En France, la finance dite « durable » est souvent incarnée pour les épargnants par le label Investissement socialement responsable (ISR). Il y a un mois, le Comité du label publiait ses recommandations à l’Etat sur son évolution, la crédibilité du label étant affectée depuis des années par un faible niveau d’exigences couplé à une absence de transparence sur le contenu des fonds labellisés. Si dans les grandes lignes, ces recommandations reconnaissent bien le besoin de renforcer les critères du label, leur définition précise est repoussée à plus tard et laissée entre les mains de groupes de travail dont la composition n’est pas publique. Le risque : une complexification du processus favorable à une dilution des responsabilités et – in fine – une non prise en compte des éléments scientifiques disponibles. 

Reclaim Finance publie ses recommandations notamment sur les points suivants: l’intégration dans le label de la notion de trajectoire climat des entreprises (GT 3), les actifs à exclure du label (GT 4), les exigences sur l’engagement actionnarial (GT 5).

Des critères pour stopper l’expansion des énergies fossiles (GT 3, 4 et 5)

Le nouveau référentiel doit impérativement prévoir l’exclusion des entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers et de tout projet lié au charbon afin de ne pas faire du label un outil d’aggravation de la catastrophe climatique. Ces nouveaux projets sont en effet incompatibles avec l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 suivant une trajectoire 1,5°C. Si les recommandations actuelles prévoient bien d’introduire des exclusions sur le charbon et le pétrole et gaz non conventionnel, la notion d’expansion y est complètement absente. Idem pour le pétrole et le gaz conventionnel, ou l’on parle de se fixer des trajectoires de transition et d’exiger des entreprises dans les fonds qu’elles adoptent des plans de transition “crédibles”, sans les définir (1).

Nous recommandons de : 

  • Exclure les entreprises qui tirent plus de 5% de leurs revenus et/ou production d’électricité du charbon (2) ainsi que celles qui développent de nouveaux projets dans le secteur (3).
  • Bien définir les pétrole et gaz non conventionnels, en repartant de la définition soutenue par le comité scientifique et d’expertise de l’Observatoire de la finance durable (4), et identifier les entreprises du secteur non-conventionnel à partir de la part de la production de pétrole et de gaz non conventionnels dans la production totale d’hydrocarbures, et non simplement à partir de leur part dans les revenus totaux, de manière à couvrir correctement les entreprises intégrées (5).
  • Prévoir l’exclusion des entreprises qui développent de nouveaux projets de production pétrolière et gazière (dans les secteurs conventionnels et non conventionnels). C’est ici que l’engagement actionnarial doit entrer en jeu, mais pas n’importe comment. Un engagement efficace est basé sur des demandes publiques et précises et il est délimité dans le temps. Le référentiel du label doit prévoir l’exclusion en 2024 des entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers (6). Cette exclusion annoncée à l’avance favoriserait l’engagement des entreprises pendant deux ans afin de les pousser à renoncer à leurs projets d’expansion (7).

Un critère pour exiger des entreprises des plans de transition crédibles (GT 3)

Au-delà de l’exclusion des activités particulièrement néfastes, le label ISR se doit de contribuer à la transition globale de l’économie. Les entreprises financées doivent accepter et préparer cette transition. Ainsi, le label devrait explicitement exiger dans son référentiel que toute entreprise adopte d’ici 2024 un plan de transition détaillé. A partir de cette date, l’ensemble des entreprises présentes dans les fonds ISR auraient donc une stratégie d’alignement. Notons que la mise en œuvre de cette obligation est largement cohérente avec la Corporate Sustainability Reporting Directive européenne et viendrait surtout en renforcer l’application.

Ainsi :

  1. Les plans détaillés doivent notamment comprendre : i) des cibles de baisse des émissions en valeur absolue (scope 1 à 3) à court (2025), moyen (2030) et long terme (2040 et 2050) ; ii) un engagement à aligner les dépenses d’investissement et les activités de lobbying sur cet objectif, et ; iii) une présentation du scénario 1.5°C avec peu/pas de dépassement (“no/low overshot”) et un volume limité d’émissions négatives et des hypothèses (émissions compensées, capturées, etc.) sur lesquels ces cibles s’appuient ; (iv) des engagements de sortie et des cibles de décarbonation concernant les activités particulièrement néfastes à l’environnement et au climat, comme l’exploitation et le transport des énergies ou la production d’électricité à partir de ces énergies, les activités liées à la déforestation, et les activités très émettrices de gaz à effet de serre (notamment la production d’acier et de béton).
  2. Les cibles de réduction d’émissions des entreprises précitées doivent permettre une diminution d’au moins 50% d’ici 2030 et l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 au plus tard.
  3. Pour les entreprises impliquées dans le secteur des énergies fossiles, les engagements et cibles devraient  notamment comprendre un calendrier de sortie du secteur, une trajectoire de diminution de leur production alignée sur une trajectoire de 1.5°C et des informations détaillées sur la répartition des investissements entre différents types d’énergies. De la même manière, les acteurs financiers devraient adopter un calendrier pour mettre fin à tous services financiers aux énergies fossiles et couper leurs soutiens aux entreprises qui les développent au plus tard en 2024.

Notes :

  1. Il sera pourtant crucial de préciser qu’une entreprise impliquée dans des activités d’expansion fossile ne peut être qualifiée d’entreprise en transition ou compatible avec les trajectoires, fondées sur la science, dont les acteurs doivent se doter.
  2. Nous recommandons également d’exclure les entreprises qui produisent plus de 10 Mt de charbon par an, ainsi que les entreprises qui opèrent ou possèdent plus de 5 GW de capacité de production d’électricité issue du charbon installée.
  3. Nouveaux projets de mines, infrastructures et centrales à charbon
  4. Ou a minima de celle utilisée par la Global Oil & Gas Exit List d’Urgewald, déjà utilisée par 22 acteurs financiers français.
  5. Pour être crédible, le label devra assurer a minima l’adoption d’un seuil fondé sur la part des non conventionnels dans la production totale d’hydrocarbures (20%), auquel il sera possible de rajouter un autre critère d’exclusion fondé sur leur part dans le chiffre d’affaires (5% maximum). En effet, se contenter d’une exclusion fondée sur le chiffre d’affaires tiré de la production de pétrole et gaz non conventionnels nuirait à l’objectif recherché. Certains des plus gros producteurs d’hydrocarbures non conventionnels, parmi lesquels des entreprises qui ont les plus fortes prévisions de croissance dans ces secteurs, n’en tirent qu’une faible partie de leur chiffre d’affaires.
  6. Ainsi, à partir de 2024, un fond ne sera plus labellisable ISR s’il soutient le développement de la production d’énergies fossiles.
  7. Afin d’augmenter la crédibilité des activités d’engagement, le référentiel pourrait prévoir, pour les fonds obligations, une exclusion immédiate (ou dès 2023) de ces entreprises, de manière à éviter que les fonds labellisés aillent soutenir directement l’expansion fossile en étant liés à des émissions d’obligations.