Lettre ouverte à Elisabeth Borne pour un label ISR sans greenwashing

Lettre cosignée par plus de 60 personnalités et représentant.es d’organisations issus des milieux associatif, économique et académique.

Paris, le 30 octobre 2023 – Dans une lettre ouverte à Elisabeth Borne, plus de 60 personnalités et représentant.es d’organisations issus des milieux associatif, économique et académique – dont Lucie Pinson, Jean-Marc Jancovici, Jean Jouzel, Cécile Duflot, François Gemenne, Claire Nouvian – appellent à exclure du label ISR (Investissement socialement responsable) les entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles. Iels demandent notamment à ne pas “institutionnaliser le greenwashing” en estampillant “responsable” un label d’Etat investissant dans des entreprises pétro-gazières aux stratégies d’expansion contraires aux objectifs climatiques de la France.

Madame la Première ministre,

La refonte du label ISR (investissement socialement responsable), initiée il y a deux ans et demi, arrive à son terme avec l’arrivée imminente d’un arbitrage interministériel prévu dans le courant de l’automne.

Soucieux de voir ce label évoluer significativement afin de réparer la “perte inéluctable de crédibilité et de pertinence” qu’il subit, nous demandons à votre gouvernement de répondre à l’attente de l’opinion, de la société civile et des acteurs financiers en offrant des garanties suffisantes par l’adoption de critères d’exclusion ambitieux, tel que le proposait l’Inspection générale des finances.

Ces exclusions sont particulièrement nécessaires pour les secteurs de l’exploration-production d’énergies fossiles puisqu’il existe un large consensus scientifique autour de l’impératif de cesser le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles pour avoir une chance de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. Ainsi, nous considérons que la crédibilité du label ISR reposera en grande partie sur l’exclusion des entreprises qui participent à ce développement.

A cet égard, la proposition de compromis adressée par le Comité du label d’exclure les entreprises qui développent de nouveaux projets d’exploration, d’extraction et de raffinage de combustibles fossiles non-conventionnels – selon une définition extensive – est à préserver absolument.

Nous sommes cependant très préoccupés face à l’éventualité d’un arbitrage moins-disant par rapport à la proposition du Comité concernant ce critère d’exclusion, lui-même déjà minimaliste puisqu’il se limite aux combustibles fossiles non-conventionnels.

Dans un contexte d’urgence climatique qui exige la mobilisation de tous les leviers d’action disponibles, il serait incompréhensible aux yeux des épargnants que des fonds “socialement responsables” labellisés par l’Etat continuent d’investir dans des entreprises qui  rehaussent leurs objectifs de croissance de leur production d’hydrocarbures, développent de nouveaux projets d’exploration-production de pétrole et de gaz, et maintiennent la majorité de leurs investissements dans le développement des énergies fossiles. En considérant que ces entreprises seraient éligibles à bénéficier d’investissements “responsables” labellisés, votre gouvernement cautionnerait leurs stratégies de greenwashing et participerait à la perpétuation des énergies fossiles, en totale contradiction avec les objectifs climatiques nationaux, européens et internationaux.

Cela mettrait en échec l’ambition du gouvernement de mobiliser l’épargne privée en faveur de la transition écologique et sociale ; viderait de leur substance les transformations – même mineures – du secteur financier imposées par le gouvernement et plus largement la finance durable dans son ensemble. Enfin, cela irait à l’encontre des objectifs climatiques de la France au point de décrédibiliser les efforts menés actuellement pour former une coalition d’États prêts à s’engager sur une sortie des énergies fossiles en amont de la COP 28.

En revanche, l’adoption de critères d’exclusion correspond aux attentes des épargnants. Cibler le développement des énergies fossiles directement – ou via des exclusions sur les énergies non-conventionnelles, associées à des critères d’alignement sur des objectifs climatiques – permettrait à la France de peser au niveau européen et international en matière de finance durable, notamment en ce qui concerne l’encadrement des fonds dits “responsables” ou “durables”.

Notez que dans l’éventualité d’une déclinaison du label en plusieurs dimensions, un tel critère d’exclusion devrait impérativement s’appliquer à toutes les déclinaisons.

Par ailleurs, il n’existe pas d’obstacle technique réel à l’adoption d’un tel critère. Il reviendra aux fournisseurs de données et d’indices d’adapter leurs offres destinées aux investisseurs, ainsi qu’aux investisseurs eux-mêmes d’adapter leurs outils internes, y compris en ce qui concerne la gestion passive.

Nous espérons vivement que votre gouvernement actera la réussite de cette révision du label ISR et qu’il ne participera pas à l’institutionnalisation du greenwashing.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première Ministre, l’expression de nos plus respectueuses salutations.

Signataires

Lucie Pinson
Fondatrice et Directrice exécutive de Reclaim Finance

Véronique Andrieux
Directrice générale de WWF France

Claire Berthier
Directrice Générale de Trusteam Finance

Nicolas Blanc
Secrétaire national à la transition économique de la CFE-CGC

Olivia Blanchard
Présidente des Acteurs de la finance responsable

Vincent Bouchet
Chercheur à l’EDHEC Business School
Responsable de la recherche sur l’intégration des critères ESG et climatiques pour l’analyse de portefeuilles

Dominique Bourg
Philosophe, Professeur honoraire de l’Université de Lausanne
Co-Auteur de “La finance face aux limites planétaires” (Éd. Actes Sud, 2023)

Isabelle Cadet
Maître de conférences à l’IAE Paris-Sorbonne Business School
Co-directrice de la Chaire “Risques”
Co-directrice de « La finance responsable et durable – Paradoxes théoriques et pratiques » (Ed.Eska, 2022)

Gunther Capelle-Blancard
Professeur d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Responsable du Master “Finance responsable”

Joseph Choueifaty
Président de Goodvest

Ambroise Collon
Co-fondateur et Directeur général des Nouveaux Géants

Maeva Courtois
Co-fondatrice et CEO de Helios

Grégoire Cousté
Délégué général du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR)

Anna Creti
Professeur d’économie à l’Université de Paris Dauphine-PSL
Directrice scientifique de la Chaire “Économie du Gaz Naturel” et de la Chaire “Économie du Climat”
Présidente de l’Association pour la transition Bas Carbone (ABC)

Pascal Demurger
Co-Président du Mouvement Impact France

Cécile Duflot
Directrice générale d’Oxfam France

Nicolas Dufrêne
Directeur de l’Institut Rousseau

Julia Faure
Co-Présidente du Mouvement Impact France

Anne Frisch
Professeur-Associée à HEC Paris

Khaled Gaiji
Président des Amis de la Terre France

Andréa Ganovelli
Co-fondateur et Directeur Général de Green-Got

Antoine Gatet
Président de France Nature Environnement (FNE)

François Gemenne
Co-auteur du sixième rapport du GIEC
Président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH)

Delphine Gibassier
Fondatrice et Présidente de Vert de Gris
Titulaire de la Chaire Performance Globale Multi-Capitaux à Audencia

Arnaud Giraudon
Président de Gololutic

Alain Grandjean
Économiste, co-fondateur et associé de Carbone 4

Ulrich Hege
Professeur d’économie à Toulouse School of Economics

Bernard Horenbeek
Président du Directoire de la Nef

Fabien Huet
Co-fondateur et CTO de Green-Got

Jean-Marc Jancovici
Ingénieur, co-fondateur et associé de Carbone 4

Jean Jouzel
Climatologue

Jean-François Julliard
Directeur général de Greenpeace France

Catherine Karyotis
Professeure d’économie et finance à NEOMA Business School

Olivier Laffitte
Avocat à la Cour

Hélène Lanier
Directrice générale de 2° investing initiative

Noam Leandri
Chercheur associé à l’ESSCA
Auteur de « La finance verte » (Éd. La Découverte, 2021)

Michel Lepetit
Ingénieur, chercheur associé en histoire globale de l’énergie au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, université Paris Cité
Vice-Président du Shift Project

Benoît Leguet
Directeur général d’I4CE

Alizée Lozac’hmeur
Co-dirigeante de makesense

Sophie Marmorat
Enseignante chercheure à l’ESC Clermont Business School
Responsable pédagogique de la majeure “Finance durable et ISR”

Alexis Masse
Président de France active investissement

Melchior Mesnard
Co-fondateur de re.boot

Laurent Morel
Associé de Carbone 4

Nicolas Mottis
Professeur à l’École Polytechnique
Auteur de “ISR & Finance responsable” (Éd. Ellipses, 2022)

Claire Nouvian
Fondatrice et directrice de BLOOM

Jean-Guillaume Peladan
Directeur de la stratégie environnement de Sycomore AM

Thierry Philipponnat
Fondateur et Chef économiste de Finance Watch

Christophe Revelli
Professeur de finance durable à Kedge Business School

Luis Reyes
Professeur d’économie et finance à Kedge Business School
Responsable académique du MSc “Sustainable Finance”

Eva Sadoun
Économiste, Fondatrice et Présidente de Rift

Jérôme Saddier
Président du Groupe Crédit Coopératif et Président d’ESS France

Dhafer Saïdane
Professeur, Directeur du MSc « Sustainable Finance & Fintech » à SKEMA Business School
Auteur de “La finance durable : Une nouvelle finance pour le XXIe siècle ?” (Éd. Revue Banque, 2011)

Laurence Scialom
Professeure à l’Université Paris Nanterre

Philippe Sebag
Président de Préfon

Thierry Sibieude
Professeur à l’Essec, Fondateur de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social
Auteur de “Finance à impact: Une finance au service de l’intérêt général et du bien commun ?” (Éd. EMS, 2023)

Marie-Amandine Stévenin
Présidente de UFC-Que Choisir

Christophe Thibierge
Professeur de Finance à l’ESCP
Auteur de « Finance durable: Comment la finance d’entreprise pourra ou devra s’adapter aux défis actuels » (Éd. BoD, 2022)

Frédéric Tiberghien
Président de FAIR

Mélanie Tisserand-Berger
Présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD)

Sébastien Treyer
Directeur général de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI)

Hugo Viel
Responsable France de 350.org

Stéphane Voisin
Responsable Finance Durable à l’Institut Louis Bachelier
Auteur de “Detox finance: Utile, positive, verte, durable : l’avenir de la finance” (Éd. Eyrolles, 2019)

Collectif Pour un Réveil Écologique

Notes :

  1. Extrait du rapport “Bilan et perspectives du label « Investissement socialement responsable » (ISR)” (Décembre 2020) de l’Inspection générale des finances (IGF).
  2. Pour une majorité des Français, la présence d’énergies fossiles dans les placements dits “responsables” ou “durables” relèvent du greenwashing (source : Reclaim Finance, Refonte du Label ISR : une majorité de Français s’oppose au greenwashing, octobre 2023).
  3. Voir la pétition des Acteurs de la Finance responsable signée par près de 1 000 personnes, ainsi que la position de Reclaim Finance en réponse à la consultation pour la refonte du label ISR, Juin 2023.
  4. Voir la réponse à la consultation du Forum pour un investissement responsable (FIR) ainsi que la tribune dans Les Echos “ISR : le dramatique statu quo” de Stéphane HIs et Olivia Blanchard des Acteurs de la Finance Responsable)
  5. L’IGF affirmait dans son rapport que “le recours à des exclusions doit être la priorité principale dans la refonte des exigences du label. Des exclusions ciblées et évolutives apparaissent en effet indispensables à sa crédibilité, sans pour autant obérer nécessairement la contribution à la transition”.
  6. IISD, New fossil fuels ‘incompatible’ with 1.5C goal, comprehensive analysis finds, Octobre 2022.
  7. Comité du label, Modalités de transition de la V2 à la V3 du référentiel du label ISR Propositions du comité du label, Juillet 2023.
  8. Le Comité du label a retenu la définition de l’Observatoire de la finance durable qui inclut “les schistes bitumineux et l’huile de schiste, le gaz et l’huile de schiste, le pétrole issu de sables bitumineux (oil sand), le pétrole extra-lourd, les hydrates de méthane, le pétrole et gaz offshore ultra-profonds et les ressources fossiles pétrolières et gazières dans l’Arctique”.
  9. Le label ISR pourrait notamment gagner en crédibilité sur le plan climatique s’il exclurait les entreprises qui développent de nouveaux projets d’hydrocarbures conventionnels.
  10. AFP, TotalEnergies veut produire plus d’hydrocarbures dans les 5 prochaines années, Septembre 2023 / S&P Global, BP to spend up to $16 bil more by 2030 in renewed focus on oil, gas, Février 2023 / The Guardian, Shell drops target to cut oil production as CEO aims for higher profits, Juillet 2023.
  11. Reclaim Finance, Evaluation des stratégies climat des entreprises pétro-gazières, 2023 / Reclaim Finance, TotalEnergies : Faut-il croire à sa diversification ?, Septembre 2023.
  12. L’article 2, alinéa 1-2 de l’Accord de Paris fixe pour objectif de “rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques”.
  13. Dans la lignée des propositions de l’AMF concernant les critères minimaux environnementaux pour les produits financiers des catégories Art.9 et Art.8 de SFDR, l’exclusion des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers du label ISR influencerait les discussions à venir au niveau européen pour la refonte envisagée du règlement SFDR, de l’encadrement de la notation ESG ainsi que de la dénomination des fonds.
  14. La proposition du Comité a déjà fait l’objet d’une évaluation de la faisabilité technique d’un tel critère. Il est notamment possible d’utiliser les bases de données de l’ONG Urgewald (GCEL/GOGEL).
  15. Plusieurs fonds ETF ont reçu le label belge Towards Sustainability, dont certains sont gérés par d’importants gestionnaires d’actifs comme BlackRock, Amundi ou encore BNP Paribas Asset Management. Cela démontre la possibilité pour les fonds gérés passivement d’obtenir un label ambitieux en matière de responsabilité environnementale et sociale.

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2023-11-06T10:08:50+01:00