Quand, dans son discours au Climate Finance Day, Bruno Le Maire faisait l’impasse sur sa demande de sortie des hydrocarbures non conventionnels formulée l’an dernier, l’ACPR et l’AMF publiaient leur pré-rapport annuel posant leurs exigences. Les régulateurs rappellent le rôle des énergies fossiles dans la crise climatique et – tenant compte des récentes conclusions de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) – appellent la Place de Paris à “clarifier et renforcer” ses engagements en la matière. Tour d’horizon.

Un constat partagé

Les régulateurs financiers français avaient déjà analysé en 2020 les politiques charbon adoptées par les acteurs financiers français, et émis une batterie de recommandations pertinentes.

Un an après, la nouvelle analyse de l’ACPR et de l’AMF sur les politiques charbon et sur celles premières politiques adoptées sur le secteur du pétrole et du gaz rejoint celle de Reclaim Finance.

Ainsi, si les régulateurs notent un “durcissement lent” des politiques charbon, celles-ci pêchent toujours en termes de transparence, notamment concernant le périmètre des activités couvertes, ce qui freine toute comparabilité. Le même problème concerne le calcul des expositions au secteur, qui reste très hétérogène. Ou encore le traitement réservé aux entreprises ayant adopté une stratégie de transition “crédible” et les différentes étapes – notamment en matière de renforcement des exclusions ou d’opposition à la vente d’infrastructures charbon – permettant d’atteindre les objectifs de sortie désormais fixés.

La notion de “développeurs” est désormais largement utilisée par les acteurs financiers sur le charbon, même si des différences importantes persistent en termes de définition. L’utilisation des seuils formulés en valeur absolue – production de charbon ou d’électricité à partir de charbon – se sont aussi largement diffusés.

L’hétérogénéité et l’imprécision est aussi une caractéristique des approches et niveaux d’ambition affichés par les acteurs financiers dans l’adoption de politiques pétrole et gaz, qui portent principalement sur les énergies fossiles non conventionnelles. L’AMF et l’ACPR identifient clairement la rareté des politiques sur les hydrocarbures conventionnels, tout en soulignant que les hydrocarbures non conventionnels ne sont que très partiellement couverts. Les sables bitumineux et le pétrole et gaz de schiste sont les deux catégories d’hydrocarbures non conventionnels les plus fréquemment ciblées, bien que de manière très limitée et souvent sans empêcher les nouveaux projets.

De plus, les acteurs financiers sont souvent dans l’incapacité de suivre précisément leurs services financiers aux entreprises pétro-gazières. Dans certains cas, ces difficultés rendent l’application des politiques fossiles incertaines : l’AMF et l’ACPR soulignent qu’en tant qu’investisseurs les assureurs possèdent des politiques qui se focalisent sur une part très limitée des hydrocarbures non conventionnels alors même qu’ils se révèlent dans l’incapacité de fournir des données sur le désinvestissement des hydrocarbures, ne distinguent pas les hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et savent rarement identifier les investissements liés à de nouveaux projets.

Dans l’ensemble, une fois les objectifs de long terme adoptés et les critères et seuils fixés, c’est la capacité des acteurs financiers à appliquer leurs politiques et à atteindre leurs engagements qui reste “difficile à évaluer en l’absence de jalons ou de précisions sur les étapes” prévues. Ces constats poussent notamment l’AMF à ce cri du cœur: “Concernant les politiques relatives à d’autres combustibles fossiles, les SGP (sociétés de gestion de portefeuille) doivent impérativement se mobiliser”. Plus largement, les régulateurs encouragent les acteurs de la Place de Paris à mettre rapidement en place “des politiques robustes, transparentes et comparables portant sur toutes les énergies fossiles” et à se doter des outils pour suivre et appliquer celles-ci.

Des recommandations claires 

 

L’ACPR et l’AMF mettent en avant dans leurs recommandations de nombreux éléments essentiels qui doivent se trouver dans une bonne politique sectorielle sur le pétrole et le gaz :

  • Ils rappellent la nécessité impérieuse de réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc les énergies fossiles en faisant référence aux dernières analyses du GIEC et de l’AIE, « notamment à l’égard des investissements impliquant de nouveaux projets de développement de l’offre de charbon, de gaz et de pétrole, ainsi que ceux envisageant l’ouverture de nouvelles centrales à charbon » ;
  • Ils mettent au cœur des moyens d’application de ces politiques les listes d’entreprises élaborées par nos partenaires allemands d’Urgewald. La Global Coal Exit List, dont la dernière version a été mise à jour au début de ce mois, et la Global Oil & Gas Exit List, qui sera publiée le 4 novembre couvriront l’ensemble de la chaîne de valeur des énergies fossiles.
  • Ils insistent sur la nécessité d’adopter une définition commune des hydrocarbures non conventionnels, en faisant référence à celle émise récemment par le Comité scientifique de l’Observatoire de la Finance Durable.
  • Ils appellent enfin et surtout les acteurs financiers à “se doter d’une « politique claire » sur les fossiles dits « non conventionnels » et indiquer à cette occasion les mesures « mises en place en vue d’une sortie progressive (…) des hydrocarbures non-conventionnels, en précisant le calendrier de sortie retenu ainsi que la part des encours totaux gérés ou détenus par l’entité couverte par ces politiques ».”

Pour l’AMF et l’ACPR, la nécessité d’adopter rapidement des politiques pétrole et gaz robustes vaut “tant pour leur contribution au réchauffement climatique, que pour répondre aux risques financiers accrus pesant sur le secteur”. Les régulateurs soulignent que “ces politiques devraient s’inspirer des leçons et des travaux menés pour le charbon, et prendre en compte les projections disponibles et les évolutions attendues en termes de niveau et de nature d’investissement dans les secteurs concernés pour pouvoir atteindre les objectifs de l’Accord de Paris”. Il s’agit alors – comme cela a été largement fait pour le charbon et en cohérence avec les travaux de l’AIE ou des Nations Unies – de mettre prioritairement fin aux services financiers aux nouveaux projets d’énergies fossiles et aux entreprises qui les développent.

Il faudra donc aller bien plus que les quelques annonces faites ces derniers jours pour répondre à ces principales préconisations. La COP26 doit être un moment majeur pour les acteurs financiers français pour répondre à ces demandes et à l’urgence climatique.

Pour aller plus loin :