C’était en juillet 2019 : les acteurs de la place financière de Paris juraient la main sur le cœur qu’ils allaient adopter des politiques pour sortir du secteur du charbon (1). Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, menaçait quelques mois plus tôt de légiférer si ces engagements n’étaient pas respectés. Quatre ans plus tard, la dynamique est en panne et le nombre de politiques robustes stagne, mais le gouvernement n’agit pas en conséquence. Au contraire, il reste indifférent aux recommandations des régulateurs français inquiets face aux insuffisances sur le charbon et plus largement sur les fossiles. A défaut de pouvoir se suppléer au politique et imposer l’adoption de robustes politiques climatiques, les régulateurs doivent garantir l’absence de greenwashing ainsi que l’intégrité et la pleine application des engagements déjà pris.
Début juillet 2023, le bilan des engagements des acteurs de la place de Paris est le suivant (2) :
- 55 acteurs financiers ont adopté une politique sectorielle sur le charbon – les derniers en date étant Agirc-Arrco et Capital Fund Management (CFM) – moins de la moitié en ont une réellement robuste, et certaines politiques ont même été affaiblies, comme celle d’Amundi qui a assoupli ses critères d’exclusion des développeurs de charbon ;
- Parmi les acteurs de premier plan, Natixis Investment Managers reste le dernier à n’avoir rien adopté au niveau du groupe, alors même que sa filiale Ostrum AM a une politique robuste de sortie du charbon (3).
La qualité des politiques reste problématique pour de nombreuses raisons :
- 10 acteurs n’ont toujours pas adopté d’exclusion spécifique des entreprises qui prévoient de se développer dans le secteur du charbon ;
- 7 acteurs n’ont toujours pas adopté de date de sortie du secteur, comme Tikehau Capital. Et de nombreux acteurs financiers français ne font rien pour s’assurer que les entreprises du secteur encore dans leur portefeuille adoptent un plan de sortie crédible du charbon.
Des développeurs de charbon toujours soutenus
Les 503 entreprises répertoriées par Urgewald qui prévoient toujours de développer de nouvelles mines, centrales ou infrastructures charbon, en totale contradiction avec les préconisations scientifiques visant à limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, auraient dû être exclues depuis longtemps par les acteurs de la place de Paris (4). Pourtant, nombre d’entre elles, comme Glencore, Adani ou Yankuang Energy Group, peuvent toujours être soutenues par les acteurs financiers français, et ce pour différentes raisons (5).
Si certains acteurs n’ont aucune politique sectorielle sur le charbon (Natixis IM), ou de critère excluant spécifiquement tous les développeurs de charbon (Carmignac et Comgest (6)), d’autres ne garantissent pas l’exclusion de l’expansion charbon à travers l’ensemble de leurs services (les traités de réassurance pour SCOR (7)) ou de leurs actifs sous gestion. C’est par exemple le cas d’Amundi dont la politique sur le charbon ne couvre qu’environ 30% de ses actifs gérés passivement. Ce problème, à raison souligné par l’AMF et l’ACPR, a un impact majeur sur le climat. En effet, en répliquant automatiquement le contenu d’indices, ces fonds continuent d’investir dans des nouvelles obligations émises par des entreprises fossiles, y compris pour financer le développement de nouveaux projets (8). Amundi détenait ainsi plus de 400 millions de dollars d’actifs de développeurs de charbon en janvier 2023 d’après les dernières données disponibles (8).
D’autres failles existent, concernant les modalités d’application des exclusions portant sur les développeurs. L’une d’entre elles, présente dans la politique de BNP Paribas pour ses activités bancaires, réside dans l’exclusion des filiales qui développent du charbon, mais pas de leur maison-mère, qui peut pourtant apporter une solidarité financière à l’ensemble des entités du groupe.
Des demandes de plan de sortie encore insuffisantes
Au-delà de l’exclusion des développeurs de charbon, les acteurs financiers français ont un rôle important à jouer pour catalyser une sortie responsable du secteur charbon d’ici 2030 en Europe et dans l’OCDE, et d’ici 2040 dans le reste du monde. Il leur faut pour cela demander des plans de sortie aux entreprises toujours en portefeuille incluant plusieurs critères clés afin d’en assurer la qualité, par exemple pour s’assurer que les centrales existantes soient fermées progressivement selon un calendrier détaillé plutôt que vendues ou converties au gaz ou à la biomasse (9). Or, force est de constater que ces demandes restent encore trop parcellaires pour répondre aux enjeux, comme le montre notre analyse critère par critère ci-dessous.
Il reste donc aux acteurs financiers français à demander clairement aux entreprises du secteur d’adopter un plan de sortie complet et crédible qui détaillent la manière dont elles comptent fermer leurs actifs dans les délais, dans le respect de l’environnement et des droits humains.
Analyse des critères des demandes de plans de sortie
Critère de la demande | Nombre d’acteurs financiers français ayant adopté ce critère /55 | Exemples |
---|---|---|
Demande de plan de sortie du secteur d’ici 2030/2040 | 29 | CDC, CNP Assurance, AXA |
Demande de plan de sortie obligatoire sous peine d’exclusion | 15 | Ostrum AM, Ircantec |
Demande de plan de sortie mentionnant la fermeture des centrales existantes sans caractère obligatoire | 12 | AXA IM, EDRAM, OFI Invest AM |
Demande de plan de sortie imposant la fermeture des centrales existantes et non leur revente | 6 | Crédit Mutuel, Ircantec, Meeschaert, La Banque Postale AM |
Demande de plan de sortie imposant la fermeture des centrales existantes et non leur conversion au gaz ou à la biomasse | 0 | – |
Demande de plan de sortie imposant des dates de fermeture détaillées par actif | 6 | Crédit Mutuel, La Banque Postale, Meeschaert, Sycomore |
Demande de plan de sortie incluant des considérations environnementales et/ou sociales | 7 | CDC, Ircantec, Meeschaert, La Banque Postale AM |
4 ans après l’engagement solennel de la Place de Paris à sortir du charbon, la majorité des acteurs français reste encore loin du compte. Nombre d’entre eux continuent de soutenir les pires entreprises du secteur et presque aucun ne s’est doté des mesures permettant de pousser celles demeurant dans leurs portefeuilles à adopter des plans assurant une sortie responsable du secteur.
Ces constats ne sont pas nouveaux. Ils ont été dressés à plusieurs reprises par les régulateurs et apparaissent aussi dans les données de l’Observatoire de la finance durable. Le ministre Bruno Le Maire ne donne pourtant aucun signe laissant entrevoir un possible durcissement réglementaire. Enième symptôme de la désertion du gouvernement sur ces sujets, il s’agit là aussi d’une promesse non tenue. Reclaim Finance alerte sur la situation et appelle l’ensemble des parties prenantes à agir pour contraindre les acteurs financiers à revoir leurs pratiques de manière à tenir l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C. Après avoir formulé des préconisations, les régulateurs doivent notamment sanctionner ceux dont les pratiques ne permettent pas le plein respect des engagements pris.