C’est confirmé, Engie a annoncé que près de la moitié de sa capacité de production d’électricité à partir de charbon située au Chili sera convertie au gaz ou à la biomasse. Une triste nouvelle pour le climat et la biodiversité mais la levée de tout doute sur l’absence de vision stratégique et d’ambition climatique du groupe.

Engie exploite encore actuellement 10 centrales à charbon réparties entre le Portugal, le Maroc, le Chili, le Brésil et le Pérou, pour un total de 4 GW. La science climatique est unanime sur la nécessité de programmer la fermeture de l’ensemble des actifs charbons existants et de décarboner le secteur énergétique dans les plus brefs délais. En février, Engie avait annoncé vouloir sortir du charbon d’ici 2025 dans les pays européens et d’ici 2027 ailleurs dans le monde. Ces dates de sortie du charbon sont cohérentes avec la science, mais le problème est ailleurs, dans le choix de l’alternative proposée par Engie.

Fausse route au Chili

Interviewée sur France Inter en décembre dernier, Claire Waysand, directrice générale par intérim et secrétaire générale du groupe Engie, mentionnait deux options de conversion – la biomasse ou le gaz – pour ses centrales au Chili. Engie a levé le doute aujourd’hui en confirmant que 0,7 GW de sa capacité de production d’électricité au Chili sera convertie au gaz ou à la biomasse d’ici 2025 : les deux centrales construites en 2011 seront converties à la biomasse et celle construite en 2018 sera convertie au gaz. Engie a réaffirmé que les autres 0,8 GW seront fermées comme cela avait déjà été décidé, d’ici 2025 également.

Convertir des centrales au charbon au gaz ou à la biomasse revient à faire une saignée à un malade.

  • La biomasse a un impact sur le climat encore plus mauvais que le charbon et couper des forêts n’est pas une riche idée alors que la biodiversité disparaît à une vitesse sans précédent .
  • Quant au gaz, faut-il rappeler que c’est une énergie fossile composée en majorité de méthane, lequel a un impact sur le climat 85 fois plus important que le CO2 sur une période de 20 ans ? Par ailleurs, quand Engie met en avant les gains permis en termes de baisse des émissions, l’entreprise ne parle en réalité que des émissions à la combustion et ne prend en aucun cas en compte les émissions sur toute la chaine de valeur. C’est faire preuve d’une grande manipulation que ne s’intéresser qu’à la combustion, d’autant plus qu’il devrait s’agir ici de gaz de schiste importé des Etats-Unis ou d’Argentine.

Les renouvelables durables comme le solaire pourraient être une solution pour les centrales au Chili et au Brésil. Mais non, Engie n’apprend pas de ses erreurs et décide de faire les mêmes mauvais choix que lors de la dernière décennie, lorsque l’entreprise s’était engagée dans la construction de trois centrales à charbon rien qu’au Chili. La dernière est entrée en opération en 2018, trois ans après l’adoption de l’Accord de Paris et l’engagement d’Engie de ne plus construire de nouvelles centrales à charbon. Des paroles en l’air ? Il ne s’agissait pas d’un égarement passager, Engie en a mis une autre en opération cette même année au Maroc.

Et ailleurs dans le monde ?

Alors qu’un nombre croissant d’acteurs financiers français, certains engageant Engie dans le cadre du CA100+, appellent les entreprises à adopter des plans détaillés de sortie du secteur du charbon et des stratégies visant un alignement de leurs pratiques avec une trajectoire 1,5°C, Engie distille au compte goutte ces annonces sur le charbon. Encore aujourd’hui, Engie ne donne aucune réponse sur les sources d’approvisionnement de la biomasse et du gaz.

Engie ne précise pas non plus le sort qu’il réserve à ces autres centrales. Seul fait déjà connu et très inquiétant : Engie a fait savoir qu’il souhaitait convertir sa centrale à charbon, de Vado Ligure en Italie. Celle-ci est aujourd’hui à l’arrêt ; entre d’autres termes, il s’agirait plus d’une nouvelle centrale au gaz que d’une conversion. Cela indique aussi qu’Engie ne trouve pas problématique de développer de nouvelles infrastructures gazières au gaz en Europe alors même que nos capacités existantes sont amplement suffisantes et que l’Europe devrait organiser sa sortie du gaz pour des raisons climatiques et économiques. Engie pourrait donc ne pas hésiter à convertir sa centrale au Portugal également au gaz.

Engie a aussi fait savoir qu’il pourrait vendre certaines centrales. Si cela lui permettrait de décarboner son portefeuille, cela n’entraînerait pas de réelles réductions des émissions de CO2e dans le monde réel. Engie a déjà vendu 14 centrales au charbon représentant 54 % de sa capacité (11 356 MW) depuis la COP21.

Enfin, Engie évoque son engagement à contribuer à l’atteinte de la neutralité carbone, omettant que sa stratégie repose actuellement sur un objectif de « 2°C » certifié par le SBTi, alors qu’il nous faut tendre vers un objectif 1,5°C.

Les actionnaires d’Engie doivent réagir au plus vite pour empêcher l’entreprise de s’enfoncer un peu plus dans des fausses solutions et les exposer au risque de stranded assets.

Nous espérons que les actionnaires d’Engie engagés à tout faire pour limiter le réchauffement à 1,5°C condamneront fermement la décision annoncée aujourd’hui par Engie et prendront des sanctions à l’encontre de l’entreprise qui tiendra prochainement son assemblée générale, le 20 mai 2021.

Pour aller plus loin :

Écouter l’interview de Claire Waysand sur France inter dans l’émission spéciale “Climat Chaud Devant”, minutage 00:39:00-00:45:00.

Lire le blogpost “Financer la conversion du charbon en biomasse, est-ce une idée “verte” ?”, Reclaim Finance.