En 2019, le Crédit Agricole devenait la première grande banque au monde à exclure les développeurs de charbon et à demander un plan de sortie du secteur aux entreprises qu’elle finance. Mais trois ans plus tard, la banque échoue à appliquer correctement sa politique. Une nouvelle recherche financière de Reclaim Finance révèle que malgré ses engagements, Crédit Agricole continue de financer des entreprises, comme Glencore et Marubeni, qui pourtant, développent activement de nouvelles mines et centrales à charbon à travers le monde. Cette analyse révèle le besoin de contrôle par l’Etat et les régulateurs de l’application concrète des politiques adoptées par les institutions financières, et d’un mécanisme de sanctions à appliquer en cas de violations.

Un pionnier sur le charbon

C’était en juin 2019. Crédit Agricole devenait la première banque internationale à adopter une stratégie climat digne de ce nom, avec des mesures pionnières concernant les restrictions faites à l’industrie du charbon. En excluant par exemple les développeurs de charbon et en demandant aux entreprises financées d’adopter un plan de sortie du secteur, le Crédit Agricole était la première grande institution financière à reconnaître l’urgence d’empêcher l’expansion du secteur du charbon, et de planifier et mettre en œuvre sa sortie.

“Le Groupe s’engage à ne plus travailler avec les entreprises développant ou projetant de développer de nouvelles capacités charbon thermique sur l’ensemble de la chaine de valeur (producteurs, extracteurs, centrales, infrastructures de transport).” Communiqué de presse du 13 juin 2019

Les ONG ont largement salué cette politique, utilisée depuis comme référence au niveau international.

Sauf que, deux ans après l’annonce de cette politique, le passage au crible des transactions du Crédit Agricole (1) fait ressortir plusieurs cas de violation manifeste des mesures annoncées. En cause, des transactions avec plusieurs entreprises qui n’ont pas de plan de sortie répondant aux objectifs du groupe financier, et qui sont avant tout des développeurs de charbon.

Que dit précisément la politique sectorielle du Crédit Agricole

C’est dans les politiques sectorielles sur le charbon adoptées un an après l’annonce de sa stratégie climat que le groupe bancaire définit précisément les mesures à mettre en place pour son activité de banque de financement et d’investissement. Trois politiques sont publiées, concernant respectivement les mines, la production d’électricité et les infrastructures de transport.

Celles-ci prévoyaient une “démarche progressive transitoire sur la période 2020-2021” pour les développeurs de charbon déjà en portefeuille avec :

  • un suivi rapproché dès 2020, avec une première analyse de la trajectoire des entreprises et leur placement dans un “portefeuille sous vigilance” en cas d’absence d’éléments probants;
  • à partir de 2021, la demande explicite de l’adoption d’un plan de sortie du charbon incluant la fin de tout développement.

“Pour la poursuite des services financiers à partir de 2021, la Banque attend de ses clients qu’ils développent et lui communiquent un plan de retrait conforme au calendrier préconisé par la science climatique (2030 pour les pays de l’Union Européenne et l’OCDE, 2040 pour le reste du monde), comprenant l’engagement à ne pas développer de nouveaux projets.” Politique sectorielle du Crédit Agricole, mars 2020.

Ce que le Crédit Agricole n’applique pas

Notre analyse fait ressortir, en 2021, plusieurs transactions à des développeurs de charbon, des violations manifestes aux critères énoncés dans ses politiques :

  • Glencore : Malgré le fait que Glencore prévoit toujours une expansion de 45Mt de charbon par an dans 9 mines en Australie et en Afrique du Sud, ce qui en fait le 9ème développeur de mines de charbon au monde, le Crédit Agricole a participé en février 2021 à une émission d’obligation de plus d’un milliard d’euros et en mars 2021 à un prêt général de plus de 4,5 milliards de dollars au géant minier suisse. Si Glencore s’affiche comme étant dans la voie de la transition, le géant minier ne ferme que les mines arrivant en fin de vie et prévoit bien de continuer à produire du charbon jusqu’après 2050.
  • Marubeni : Bien que Marubeni soit toujours impliquée dans la construction de 3 nouvelles centrales à charbon, Nghi Son 2 au Vietnam, Cirebon 2 en Indonésie et Tokuyama East (TKE3) au Japon, pour un total de 2620 MW, le Crédit Agricole a contribué en février 2021 à un prêt de plus de 500 millions de dollars au géant japonais. Ironie de l’histoire, le Crédit Agricole s’était retiré du financement direct de la centrale de Cirebon 2 début 2017, mais il continue de financer indirectement Marubeni 4 ans après. Si la maison de négoce japonaise s’est engagée à sortir du charbon d’ici 2050, cette sortie est bien trop tardive puisqu’elle intervient 10 ou 20 ans après ce que demandent la science climatique… et le Crédit Agricole dans ses propres politiques.
  • Itochu : Malgré son implication dans le projet hautement controversé de 2000 MW de la centrale à charbon de Batang, en Indonésie, le Crédit Agricole a contribué à un prêt général de 500 millions de dollars à Itochu en juin 2021. Cette entreprise japonaise a bien annoncé sa sortie du secteur du charbon d’ici 2024 mais cette annonce, qui se concrétise par la vente et non la fermeture des actifs, ne concerne que la partie minière de l’entreprise et non la production d’électricité.
  • En+/Rusal : Ce producteur d’aluminium russe prévoit une expansion de 35 Mt de charbon par an dans 5 mines de charbon en Russie, mais le Crédit Agricole a participé à un prêt général de 200 millions de dollars en janvier 2021. (2)

Interrogée sur ces transactions problématiques, la banque verte a indiqué à Reclaim Finance qu’elle les considérait en ligne avec sa politique et qu’elle était “en dialogue constant avec ces clients pour expliquer les attentes du Crédit Agricole et discuter régulièrement de leur stratégie climatique”. Elle indique que la phase transitoire pour les développeurs de charbon se terminait au 31 décembre 2021, et donc que sa demande explicite aux entreprises d’adopter un plan de sortie du secteur incluant l’arrêt du développement « à partir de 2021 » “pour la poursuite des services financiers” devait se comprendre… « à partir de 2022 »!

Pourtant, le fait que toutes ces entreprises n’aient en rien renoncé à ces projets de développement du secteur du charbon, et que leur stratégie de sortie soit encore bien éloignée des impératifs dictés par la science climatique, aurait dû suffire pour les placer dès 2020 dans le “portefeuille sous vigilance” du Crédit Agricole « entraînant la limitation des services financiers aux seuls projets de financement et d’investissement en faveur de la transition énergétique”. Mais il n’en a rien été et Reclaim Finance a donc décidé de réviser la notation de la politique de Crédit Agricole CIB dans le Coal Policy Tool. Crédit Agricole perd plusieurs points et son étoile qui qualifiait de ‘robuste’ sa politique charbon.

Scores du Coal Policy Tool, basés sur 5 critères, pour le Crédit Agricole.

Des violations à la sanction ?

Ce premier exercice de vérification soulève la problématique plus générale de l’application et du respect des politiques volontairement adoptées par les acteurs financiers (3). Reclaim Finance contrôlera dans les prochains mois l’application des politiques charbon des autres grands acteurs financiers français, puis internationaux. Que les violations du Crédit Agricole soient uniques ou l’arbre qui cache la forêt, elles soulignent le besoin de régulation et de sanction. Bruno Le Maire annonçait au Climate Finance Day de 2018 qu’il contraindrait les banques à sortir du charbon si elles ne le faisaient pas réellement.

“Je réunirai donc dans les prochaines semaines les banques, les assureurs, les gestionnaires d’actifs pour qu’ils prennent de nouveaux engagements [et] qu’ils arrêtent définitivement de financer les activités les plus nocives pour le réchauffement climatique, en particulier le charbon […]. Les engagements doivent être précis, les engagements doivent être contrôlés et si jamais ces engagements, sur une base volontaire, définis ensemble, ne sont pas respectés, ils seront rendus contraignants ». Bruno Le Maire, Climate Finance Day 2018

Trois ans après, il est prouvé qu’il est dangereux de s’en remettre totalement aux acteurs financiers pour revoir leurs pratiques de manière à les aligner avec l’objectif international de limiter le réchauffement à 1,5°C. Reclaim Finance appelle donc le gouvernement et les candidats à la Présidentielle à s’engager à encadrer les pratiques des acteurs financiers. En particulier, l’Etat doit interdire le financement de certaines activités, assurer une vérification de l’application des politiques volontaires et sanctionner les acteurs en cas de violation.

Notes :

  1. Reclaim Finance et ses partenaires recherchent chaque année l’ensemble des transactions financières aux entreprises listées de la Global Coal Exit List. La stratégie de Crédit Agricole ayant été adoptée en 2019 et sa politique appliquée en mars 2020, il est désormais possible d’évaluer le degré d’application des critères qui ont été annoncés par le groupe et de s’assurer si celui-ci les a respectés, ignorés ou s’il a joué avec les zones grises de la politique. Seule l’analyse sur les transactions de Crédit Agricole CIB a été faite jusqu’à présent mais Reclaim Finance entend étendre cette approche à d’ autres acteurs financiers au fur et à mesure de l’entrée en application de leurs politiques.
  2. Par ailleurs, En+ prévoit aussi de nouvelles centrales à charbon, mais celles-ci alimenteront directement le groupe, ce qui rentre dans une clause spéciale de la politique du Crédit Agricole qui prévoit l’analyse de ce type d’entreprises “dans un second temps”, sans plus de détails. Aucune clause de ce type n’existe en revanche pour les développeurs de mines de charbon, et la transaction de janvier 2021 apparaît donc bien comme une violation.
  3. Nous ne décrivons ici que des cas de transactions pour lesquelles il est relativement aisée de déterminer s’il s’agit ou non d’une absence d’application d’une politique sectorielle. En revanche, les acteurs financiers adoptent des politiques de plus en plus complexes, au vocabulaire tortueux qui laisse place à l’interprétation et donc à l’arbitraire, quand elles ne sont pas plus simplement truffées d’exceptions.