Dans son cinquième Scorecard annuel sur les politiques climatiques des assureurs, la campagne Insure our Future démontre que si les assureurs progressent sur la fin des assurances au secteur du charbon, ils compromettent les efforts visant à atteindre les objectifs climatiques en continuant d’assurer l’expansion pétro-gazière (1).

Les assureurs sont bien placés pour savoir qu’un degré de réchauffement a suffi à démultiplier les vagues de chaleur,de sécheresse, les feux de forêt incontrôlés et des inondations d’une puissance inédite. Plus de 10 millions de personnes ont été déplacées entre septembre 2020 et février 2021. Les assureurs sont aussi bien placés pour savoir que les dégâts liés aux catastrophes naturelles leur ont coûté 42 milliards de dollars rien qu’au premier semestre 2021, leur niveau record depuis 10 ans.

Le Secrétaire général des Nations Unies a qualifié la situation d’alerte rouge pour l’humanité. Pour limiter les dégâts et le réchauffement à moins d’1,5°C, les Etats devraient réduire la production de charbon, pétrole et gaz de 6% par an. Si la production augmente de 2% comme prévu, elle sera deux fois trop élevée d’ici 2030 pour tenir dans le budget carbone qu’il nous reste. Le 1er des impératifs est bien celui-ci : réduire la production d’énergies fossiles et pour commencer, arrêter de la développer. C’était aussi le sens du message du Secrétaire Général des Nations Unies, Guterres, appelant à sonner le glas des énergies fossiles. En septembre, il appelait les assureurs rassemblés au Forum sur le développement de l’assurance que les engagements de neutralité carbone devaient désormais s’appliquer à tous les combustibles fossiles dans leurs portefeuilles de souscription, et non plus seulement au charbon.

Les assureurs, très loin de sonner le glas de l’expansion du pétrole et gaz

Pourtant, sur les 30 assureurs évalués (2), moins de la moitié des assureurs ont actuellement des restrictions sur le pétrole et le gaz. Pour la plupart, les politiques qui existent se limitent aux sables bitumineux et, pour certains, à des engagements concernant les activités en Arctique, faisant l’impasse sur le pétrole et au gaz de schiste ou encore, les forages ultra profonds (3). Au total, seulement trois assureurs au monde – le Français AXA, l’Italien Generali et l’australien Suncorp (4),- ont pris des premiers engagements pour ne plus assurer de nouveaux projets pétroliers et gaziers préalable pour limiter le réchauffement climatique en deçà d’1,5°C selon les récents travaux de l’Agence Internationale de l’Énergie (5).

Le consensus scientifique est pourtant clair : il n’y a aucun moyen d’éviter une catastrophe climatique si nous développons la production de combustibles fossiles. Les assureurs ne peuvent se prétendre leaders sur les questions climatiques tant qu’ils continuent à assurer de nouveaux projets pétroliers et gaziers. De ce point de vue, l’action de seulement quelques acteurs majeurs sur le pétrole et le gaz pourrait avoir un impact significatif. En effet, le marché de l’assurance est très concentré : dix assureurs contrôlent (6) environ 70 % du marché mondial de l’assurance pétrole et gaz.

Les 18,5 milliards USD de primes annuelles que les assureurs reçoivent du pétrole et du gaz ne représentent qu’une goutte d’eau par rapport à leurs revenus globaux, et les incitations financières à agir se multiplient. La banque française Société Générale a indiqué que les assureurs ayant de solides politiques en matière de charbon et d’ESG ajoutent des milliards à leur valeur, et que « réduire l’exposition au pétrole et au gaz » pourrait « débloquer une « prime verte » supplémentaire pour le secteur. »

Même parmi les assureurs qui visent la neutralité carbone

Parmi les membres fondateurs de la Net-Zero Insurance Alliance (NZIA) engagée vers la neutralité carbone d’ici 2050 et rassemblée à la COP26 à Glasgow, on trouve des acteurs majeurs du pétrole et du gaz : AXA, Allianz, Munich Re et Zurich fournissent à eux seuls plus de 20 % de l’ensemble des assurances pétrolières et gazières (7). Allianz, Munich Re et Zurich n’ont toujours pas répondu aux avertissements de l’AIE et des climatologues en annonçant des mesures contre l’expansion. AXA, malgré ses nouveaux engagements vendredi, peut continuer à assurer plus de la moitié des projets d’expansion pétrolière et gazière pendant plusieurs années (8). Les membres de la NZIA ont la responsabilité particulière de prendre les devants en matière de climat – ils peuvent faire mieux qu’AXA en cessant d’assurer les plans d’expansion de l’industrie des énergies fossiles.

Les politiques d’exclusion visant l’industrie du charbon ont démontré que les assureurs ont le pouvoir de contrer des projets climaticides, et d’obtenir des résultats tangibles et rapides. Depuis 2017, 33 assureurs ont mis fin à leur couverture assurantielle pour l’industrie du charbon, contre 23 il y a un an (9). Plus de 50 % du marché mondial de la réassurance refuse désormais d’assurer l’industrie du charbon. Résultat, les entreprises du charbon sont désormais confrontées à une flambée des primes, à une réduction de la couverture et à des recherches plus longues pour trouver une assurance (10).

Des politiques de désinvestissement plus ambitieuses que les politiques d’assurance

SCOR, par exemple, a une politique de désinvestissement parmi les plus strictes en matière de combustibles fossiles, mais est moins bien classé en ce qui concerne la souscription aux combustibles fossiles. C’est également le cas d’AXA qui prévoit des critères plus ambitieux pour ses portefeuilles d’investissement que pour les activités d’assurance. Par exemple, AXA affirme qu’il n’investira plus que dans environ 5% des entreprises productrices de pétrole et gaz listées sur la Global Oil & Gas Exit List. Cependant, côté assurance, AXA se limite à exclure de ses couvertures d’assurance les entreprises significativement exposées au gaz et pétrole de schiste et forages en Arctique (7). Les entreprises sous ces seuils pourront être soutenues, quand bien même elles développent de nouveaux projets.

Des politiques charbon exemplaires en Europe, et en progrès ailleurs

Les assureurs européens continuent de montrer la voie en matière de charbon. Lloyd’s of London, le dernier grand assureur européen à couvrir les nouveaux projets de charbon, a adopté une politique climatique en décembre 2020, bien qu’elle permette de continuer à couvrir les projets de charbon, de sables bitumineux et de l’Arctique jusqu’en 2030. Les assureurs japonais et coréens commencent à suivre l’exemple de l’Europe et ont des politiques plus solides que la plupart des assureurs américains. MS&AD et Tokio Marine sont les premiers assureurs japonais à mettre fin à l’assurance de la plupart des nouveaux projets de charbon. Six assureurs coréens ont mis fin à l’assurance des centrales au charbon, après Samsung Fire and Marine l’année dernière.

Plusieurs bonnes nouvelles :

  • En Europe, le plus grand assureur français, AXA, a abandonné le géant allemand de l’énergie RWE AG en raison de ses activités liées au charbon – refusant même d’assurer ses énergies renouvelables.
  • En Australie, 40 assureurs ont refusé de couvrir la mine de charbon controversée de Carmichael du groupe Adani. L’un des fournisseurs du projet n’a pas pu obtenir d’assurance du tout.
  • Aux États-Unis, l’accès à l’assurance et au financement est devenu le problème numéro un des centrales au charbon du Dakota du Nord. Les primes ont grimpé jusqu’à 100 %, car de moins en moins d’assureurs sont disposés à couvrir l’industrie.

La réassurance par traité – un marché mondial de plus de 500 milliards de dollars – reste une faille majeure dans la sortie des réassureurs du charbon. Alors que de nombreux réassureurs ont adopté des politiques visant à mettre fin à la couverture directe du charbon, seuls Swiss Re et SCOR ont publié des plans visant à éliminer progressivement le charbon de leurs activités de réassurance par traité, tandis que Munich Re et Hannover Re ont annoncé des plans mais n’ont pas encore donné de détails. Sans la réassurance par traité, bon nombre des souscripteurs de charbon restants n’auraient probablement pas la réassurance nécessaire pour couvrir l’industrie.

Les assureurs qui accordent une bouée de sauvetage au charbon sont de plus en plus isolés. AIG, Travelers, Berkshire Hathaway et W.R. Berkeley aux États-Unis, ainsi que Convex et Everest Re aux Bermudes, n’imposent aucune restriction au charbon. AIG se qualifie de « protecteur de l’environnement » mais reste le plus grand assureur au charbon en dehors de la Chine. C’est l’une des seules compagnies encore désireuses et capables d’assurer des projets de plusieurs milliards de dollars, bien que le charbon représente moins de 0,3 % de ses primes pour 2020. Les entreprises américaines qui ont déjà pris des mesures à l’égard du charbon, comme Liberty Mutual, n’ont pas non plus réussi à combler les lacunes restantes dans leurs polices, et aucun de ces assureurs n’a exclu de couvrir la mine de charbon Adani en Australie ou l’oléoduc de sables bitumineux Trans Mountain au Canada.

Notes :

  1. Le rapport Insuring our future : The 2021 Scorecard on Insurance, Fossil Fuels and Climate Change, porte sur 30 des principaux assureurs mondiaux. Il est publié par 26 organisations issues de 14 pays et sera lancé aujourd’hui lors du sommet climatique des Nations unies COP26 à Glasgow.
  2. Les 30 assureurs évalués dans le rapport sont les suivants : AIG, Allianz, Aviva, AXA, Axis Capital, Berkshire Hathaway, Convex, Chubb, Everest, Generali, Hannover Re, HDI Global, Liberty Mutual, Lloyd’s, Mapfre, MS&AD, Munich Re, PICC, Ping An, QBE, Samsung FM, SCOR, Sinosure Sompo Swiss Re, The Hartford, Tokio Marine, Travelers, W.R. Berkley et Zurich
  3. Au total, selon le rapport d’Insure our Future, seulement 13 des 30 assureurs évalués ont mis en place des restrictions sur le pétrole et le gaz. Les 13 en question ont réduit ou supprimé les couvertures assurantielles aux sables bitumineux. 8 d’entre eux ont également mis en place des restrictions sur les forages en région Arctique. 1 seul assureur, AXA, a mis en place des restrictions sur le pétrole et le gaz de schiste.
  4. Vendredi 28 octobre, AXA publiait une nouvelle politique sur le pétrole et le gaz annonçant la fin des couvertures d’assurance aux nouveaux projets pétroliers et gaziers d’ici 2024 pour toutes les entreprises qui ne sont pas engagées dans un plan crédible de transition. D’ici là, AXA peut continuer à assurer plus de 50% de volumes de pétrole et de gaz en cours de développement. En juin 2021, Generali annonçait des engagements à ne plus fournir d’assurance aux nouveaux projets pétroliers et gaziers et en 2020, Suncorp a été le premier assureur à s’engager à cesser de soutenir la production de pétrole et de gaz et à sortir du secteur d’ici 2025.
  5. Le scénario net zero de l’AIE publié en mai, et le World Energy Outlook publié en octobre 2021.
  6. Selon une analyse de Insure our Future publiée en octobre 2020, 10 assureurs contrôlent 70% du marché de l’assurance pétrole et gaz. Parmi eux : AIG, Allianz, AXA XL, Chubb, Liberty Mutual, Munich Re and Zurich.
  7. Données non publiques recueillies par Insure our Future auprès de HTF Market Intelligence Consulting Private Limited
  8. Selon un calcul de Reclaim Finance, les mesures prises par AXA et applicables dès 2022 signifient que AXA ne pourra plus assurer 44% des plans d’expansion pétro-gaziers.
  9. Voir le rapport
  10. Voir le rapport