Crédit Agricole : des engagements (encore) trop flous pour être crédibles

Crédit Agricole a récemment annoncé avec grand bruit ses nouveaux objectifs climatiques, comprenant notamment des engagements spécifiques sur le soutien à la transition énergétique. Bien que de tels engagements soient louables, les mesures annoncées sont difficiles à interpréter ou à lier avec les engagements déjà publiés cette année par le groupe. Reclaim Finance exprime de profondes réserves quant à la sincérité des mesures proposées par Crédit Agricole et à leur adéquation avec les besoins nécessaires pour réussir une transition énergétique rapide et juste, permettant de limiter le réchauffement global à 1,5°C.

Le 14 décembre 2023, à l’issue de la COP 28, Crédit Agricole a publié plusieurs engagements en lien avec la transition du secteur énergétique. Le groupe annonce vouloir contribuer à accélérer l’investissement et le financement de cette transition en augmentant l’allocation des “moyens financiers sur le soutien aux énergies renouvelables et aux infrastructures bas-carbone” [1].

Trois engagements sont ainsi présentés :

  • le “triplement des financements annuels en France par Crédit Agricole Transitions & Energies [CAT&E] sur les énergies renouvelables entre 2020 et 2030, suivant la recommandation de l’Union européenne”, en vue d’atteindre 3 milliards d’euros en 2030 ;
  • l’augmentation de 80% de l’exposition de Crédit Agricole CIB aux énergies bas-carbone entre 2020 et 2025 pour atteindre 13,3 milliards d’euros en 2025” ;
  • le “renforcement de la capacité de financement, à hauteur de 1 milliard d’euros, pour accompagner les énergéticiens dans le financement de leurs projets de production d’énergies renouvelables, d’infrastructures bas-carbone, de technologies propres et de projets d’efficacité énergétique.

Si l’ensemble des mesures semblent a priori très insuffisantes pour satisfaire aux besoins de financements à la transition, et en premier lieu de l’approvisionnement en électricité, elles sont aussi difficilement compréhensibles, la dernière allant jusqu’à manquer de temporalité.

Un périmètre illisible

Les mesures récemment annoncées ne font pas exception au problème de définition déjà relevé dans les précédents engagements du Crédit Agricole en matière de financement à la transition. Encore une fois, Crédit Agricole jongle avec des notions floues sans les définir. Les engagements oscillent entre “énergies renouvelables” et “énergies bas-carbone”, les “infrastructures bas-carbone” côtoient “technologies propres” et “efficacité énergétique”. Aucun de ces termes n’est explicité, les sources d’énergie et les technologies concernées ne sont pas détaillées, aucune précision n’est donnée quant aux secteurs couverts par l’efficacité énergétique.

L’emploi de ces termes vagues laisse la porte grande ouverte aux fausses solutions. Si la notion de “bas-carbone” laisse craindre l’intégration du CCUS [2] sur des installations fossiles ou encore de la biomasse [3], la notion de “technologie propre” est tout bonnement impossible à interpréter sans davantage d’explications.

Au-delà de l’absence de définitions précises, Reclaim Finance note un manque cruel de lisibilité entre les différents engagements qui s’empilent les uns aux autres.

Opacité de l’articulation avec les annonces précédentes

Crédit Agricole annonçait précédemment plusieurs engagements [4] dont “le financement annuel des énergies renouvelables sera au global multiplié par 3 d’ici 2030” ; et “[Unifergie,] filiale spécialisée de Crédit Agricole Leasing & Factoring [CAL&F] dans le financement des énergies renouvelables à travers les territoires, a l’ambition de doubler ses financements d’énergie renouvelable à horizon 2025”, les passant ainsi de 1 milliard d’euros en 2022 à 2 milliards d’euros en France. [5]

On peut se demander si ce nouvel objectif de tripler les financements aux énergies renouvelables d’ici 2030 en France via CAT&E prolonge l’objectif précédent de les doubler d’ici 2025. Si cela est bien le cas, il faut saluer la décision du Crédit Agricole de se projeter à l’horizon 2030 quand de nombreux acteurs financiers s’en tiennent à des objectifs de très court terme. Mais il faut aussi déplorer la faible ambition de la cible et son ralentissement entre 2025 et 2030.

Enfin, l’articulation de cette cible avec le précédent engagement à tripler les financements aux énergies renouvelables au niveau global reste à préciser. Reclaim Finance attend du Crédit Agricole un engagement à conserver sa cible au niveau mondial, en complément de celle adoptée au niveau français. En effet, s’il faut saluer cette volonté d’augmenter les financements aux énergies renouvelables en France – d’autant plus que la France est très en retard sur ce point [6], il faut aussi rappeler que Crédit Agricole fait partie des 10 plus grands groupes bancaires mondiaux et doit de soutenir le développement des énergies soutenables au niveau mondial. En effet, dans le scénario Net Zero Emission by 2050 (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la majorité de l’augmentation des investissements nécessaires à la transition d’ici 2030 concernent les marchés émergents et économies en développement (hors Chine). [7]

Malgré leur opacité, les engagements actuels semblent par ailleurs insuffisants pour permettre un alignement des financements du groupe Crédit Agricole avec  les projections de l’AIE dans son scénario NZE.

Manque d’ambition face à l’ampleur des besoins

Sur l’approvisionnement en électricité, clé de voûte de la transition énergétique, ce scénario indique qu’il faut atteindre un ratio de financements énergétiques annuels de 6:1 d’ici 2030, c’est à dire que pour chaque dollar alloué aux énergies fossiles, 6 dollars sont dédiés à l’approvisionnement en électricité soutenable.

Les acteurs financiers ont un rôle crucial à jouer dans la transition énergétique. Il est essentiel que des banques de premier plan telles que Crédit Agricole montrent l’exemple. Cela passe par des engagements, transparents et cohérents avec la science climatique et les scénarios comme le scénario NZE de l’AIE, que Crédit Agricole cite abondamment comme cadre de référence pour ses engagements climatiques.

Reclaim Finance encourage Crédit Agricole à reconsidérer et renforcer ses engagements concernant l’approvisionnement en électricité, en veillant à ce qu’ils répondent aux besoins pour une transition énergétique rapide et juste et pour limiter le réchauffement global à 1,5°C. Le groupe doit encore en particulier adopter une cible de financement englobante et en cohérence avec le ratio de 6:1, ainsi qu’une cible de nouvelles capacités installées à l’échelle du groupe. Enfin, seule la publication d’une politique sectorielle dédiée au financement de l’approvisionnement en électricité et regroupant l’ensemble des engagements de Crédit Agricole saurait apporter la lisibilité nécessaire à l’engagement du groupe en la matière. Cette politique devra clarifier le périmètre des sources et technologies couvertes par ses financements à la transition énergétique et veiller à exclure les fausses solutions.

Notes :

  1. Voir le communiqué du Crédit Agricole du 14/12/2023 (lien)
  2. Voir la fiche de synthèse de Reclaim Finance sur le CCUS (en anglais – lien)
  3. Voir la fiche de synthèse de Reclaim Finance sur la bioénergie (en anglais – lien)
  4. L’engagement à “renforcer ses investissements dans les énergies renouvelables entre 2020 et 2025 pour contribuer au financement d’une capacité installée de 14 GW d’ici 2025” de Crédit Agricole Assurance n’est pas non plus réaffirmé dans cette nouvelle annonce.
  5. Stratégie Climat de Crédit Agricole publiée en Mai 2023 (lien)
  6. Selon un rapport de la Cour des Comptes publié le 16 octobre, “les objectifs relatifs à la production d’électricité d’origine éolienne n’ont pas été atteints”. Elle y rappelle que la France est le “seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de la directive de 2018”, le document européen de référence en matière d’énergie renouvelable. (lien)
  7. Voir le rapport de l’AIE “Net Zero Roadmap” publié en septembre 2023. (lien)

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2023-12-20T11:17:44+01:00