Le Say on Climate, un objet juridique en débat

Le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris, le HCJP, a récemment publié un avis sur les Say on Climate, ces résolutions climatiques qui visent à soumettre aux votes des actionnaires les plans climat adoptés par les entreprises. Reclaim Finance commente leurs conclusions et revient à cet occasion sur les grands enjeux autour des Say on Climate. 

Le HCJP revient principalement sur les résolutions “Say on Climate” d’origine managériale ou actionnariale (1). Concrètement, il s’agit d’une présentation par l’émetteur de son plan climat et de l’organisation d’un vote sur ce plan en assemblée générale. Ces votes sont jusqu’à présent consultatifs. A noter que ces résolutions se distinguent des résolutions climatiques d’origine actionnariale déposées dans de nombreuses juridictions qui visent non pas à faciliter l’expression des actionnaires sur la qualité des plans climat des émetteurs, mais à demander l’adoption de mesures climatiques plus ou moins spécifiques aux émetteurs.

Le Say on Climate reconnu objet légitime de discussion en Assemblée générale

Les résolutions Say on Climate se développent depuis deux ans, y compris en France. En 2022, plusieurs sociétés françaises y ont eu recours, par exemple TotalEnergies, Engie ou encore Amundi. Deux autres résolutions furent déposées en vue de l’assemblée générale de TotalEnergies : i/ une résolution climatique exigeant de l’entreprise l’adoption de cibles de décarbonation alignées sur l’Accord de Paris, refusée par l’émetteur qui a avancé qu’elle enfreignait la hiérarchie des organes ; ii/ une acceptée par l’émetteur mais retirée par la suite suite à des négociations et accord entre l’émetteur et les actionnaires impliqués et qui demandait à TotalEnergies de s’engager sur un Say on Climate annuel et de publier dans son plan climat un certain nombre d’informations spécifiques.

Le HCJP note que le “conseil d’administration peut proposer aux actionnaires, qui peuvent également le demander en application de l’article L. 225-105 du Code de commerce, d’exprimer dans le cadre d’un vote consultatif leur avis sur la stratégie climatique arrêtée par le conseil d’administration”.

Le risque de Say on Climate insuffisants pour juger de la qualité des plans climat

Toutefois, le HCJP suggère de laisser le conseil d’administration libre de décider d’effectuer ou non un Say on Climate, et le cas échant, de décider de leur contenu, de leur fréquence et des conséquences en cas de vote négatif. Le HCJP s’en tient à préconiser des recommandations de soft law – par les codes de gouvernement d’entreprise (en particulier le Code Afep-Medef et, le cas échéant, Middlenext), l’Association Française de la gestion financière (AFG), et l’AMF – et n’appelle pas à une réglementation de manière à encadrer et normer ces pratiques.

Cela est dommageable étant donné l’urgence climatique et la reconnaissance à travers l’article 29 de l’importance de ce type de mécanisme pour permettre aux investisseurs d’aligner leurs portefeuilles avec une trajectoire de réchauffement acceptable et contribuer aux objectifs climatiques internationaux. Dans ce contexte, le rapport Perrier préconise lui aussi de ”formaliser une exigence systématique d’un « Say on Climate »”. 

Au-delà de leur systématisation par voie réglementaire, il est indispensable de garantir la présence d’informations clés dans les plans climat soumis aux votes. L’argument présenté par le HCJP selon lequel “les réflexions, pratiques et réglementations sur le climat sont [trop] en constante évolution notamment au niveau communautaire et international” pour fixer par voie réglementaire n’est pas fondé. En réalité, de nombreux cadres d’analyse et les années d’expérience, notamment à travers le Climate Action 100+ et les alliances d’acteurs financiers pour l’atteinte de la neutralité carbone, permettent déjà d’identifier 6 critères indispensables pour appréhender un plan climat dans sa globalité (3). Par ailleurs, étant donné la diversité des scénarios disponibles, il est important de garantir une information permettant aux actionnaires de comprendre le degré d’alignement du plan et des mesures spécifiques qu’il contient avec un scénario 1,5°C robuste et réaliste, c’est à dire un scénario avec peu ou pas de dépassement et un recours limité aux émissions négatives.

La compétence des actionnaires à déposer des résolutions environnementales toujours en débat

Le débat sur la recevabilité des résolutions climatiques d’origine actionnariale demeure un débat de fond que cette note ne tranche pas, malgré les apparences que tente de lui donner le HCJP. (4) A noter l’usage du conditionnel, des notes de bas de page qui modèrent le propos et la proposition de l’introduction d’une voie rapide de contentieux, auprès du tribunal de commerce, pour les actionnaires qui se verraient refuser l’inscription d’une résolution à l’ordre du jour. Tout indique la fragilité de la position du HCJP.  Comme le souligne cette note auquel le FIR renvoie dans sa réaction sur le rapport du HCJP, en particulier sa note de bas de page 7 (en écho à un article publié par le  Cercle des administrateurs), le CA « ne peut se faire juge de l’opportunité » d’une résolution déposée par des actionnaires.

A noter enfin que la note indique aussi que “certains souhaitent aller plus loin et proposent de modifier le régime du dépôt de résolutions, notamment en restreignant la capacité des conseils de refuser l’inscription de résolutions demandées par des actionnaires qui rempliraient les conditions de seuils et de délai, au motif que cela favoriserait un dialogue constructif entre les émetteurs et les actionnaires”.

En conclusion, la note du HCJP abonde aux discussions en cours sur la recevabilité des résolutions actionnariales sur le climat. Reclaim Finance appelle le gouvernement à se prononcer sur la compétence des actionnaires à déposer des résolutions environnementales dépassant l’organisation d’un Say on Climate et à réglementer afin de systématiser la pratique annuelle du Say on Climate et à normer son contenu de manière à permettre aux investisseurs d’appréhender pleinement sa qualité à l’aune d’un scénario 1,5°C crédible. Reclaim Finance invite les investisseurs à déposer dans l’intervalle des résolutions visant à exiger des entreprises en portefeuille la publication d’une stratégie climat complète et l’organisation annuelle de deux votes, l’un portant sur le plan et l’autre portant sur son application sur l’année ultérieure. 

Notes :

  1. Voir le site du HCJP. Le HCJP est un think tank technique juridique réunissant professeurs, superviseurs et conseillers juridiques du CAC 40. Son site internet indique que  “créé sous l’impulsion de l’AMF et de la Banque de France, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) réalise, en toute indépendance, des analyses juridiques et les rend publiques. Il est composé d’avocats, d’universitaires et d’autres personnalités qualifiées”. A noter la présence de deux représentants de groupes industriesl français dans le groupe de travail impliqué dans l’écriture de la présente note, incluant le Directeur juridique du groupe TotalEnergies Groupe (Aurélien Hamelle), également membre de la commission des sanctions de l’AMF. Un autre groupe industriel a été consulté, Engie.
  2. Voir la note publiée par le HCJP
  3. Les indicateurs récurrents et fondamentaux sont les 6 suivants : i/ les objectifs de réduction, en valeur absolue et relative, des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur les Scopes 1, 2 et 3 à court, moyen et long termes, couvrant l’ensemble des activités ; ii/ La contribution éventuelle des volumes de GES capturés à l’atteinte de chacun des objectifs de réduction des émissions ; iii/ les approches de compensation carbone et volumes d’émissions compensées qui peuvent être adoptés en complément des objectifs de réduction ; iv/ Le plan de dépenses d’investissements à court et moyen-terme ventilés par activité économique et par orientation entre maintenance et développement des actifs de la Société ; v/ Le plan de dépenses d’exploitation à court et moyen-terme ventilés par activité économique et poste de dépenses ;vi/ Le scénario de référence utilisé pour définir les objectifs climatiques de la société et son articulation avec les connaissances scientifiques disponibles les plus récentes.
  4. Pour des éléments de fond, cf. par ex. Masse (A.), Laffite (O.), Le « Say on Climate » : une solution urgente et pragmatique, 2021 ; Baldon (C.), Les résolutions climatiques au prisme du principe de séparation des pouvoirs au sein de la société anonyme, JCP-E, 2021  .

Lire aussi

2023-02-21T16:35:54+01:00