Communiqué de Presse
Paris, le 2 février 2022 – Portée par un puissant lobbying industriel et soutenue par une alliance de pays pro-gaz et nucléaire, la Commission européenne intègre le gaz fossile et l’énergie nucléaire à la taxonomie durable européenne. Pièce maîtresse de la stratégie de finance durable de l’Union européenne, elle devient ainsi le nouveau standard du greenwashing. En réaction, Reclaim Finance appelle l’ensemble des acteurs financiers français et européens à adopter leurs propres mesures d’exclusion du gaz et du nucléaire.
Publiés aujourd’hui, les actes délégués de la taxonomie entérinent l’intégration du gaz et du nucléaire dans la taxonomie de l’Union européenne, non comme activités “durables” mais en tant qu’ “activités de transition”, pour une durée déterminée et sous conditions (1). Désormais, rejeter cette décision nécessiterait une évolution peu probable du rapport de force entre Etats membres, ou une mobilisation exceptionnelle des eurodéputés (2).
Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance, réagit : “Si la Commission européenne n’a finalement pas osé qualifier le gaz fossile et le nucléaire de “durables”, ces énergies pourront bénéficier des financements dits “alignés avec la taxonomie”, et être ainsi financées par des banques, investisseurs ou Etats qui prétendent contribuer à la transition écologique. La taxonomie devient donc un outil de greenwashing institutionnel, qui ridiculise la volonté européenne de se positionner comme leader de la finance durable.”
La publication des actes délégués clôt une discussion qui divise les Etats membres depuis la recommandation de leur exclusion par le groupe d’experts techniques (TEG) de la Commission, en mars 2020 (3). Les industries gazières et nucléaires ont en amont déployé des efforts de lobbying intensifs. En mobilisant 776 personnes employées dans 182 entreprises et groupes d’intérêts pour une somme de 78 millions d’euros par an, les lobbyistes du gaz ont obtenu plus d’une réunion tous les deux jours avec les fonctionnaires européens, entre janvier 2020 et mai 2021 (4). En parallèle, la fréquence des réunions entre ces mêmes fonctionnaires et les lobbyistes du nucléaire a elle aussi fortement augmenté (5).
L’impact de ce lobbying a été largement renforcé par le soutien d’États prévoyants de développer le gaz et le nucléaire, comme la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque. La France a joué un rôle-clef en s’alliant à ces pays et en soutenant l’inclusion du gaz pour faire de celle du nucléaire sa priorité absolue (6).
A titre de comparaison, la Russie (deuxième producteur de gaz au monde) a exclu le gaz de sa taxonomie durable (7). Les labels verts Greenfin et Nordic Swan Ecolabel excluent le gaz et le nucléaire, et de telles exclusions sont aussi proposées pour l’Ecolabel européen en construction.
Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, souligne : “Une taxonomie alimentée au gaz et au nucléaire ne peut pas guider la décarbonation des flux financiers. Heureusement, des investisseurs l’ont compris et savent qu’ils ne pourront largement convaincre leurs clients de mettre leur argent au service de la transition si les fonds étiquetés durables contiennent du gaz et du nucléaire. Au contraire, ils seront taxés de greenwashing. Nous appelons l’ensemble des acteurs financiers à s’engager à exclure ces deux énergies de tout produit dit “vert” ou “durable”.”
La propre plateforme finance durable de l’Union européenne (8), ainsi que de nombreux professionnels et groupes de la finance durable (dont l’organisation européenne Eurosif) se sont opposés à la proposition d‘inclusion du gaz et du nucléaire, et ont souligné que cette inclusion saperait la confiance dans le nouveau cadre et rendrait son utilisation plus difficile. L’Association européenne des consommateurs (BEUC) a résumé la situation en dénonçant un « greenwashing institutionnel inacceptable ».
Cette position est partagée par un nombre important d’acteurs financiers. L’Institutional Investors Group on Climate Change (IIGCC), un groupe d’investisseurs composé de plus de 370 institutions et gérant plus de 50 000 milliards de dollars d’actifs, s’est opposé à l’inclusion du gaz, affirmant qu’elle « compromettrait la crédibilité de la taxonomie ainsi que l’engagement de l’Union européenne en faveur de la neutralité climatique d’ici à 2050 ». Plusieurs institutions financières ont adopté des positions similaires sur le gaz et/ou le nucléaire, comme Mirova en France, Achmea aux Pays-Bas, ou GLS en Allemagne (9).
Une synthèse de l’acte délégué et une analyse détaillée des critères utilisés pour le gaz fossile et le nucléaire sont disponibles ci-dessous :