Sommet pour un nouveau pacte financier mondial : cessez de financer les énergies fossiles

Le gouvernement français accueille la semaine prochaine un sommet mondial avec pour objectif ambitieux de parvenir à un « nouveau pacte financier mondial ». Bien que ce niveau d’ambition puisse être exagéré, le sommet a le potentiel de renforcer l’élan derrière des mécanismes créatifs pour générer des fonds destinés à l’atténuation, à l’adaptation et aux pertes liées au climat, notamment des taxes sur les combustibles fossiles, l’aviation et la navigation maritime. Les discussions sur le rôle de la finance privée devraient se concentrer sur la nécessité de cesser de financer de nouvelles énergies fossiles, ainsi que sur les mécanismes pour attirer des financements pour la transition énergétique.

Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tiendra à Paris les 22 et 23 juin. Le président français Emmanuel Macron a invité les dirigeants du monde entier avec pour objectif de se mettre d’accord sur la manière de restructurer le système financier mondial et de résoudre les inégalités, les crises du climat et de la biodiversité, ainsi que l’endettement croissant des pays du Sud (1).

Promesses non tenues, dettes croissantes

Et il y aura beaucoup à dire en un jour et demi. Les chances, déjà faibles, de voir le sommet aboutir se sont encore réduites, étant donné que peu de dirigeants mondiaux importants ont accepté l’invitation du président français. Pourtant, s’il est peu probable qu’un nouveau grand accord mondial voie le jour, il reste possible de se mettre d’accord sur de nouveaux principes et mécanismes de financement de la lutte contre le changement climatique et de créer un certain élan politique en leur faveur.

Les gouvernements du Nord se sont toujours abstenus de s’engager à fournir au Sud un financement climatique d’une ampleur suffisante au regard de ses besoins considérables et de la responsabilité du Nord en raison de ses émissions historiques et de sa capacité à payer. Et même lorsque des engagements ont été pris – notamment la promesse faite lors de la conférence de Copenhague en 2009 de fournir 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire – ils n’ont pas été respectés. Oxfam estime que la valeur réelle des flux financiers Nord-Sud spécifiquement destinés à l’action climatique en 2020 s’élevait tout au plus à 24,5 milliards de dollars (3).

Le chiffre de 100 milliards de dollars est le résultat d’une négociation politique et n’est pas basé sur un calcul des besoins réels en matière d’atténuation (c’est-à-dire de réduction des émissions) et d’adaptation (4). Les calculs basés sur les besoins produisent des chiffres élevés – près de 1 000 milliards de dollars par an selon le Secrétaire exécutif de la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique, Simon Stiell, soit 10 fois le chiffre de la conférence de Copenhague (5). Si l’on ajoute les estimations relatives au financement adéquat du Fonds pour les pertes et dommages convenu lors de la COP27 l’année dernière, le besoin total de financement pour le climat d’ici 2030 pourrait s’élever à 1 700 milliards de dollars (6).

Ces statistiques indiquent que le financement de la lutte contre le changement climatique en 2020 pourrait n’avoir représenté que 1,4 % de ce qui pourrait être nécessaire en 2030. Et bien que ce chiffre soit bas, la réalité est encore pire : la plupart des financements pour le climat sont accordés sous forme de prêts, ce qui aggrave la situation de nombreux pays déjà très endettés (7).

Taxer les énergies fossiles, ne pas les subventionner

Ce triste calcul montre à quel point il est urgent de mettre au point de nouveaux mécanismes audacieux pour générer un financement mondial de la lutte contre le changement climatique. Le sommet peut jouer un rôle utile dans la construction d’un soutien à de tels mécanismes. Avant sa tenue, le gouvernement français a proposé une taxe mondiale sur les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport maritime (8). De son coté, une coalition d’organisations de défense de la justice climatique appelle les gouvernements présents au sommet à soutenir une taxe mondiale sur les entreprises des énergies fossiles (9). Le site web du sommet propose ces deux mécanismes, ainsi que des taxes sur les vols aériens et les transactions financières.   

En théorie, de telles taxes « pollueur-payeur » pourraient rapporter des sommes considérables, de l’ordre de 600 milliards de dollars par an selon une étude (10). Les 423 milliards de dollars actuellement dépensés pour subventionner les énergies fossiles constituent une autre source évidente de financement (11).  

L’angle mort de la finance privée

À l’exception d’une brève explosion d’intérêt autour de la COP28 à Glasgow, le financement privé est passé inaperçu lors des COP. Glasgow a été l’exception en raison du lancement de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) et des affirmations plutôt trompeuses selon lesquelles cette alliance avait rassemblé 130 000 milliards de dollars de capitaux privés pour financer la transition (ce chiffre correspondait au total des actifs détenus et gérés par les 450 investisseurs, banques et assureurs de l’alliance, et n’avait que peu de rapport avec le montant qui serait disponible pour le financement mondial de la lutte contre le changement climatique) (12).

Il y a de bonnes raisons pour que le financement privé joue un rôle de second plan par rapport au financement public dans les négociations sur le climat, étant donné les possibilités limitées pour les banques commerciales et les investisseurs de faire des bénéfices en finançant les pertes et dommages ou la plupart des mesures d’adaptation. Le financement privé est à l’ordre du jour à Paris, mais il n’est qu’un des six thèmes principaux et ne se concentre qu’en partie sur les projets énergétiques.

Cependant, le financement privé a un rôle important à jouer pour répondre aux énormes besoins de financement non satisfaits en matière d’énergie durable et de technologies de transition dans les pays du Sud. Les investissements dans les “énergies propres” ont récemment connu un essor considérable, mais moins de 10 % de leur croissance depuis 2021 ont été réalisés en dehors de la Chine et des économies développées (13). L’un des principaux problèmes réside dans le fait qu’en raison des risques élevés perçus, le coût du capital pour les développeurs d’énergies renouvelables dans les pays en développement est beaucoup plus élevé que dans les pays riches. En Afrique, les investisseurs exigent généralement un taux de rendement deux fois plus élevé pour les projets solaires et éoliens qu’en Europe (14).

Il est décevant de constater que le sommet n’abordera guère la question de savoir comment rendre le financement privé abordable pour les énergies renouvelables dans les pays en développement. Mais le fait que l’ordre du jour de la conférence n’aborde pas les sommes colossales que les banques et les investisseurs continuent d’investir dans les énergies fossiles dans les pays du Sud constitue une lacune encore plus importante.

Tout comme il est absurde que les gouvernements subventionnent à la fois les énergies fossiles et les technologies censées les remplacer, il est absurde d’essayer de développer des instruments financiers complexes pour attirer les investissements privés dans les énergies renouvelables dans des économies perçues comme étant à haut risque, tout en finançant l’expansion des énergies fossiles dans ces pays. Tout nouveau pacte financier mondial devrait inclure une version climatique du serment d’Hippocrate pour les banques privées et les investisseurs – d’abord ne pas nuire en retirant les services financiers des énergies fossiles.

Notes:

  1. https://nouveaupactefinancier.org/  
  2. Climate Home News, Rich world’s leaders fail to commit to Paris global financing summit, 8 juin 2023  
  3. Oxfam, Climate Finance Shadow Report 2023, p.3, Mai 2023  
  4. Guardian, US bids to break Copenhagen deadlock for $100bn climate fund, 17 Decembre 2009  
  5. UN Climate Change, Why Climate Finance Matters: Remarks by UN Climate Change Executive Secretary Simon Stiell, 9 mai 2023  
  6. Heinrich Böll Stiftung, The Loss and Damage Finance Landscape, p.6, 16 mai 2023  
  7. Oxfam, Climate Finance Shadow Report 2023, p.3, Mai 2023. Une partie du financement de la lutte contre le changement climatique est assurée par le reclassement ou la division de fonds provenant de programmes d’aide existants. 
  8. Financial Times, France seeks to rally support for emissions levy on shipping, 12 févrierF23  
  9. https://agir.greenvoice.fr/petitions/promoted/taxons-les-super-pollueurs  
  10. Heinrich Böll Stiftung, The Loss and Damage Finance Landscape, p.46, 16 mai 2023. Un impôt mondial sur la fortune pourrait potentiellement rapporter beaucoup plus, même si la politique à suivre pour parvenir à un accord sur un tel impôt est décourageante. 
  11. Heinrich Böll Stiftung, The Loss and Damage Finance Landscape, p.42, 16 mai 2023. Le sommet a également pour but de poursuivre les discussions en cours sur les sources multilatérales potentielles de financement supplémentaire pour le climat, notamment en ce qui concerne la réforme de la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales de développement, et l’augmentation des ressources facilitées par le Fonds monétaire international. (Voir https://www.foreign.gov.bb/the-2022-barbados-agenda/ 
  12.  Washington Post, Financial Firms announce $130 trillion in commitments for climate transition, but practical questions loom, 3 novembre2021  
  13. IEA, World Energy Investment 2023, p.16, Mai 2023  
  14. IRENA, The cost of financing for renewable power, p.4, Mai 2023 

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2023-09-11T11:29:50+02:00