Alors que les grandes entreprises pétro-gazières européennes sont souvent considérées comme les bonnes élèves du secteur en matière climatique, Reclaim Finance publie une nouvelle analyse (1) démontrant qu’elles n’ont toujours pas véritablement enclenché un processus de transition. Toutes continuent notamment d’investir dans l’ouverture de nouveaux projets d’hydrocarbures ; toutes auront consommé l’intégralité de leur budget carbone 2050 respectif entre 2033 et 2035. Il est temps pour les banques, assureurs et investisseurs de se saisir des résultats de cette recherche et d’exiger de ces entreprises l’adoption d’un vrai plan climat.

Les 6 majors auront dépassé leur budget carbone d’ici 2035 au plus tard

Les six principales entreprises pétrolières et gazières européennes – TotalEnergies, Shell, BP, Eni, Equinor et Repsol – sont souvent considérées comme les “best in class” du secteur des énergies fossiles. Et pourtant, l’analyse de leurs plans de développement et de leurs objectifs de décarbonation des six principales entreprises pétrolières et gazières européennes démontre le manque de crédibilité de leurs plans dit de transition ou plan climat.

En se fondant sur les objectifs et données des entreprises, nous constatons que d’ici à 2050, ces six majors auront chacune émis 32% à 79% de gaz à effet de serre en excès par rapport à ce qu’il leur est permis dans un scénario à 1,5°C (2). Etant donné que leur stratégie à court et moyen terme reste très centrée sur le pétrole et le gaz et conduit à une accumulation rapide de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, elles auront dépassé leur budget carbone d’ici à 2035 au plus tard.

Cap sur l’expansion pétro-gazière

Malgré les récents engagements d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pris par les 6 majors (3), elles dépassent toutes leur budget carbone à court et moyen terme. Toutes continuent de développer de nouveaux projets de production pétrolière et gazière, à contre-courant de la ligne rouge tracée par le scénario Net Zéro de l’AIE (4) de la fin de l’expansion pétro-gazière. TotalEnergies, Shell et BP font même partie des 10 plus importants expansionnistes mondiaux selon la Global Oil and Gas Exit List (5).

Aucun virage stratégique en vue pour aucune des majors. Loin de devenir verts, les investissements à court terme restent orientés à plus de 60% vers les énergies fossiles. Sans surprise donc, en 2030 les renouvelables représenteront moins d’un quart de leur mix énergétique. Les projections de TotalEnergies révèlent une hausse massive de 42,4% dans la production d’hydrocarbures entre 2016 et 2030, qui prend le pas sur la croissance prévue en matière d’énergies renouvelables (moins de 15% du mix énergétique d’ici 2030) (6).

La sortie de la Russie… un tournant pour les majors ?

En réaction à la guerre de Poutine en Ukraine, plusieurs grandes entreprises pétro-gazières ont annoncé sortir de leurs opérations en Russie, notamment BP, ExxonMobil, Shell, Equinor et Eni (7). Ces annonces modifient la structure du marché pétrolier et gazier. BP était particulièrement exposé à travers sa participation de 19,75% dans Rosneft qui représentait un tiers de sa production de pétrole et de gaz en 2021 (8). A moins qu’il ne cherche à compenser son départ par le développement de nouveaux actifs pétro-gaziers ailleurs, BP pourrait atteindre son objectif de baisse de la production d’énergies fossiles de 40% d’ici 2030 comparé à 2019 (9). A la suite de la vente de ses actifs russes, la production de Shell pourrait baisser de 5,6% d’ici 2024 au lieu de stagner (10).

TotalEnergies, également très exposé au pétrole et gaz russe qui représentent 16,3% de sa production mondiale, a annoncé ne plus apporter de capital à de nouveaux projets en Russie (11) mais refuse de se retirer des 4 projets en opération et en développement (12). Le groupe français refuse aussi de céder ses 19,4% du capital de Novatek, deuxième producteur de gaz naturel en Russie. TotalEnergies et Novatek ont notamment des parts dans le projet d’expansion de gaz naturel liquéfié Arctic LNG 2 (13). Alors que de nombreux acteurs financiers prennent des mesures contre les entreprises russes, plus de 75 ONG les appellent aussi à ne plus accorder de nouveaux services financiers à TotalEnergies tant que celle-ci ne s’est pas retirée de Russie (14).

Les énergies fossiles sont à l’origine de nombreux déséquilibres, en générant des conflits et des guerres et en aggravant le réchauffement climatique. Les stratégies climat des plus grandes entreprises pétro-gazières européennes restent très loin d’être alignées avec un scénario +1,5°C. Si les majors européennes continuent d’aggraver la situation en continuant d’investir massivement dans les énergies fossiles, elles dépasseront leur budget carbone bien plus tôt et beaucoup plus. Un grand nombre d’institutions financières, banques, assureurs et investisseurs, ont récemment pris des engagements climat ou ont rejoint les alliances net zéro. Elles ne peuvent continuer à ignorer l’impact de l’expansion pétro-gazière et des plans des majors qui vont à l’encontre de leurs engagements.

Notes :

1. Reclaim Finance met à disposition des banques, investisseurs et assureurs un Tableur Excel rassemblant les données indispensables pour décrypter les stratégies des six entreprises à l’aune des objectifs climatiques. Ce tableur s’accompagne de briefings analysant plus précisément les stratégies et ambitions climat de TotalEnergies, Shell, BP, Eni. L’étude peut être retrouvée sur la page Major Failure.

2. En s’appuyant sur les données et les projections des six entreprises, Reclaim Finance a calculé le volume cumulatif d’émissions de GES émis par l’entreprise d’ici à 2050. Ces chiffres ont ensuite été comparés avec le budget carbone alloué à chacune des six entreprises dans un scénario 1,5°C (issu des modélisations de Transition Pathway Initiative à partir du scénario net zéro de l’Agence Internationale de l’Energie et des émissions de méthane du rapport 1,5°C du GIEC. TPI considère donc que sur une période de 100 ans, le méthane a un potentiel de réchauffement global de 28). Pour plus de détail, la méthodologie est téléchargeable ici.

3.Déclarations des entreprises: BP, Eni, Equinor, Repsol, Shell, TotalEnergies.

4. Agence Internationale de l’Energie, Net Zero by 2050, Mai 2021.

5. Urgewald, Global Oil and Gas Exit List, 2021.

6. En savoir plus dans notre analyse sur TotalEnergies, publiée en Mars 2022.

7. Déclarations des entreprises BP, ExxonMobil, Shell, Equinor and Eni en réaction à la guerre de Poutine en Ukraine

8. La cible de BP es indiquée dans son Rapport Annuel, 2020. Calculs réalisés par Reclaim Finance avec les données de Rystad Ucube Energy. Plus d’informations disponibles sur la production de pétrole et de gaz ainsi que sur le dépassement du budget carbone de BP dans notre company briefing on BP.

9. BP, Strategy for decade of delivery towards net zero ambition, 2020.

10. Calculs réalisés avec les données de Rystad Ucube Energy. Plus d’informations disponibles sur la production de pétrole et de gaz ainsi que sur le dépassement du budget carbone de Shell dans notre company briefing on Shell.

11. Reuters, TotalEnergies exclut de nouveaux projets en Russie, 2022.

12. TotalEnergies détient 19,4% de Novatek et des intérêts dans les actifs Yamal LNG, Kharyaga PSA, Terneftegaz CJSC en opération et l’actif Arctic LNG 2 en développement. Au total, 16,3% de sa production 2021 était d’origine russe.

13. TotalEnergies, Russie : lancement du projet majeur Arctic LNG 2, 2019.

14. La finance appelée à ne plus soutenir les énergies fossiles en Russie, mars 2022.