l’AG de Total, refusant de briser la tragédie de l’horizon et l’omerta qui entourent le groupe. Leur court-termisme, contraire à la recherche d’une plus forte résilience d’un groupe dont ils sont actionnaires, met en péril leurs propres retours sur investissement. Et surtout, l‘opposition des Amundi, AXA, Natixis et consorts à une résolution qui va dans le sens de l’Histoire a jeté le doute sur la valeur de leurs engagements en matière climatique. A l’instar de BlackRock, ces acteurs parlent et font peu.

En 2021, ils ont l’opportunité d’aligner leurs pratiques avec leurs discours. Total n’ayant pas besoin d’être encouragé à communiquer sur sa stratégie climat, mais ayant besoin d’être confronté à des demandes précises en vue de son alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris, ils doivent privilégier le dépôt d’une nouvelle résolution climat à un Say on Climate.