L’Autorité des marchés financiers se déclare en faveur de la systématisation des Say on Climate

Le 8 mars 2023, à l’occasion de la sortie de l’avis de sa Commission Climat et Finance Durable (CCFD) sur les résolutions climatiques (1), l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié un communiqué (2) incitant les entreprises cotées à soumettre chaque années des résolutions Say on Climate à l’approbation des actionnaires. Tout en laissant au législateur français la responsabilité d’en définir les modalités, l’AMF se positionne aussi en faveur de l’inscription de ces résolutions dans la loi. Reclaim Finance salue une prise de position bienvenue à la veille de la saison des assemblées générales 2023, alors que de nombreuses entreprises cherchent à éviter de rendre des comptes à leurs actionnaires sur leur stratégie climat. Si les déclarations de l’AMF montrent l’importance des demandes Say on Climate des investisseurs, l’intervention du législateur pour obtenir une systématisation de ces résolutions permettant le renforcement du dialogue actionnarial.

Les Say on Climate, une pratique encore peu répandue et non standardisée

Le  Say on Climate est une résolution mise à l’ordre du jour des assemblées générales des entreprises cotées visant à obtenir l’approbation de la stratégie climatique de ces entreprises par leurs actionnaires. Malgré le contexte d’urgence climatique, la pratique du Say on Climate demeure encore peu répandue : en France, en 2022, 10 entreprises ont consulté leurs actionnaires par l’intermédiaire d’une résolution Say on Climate.

De plus, faute de cadre standardisé, la qualité des plans climatiques soumis à l’approbation des actionnaires varie fortement. Pour avoir un intérêt réel, les Say on Climate doivent couvrir plusieurs indicateurs de base permettant de donner une idée de l’ambition de la stratégie définie et de son évolution. La CCFD propose d’ailleurs dans ses recommandations un ensemble d’éléments qui pourraient être exigés dans un Say on Climate.

C’est en vue de garantir l’obtention des informations jugées indispensables pour apprécier la qualité d’un plan climat que les actionnaires se saisissent de la possibilité de dépôt de résolutions climatiques d’origine actionnariale. Par exemple, en 2022, un groupe d’actionnaires a déposé une résolution en vue de l’assemblée générale de TotalEnergies, qui a finalement été retirée à la suite d’un accord trouvé entre l’entreprise et les actionnaires dans lequel TotalEnergies s’engageait à publier les informations demandées dès 2023.

L’AMF favorable à la systématisation des Say on Climate

Malgré tout, le débat perdure tant sur les modalités que sur le contenu de ces consultations. Récemment, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) publiait un avis dans lequel il reconnaissait les Say on Climate comme un objet légitime de discussion en assemblée générale. Il suggérait pourtant de laisser le conseil d’administration libre de décider d’effectuer ou non un Say on Climate, et le cas échant, de décider de leur contenu, de leur fréquence et des conséquences en cas de vote négatif. A l’inverse, début mars, dans la veine d’une prise de position du Forum pour l’Investissement Responsable il y a un an, un groupe de de 46 investisseurs publiaient une tribune (4) appelant les entreprises des secteurs les plus polluants à systématiser la mise à l’ordre du jour de résolutions climatiques lors des assemblées générales, et les pouvoirs publics à poser un cadre légal clair visant à généraliser le Say on Climate et à harmoniser son contenu. C’est dans ce contexte que la CCFD de l’AMF, qui dispose d’un rôle consultatif auprès de l’autorité régulatrice, et que l’AMF se sont exprimés sur les résolutions actionnariales et en particulier les Say on Climate.

La CCFD appelle à l’acceptation large par les conseils d’administration des résolutions climatiques d’origine actionnariale ainsi qu’à une systématisation des Say on Climate qui seraient rendus obligatoires et contraignants. Si l’AMF ne va pas aussi loin dans ses recommandations (5), elle se dit aussi favorable à la présentation annuelle d’un Say on Climate en assemblée générale pour les entreprises cotées, et précise qu’il devra porter sur la stratégie climatique de l’entreprise, et être accompagné de cibles précises.

Comme la CCFD, mais sans en détailler les modalités, l’AMF recommande l’inscription de ces Say on Climate dans la loi. Elle laisse au législateur le soin de définir les contours et modalités des résolutions Say on Climate, notamment concernant le périmètre d’application, la fréquence de présentation des résolutions et leur contenu.

Pour s’emparer des recommandations de l’AMF, le législateur peut s’appuyer sur les travaux de la CCFD. Il est notamment préconisé par la Commission de :

  • Rendre obligatoire le Say on Climate pour toutes les entreprises soumises à la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ;
  • Soumettre le Say on Climate au vote des actionnaires à minima tous les trois ans, ou plus fréquemment si un changement stratégique ou de gouvernance l’oblige ;
  • Faire en sorte que la contestation du plan climat par des actionnaires lors du vote du Say on Climate entraine une prise en compte de leurs préoccupations environnementales et un ajustement de la stratégie de l’entreprise ;
  • Définir un socle d’informations minimum à inclure dans le Say on Climate, incluant notamment les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sur l’ensemble des scopes (1, 2 et 3), les objectifs de réduction des émissions à court, moyen et long terme, et le scénario de référence utilisé pour déterminer les objectifs précédents (6).

Cette prise de position de l’AMF est bienvenue alors que de nombreuses entreprises cherchent à éviter d’avoir à rendre des comptes sur leur stratégie climat lors des assemblées générales. Une systématisation des Say on Climate est une condition sine qua non de l’efficacité du dialogue actionnarial et un gage de la bonne gouvernance des entreprises. Il revient maintenant au législateur d’ancrer l’annualisation des Say on Climate dans la loi et d’y garantir la présence d’indicateurs indispensables pour éviter d’en faire des outils de greenwashing.

Notes :

  1. Commission Climat et Finance Durable de l’AMF, Publication de la Commission Climat et finance durable : résolutions climatiques, Mars 2023, Publication de la Commission Climat et Finance Durable : résolutions climatiques – Mars 2023 (amf-france.org)
  2. AMF, Dialogue actionnarial sur les questions environnementales et climatiques, Dialogue actionnarial sur les questions environnementales et climatiques | AMF (amf-france.org)
  3. Forum pour l’Investissement Responsable, « Say on Climate » 2023 : 47 parties prenantes de l’industrie financière signataires (frenchsif.org)
  4. Concernant l’acceptation large par les conseils d’administration des résolutions climatiques d’origine actionnariale, l’AMF se déclare incompétente pour évaluer la recevabilité des résolutions climatiques d’origine actionnariale, alors que sa Commission souligne qu’il n’est pas optimal de laisser la main au tribunal de commerce pour juger ces litiges et propose donc qu’un conseil d’administration soit contraint de saisir l’AMF pour pouvoir refuser d’inscrire une résolution climatique à l’ordre du jour de son assemblée générale.
  5. La CCFD recommande d’inclure les éléments suivants dans un Say on Climate :
    • Emissions de gaz à effet de serre liées à aux activités de l’entreprise (scope 1, 2 et 3) ainsi que des objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES), en valeur absolue et en intensité pour les scopes 1, 2 et 3 à court terme (2025), moyen terme (2030) et long terme (2040-2050) ;
    • Engagement de parvenir à zéro émission nette au plus tard d’ici 2050, conformément aux efforts mondiaux pour limiter le réchauffement à 1,5 degrés Celsius ;
    • Dépenses d’investissements pour les entreprises non financières, ou les contributions au financement de l’investissement pour les entreprises financières (en valeur et en proportion) et leur répartition par activité et nature (investissement en capacité ou maintenance) ;
    • Dépenses opérationnelles (en valeur et en proportion) et leur répartition par activité ;
    • Scénarios de référence utilisés pour déterminer les objectifs précités ;
    • Evaluation de l’alignement des éléments ci-dessus avec une trajectoire 1,5 degrés Celsius sans dépassement ;
    • Contribution des émissions de GES « capturées » (en volume) à l’atteinte des objectifs ;
    • Explication de la manière dont les « carbon offsets » pourraient être utilisés en complément des objectifs de réduction ;
    • Eléments sur la gouvernance, la stratégie, la gestion des risques, les métriques et objectifs en matière de climat, en ligne avec les standards de la TCFD.

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2023-03-09T18:12:25+01:00