Climat et investissement : la Banque de France montre l’exemple

Paris, le 30 mars 2023 : En annonçant l’exclusion des entreprises développant l’extraction d’hydrocarbures d’ici fin 2024, la Banque de France envoie un signal fort à tous les acteurs financiers. Elle montre qu’engagement et exclusions fonctionnent ensemble, et que les outils d’alignement des portefeuilles doivent être complétés avec des mesures sectorielles immédiates à-même de sécuriser les baisses d’émissions nécessaires. Ainsi, malgré certaines limites méthodologiques (1), Reclaim Finance salue fortement une politique qui fait désormais figure d’exemple. L’ONG appelle maintenant la Banque de France à exporter cette ambition à la politique monétaire européenne.

La Banque de France publie son rapport d’investissement 2022. Ce document retrace l’évolution des portefeuilles non-monétaires de la banque et acte l’augmentation de son ambition climatique.  

La politique d’investissement responsable de la Banque de France concilie désormais l’utilisation d’exclusions sectorielles, un objectif l’alignement global des portefeuilles sur une trajectoire de 1.5°C, une politique d’engagement et de vote, une démarche d’orientations des investissements vers les « solutions », et une volonté de prise en compte des risques climatiques et de biodiversité. 

Quand de nombreux investisseurs se complaisent à opposer les exclusions sectorielles au financement de la transition et aux outils de pilotage de l’alignement de leurs portefeuilles, la nouvelle politique d’investissement de la Banque de France montre qu’une synthèse est possible. Si des limites méthodologiques persistent (1), notamment sur les fonds en gestion passive, cette politique offre un modèle de cohérence dans la prise en compte de l’urgence climatique.

Paul Schreiber, Chargé de campagne Régulation chez Reclaim Finance

La Banque de France fait un pas décisif dans la prise en compte de l’urgence climatique dans ses investissements en annonçant l’exclusion de toute entreprise développant de nouveaux projets d’extraction de pétrole et gaz d’ici fin 2024 (2). Par ailleurs, et comme annoncé dès 2021, la banque achèvera sa sortie du charbon (3) et appliquera des seuils d’exclusion complémentaires sur les hydrocarbures (4) à ce même horizon.

Ces dispositions spécifiques au secteur des énergies fossiles visent à prendre en compte la nécessité scientifique de mettre fin au développement du secteur et de réduire progressivement la consommation de ces énergies afin de limiter le réchauffement climatique à 1.5°C (5). Elles complètent ainsi l’ambition globale d’aligner les portefeuilles d’investissement sur cette même température, et compensent partiellement le fait que cette ambition ne couvre pas les émissions de scope 3 (6).

La Banque de France donne du poids à sa démarche d’engagement : elle vote depuis deux ans contre l’approbation des comptes des entreprises qui développent de nouveaux projets de production de pétrole et gaz, en l’absence de changement de cap elle les exclura d’ici fin 2024. TotalEnergies et les autres géants pétroliers sont prévenus, s’ils ne respectent pas l’impératif scientifique il y aura sanction !

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

Par ailleurs, la Banque de France tient compte de la multiplication des résolutions climatiques via une mise à jour de sa politique de vote. Ainsi, la banque souhaite la publication d’informations extra-financières relatives à la stratégie climatique des entreprises et indique analyser « au cas par cas » le degré d’ambition des plans d’action climat présentés. De plus, elle soutient les résolutions actionnariales visant à réduire les émissions et les risques liés au changement climatique.  

Après l’AMF, la Banque de France le dit : le Say On Climate est une pratique de bonne gouvernance utile aux actionnaires et investisseurs. De plus, les résolutions actionnariales ont un rôle important à jouer pour mettre les entreprises à niveau de l’urgence climatique. Petit bémol, la Banque de France ne nous permet pas encore de suivre l’application de sa politique de vote en publiant ses votes, ni n’indique les critères sur lesquels elle entend se baser pour déterminer si les plans climat sont suffisants ou non.

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

Reclaim Finance note que l’ambition de la politique d’investissement de la Banque de France tranche avec les mesures affichées en matière de politique monétaire. Les entreprises développant de nouveaux projets d’extraction d’hydrocarbures ou de charbon sont toujours acceptées par la Banque Centrale Européenne (BCE) comme collatéraux et au sein des programmes d’achat d’actifs (7), et ne font pas l’objet d’un traitement spécifique en matière de risques (8). De plus, aucune mesure n’a été prise par la BCE pour soutenir la transition européenne (9).  

De la même manière que la Banque de France s’affirme comme leader des banques centrales en matière d’investissement durable, elle doit devenir la locomotive de l’Eurosystème sur le verdissement de la politique monétaire. Concrètement, il faut exclure les développeurs d’énergies fossiles des opérations de l’Eurosystème et – à contrario – contribuer au financement de la transition, notamment via des taux d’intérêts inférieurs pour les activités vertes.

Paul Schreiber, Chargé de campagne Régulation chez Reclaim Finance

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Notes :

  1. Plusieurs limites méthodologiques concernant les politiques sectorielles peuvent être rapidement dépassées :
    • Pour l’application de sa politique sectorielle sur les énergies fossiles, la Banque de France s’appuie sur plusieurs fournisseurs de données dont les analysent ne permettent pas toujours de cibler les entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles. Afin de s’assurer que toutes les principales entreprises développeuses sont exclues, elle devrait compléter ces données par celles de la Global Coal Exit List (GCEL) et Global Oil and Gas Exit List (GOGEL).
    • Une part minoritaire des investissements de la Banque de France (7,6 % des encours totaux d’actions et d’obligations) est réalisée via des fonds externes en gestion passive. La banque indique que ces treize fonds ne permettent pas d’appliquer les filtres et la politique de vote. Pourtant la banque peut demander aux gestionnaires de lui proposer des fonds alignés avec ses propres critères d’exclusions. Si aucun fonds de ce type n’est proposé, la gestion peut être reprise par la filiale BDF gestion.
  2. Au-delà de la politique sectorielle, plusieurs limites doivent être notées, bien qu’elles soient plus difficilement dépassables à très court terme.
    • L’évaluation de l’alignement des portefeuilles est basée uniquement sur les émissions de scope 1 et 2 et évaluée via une méthodologie SBTi imparfaite. Afin de pallier ce problème, la Banque de France peut s’appuyer sur des analyses effectuées sur les plans de transition d’entreprises financées, comme celles du CA100+ benchmark.
    • L’évaluation des risques climatiques est globalement reconnue comme très insuffisante par les régulateurs financiers. Elle ne permet notamment pas de prendre en compte des cas de risques extrêmes ou le dépassement de « tipping points » climatiques.

  3. Enfin, la répartition des financements « verts » de la Banque de France – hors obligations souveraines – n’est pas clair et cette qualification repose notamment sur l’investissement dans certains fonds labellisés dont les critères restent très insuffisants, comme le label ISR.

  4. La Banque de France ne publie pas d’indicateurs précis sur les titres d’entreprise des hydrocarbures détenues. Cependant, elle calcule une « part brune » de ses actifs afin d’identifier son exposition au risque de transition qui correspond à une exposition aux énergies fossiles. Elle indique que « l’exposition aux énergies fossiles moyenne de la poche actions du portefeuille de fonds propres est de 0,45 % du chiffre d’affaires, contre 0,29 % pour l’indice de référence », et que, « l’exposition moyenne aux énergies fossiles de la poche actions du portefeuille d’engagements de retraite est de 0,86 %, contre 0,90 % pour l’indice de référence ».
  5. Depuis 2021, le seuil d’exclusion appliqué par la Banque de France pour les entreprises impliquées dans l’extraction et la production d’électricité à partir de charbon se situe à 2 % du chiffre d’affaires. En 2024, ce seuil passera donc à 0 %. Ce changement marquera la sortie de la Banque de France du secteur, conformément à ses annonces de 2021 qui incluaient notamment une démarche d’engagement en vue de l’adoption de plans de sortie du secteur par les entreprises présentes aux portefeuilles. La Banque de France indique que : « Au 30 novembre 2022, le portefeuille de fonds propres contient une seule entreprise impliquée dans le charbon thermique et le portefeuille d’engagements de retraite y est exposé à hauteur de 0,3 % des encours de sa poche actions ».
  6. La Banque de France appliquera d’ici fin 2024 les seuils d’exclusions des hydrocarbures du « Paris Aligned Benchmark » (PAB) européen, soit 10% du chiffre d’affaires pour le pétrole, et 50% pour le gaz.
  7. La Banque de France prévoit « d’aligner la poche actions sur une trajectoire de 1,5 °C avec un horizon fixé à fin 2023 pour le portefeuille dédié aux fonds propres et les actions européennes adossées aux engagements de retraite, puis à fin 2025 pour l’ensemble des actions adossées aux engagements de retraite ».
  8. L’alignement de la Banque de France sur une trajectoire de température est uniquement calculé sur la base des données du prestataire S & P Global Sustainable1 qui couvrent uniquement les émissions de scope 1 et 2. Par ailleurs, le prestataire compare les trajectoires d’émission des entreprises à une trajectoire théorique basée sur les méthodologies SBTi qui reposent sur des scénarios pour l’instant non alignés avec une trajectoire de 1.5°C avec peu ou pas de dépassement.
  9. La stratégie climat de la BCE vise l’alignement des achats d’actifs d’entreprises sur les objectifs climatiques européens. Cependant, les critères utilisés pour aligner les achats d’actifs – appliqués depuis octobre 2022 – n’excluent pas les entreprises développant des projets d’extraction. Surtout, aucune exclusion de ce type n’est envisagée pour les collatéraux, sur lesquels la BCE prévoit simplement d’intégrer les risques climatiques à partir de 2024. Ces éléments sont notamment expliqués dans un briefing de Reclaim Finance à destination des journalistes.
  10. Aujourd’hui, la réglementation et régulation prudentielle ne tient pas compte des risques liés aux entreprises des énergies fossiles. Les risques liés à la détention d’actifs liés au secteur sont pourtant clairement établis, comme le montrent les travaux de Finance Watch. Dans son rapport, la Banque de France choisit d’ailleurs d’utiliser son exposition aux entreprises du secteur comme un proxy pour son exposition aux risques de transition.
  11. La stratégie climat de la BCE n’intègre aucune mesure permettant de soutenir le financement de la transition européenne. Une coalition d’ONGs – dont Reclaim Finance – demande notamment à la BCE de mettre en place des taux différenciés permettant de favoriser la rénovation énergétique.

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2023-03-31T09:10:18+02:00