L’ERAFP attend 2030 pour mettre fin à ses contradictions sur le climat

L’Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP) a publié sa nouvelle politique sectorielle liée aux énergies fossiles (1). Malgré une ambition affichée de concourir à “l’atteinte de l’objectif d’alignement du portefeuille avec un scénario de hausse de la température de 1,5 °C”, il faudra attendre 2030 avant que l’ERAFP ne restreigne ses investissements dans toutes les entreprises qui développent des nouveaux projets de production de pétrole et de gaz. Un délai incompréhensible au regard de l’urgence climatique, et en totale contradiction avec la décision récente de l’Etat sur le label ISR, qui fait de l’arrêt des soutiens à l’expansion fossile la base de la responsabilité.

L’ERAFP, qui gère les près de 40 milliards d’euros du régime de retraite complémentaire auxquels souscrivent les 4,5 millions de fonctionnaires de l’État, territoriaux et hospitaliers, ainsi que des magistrats (2), vient de publier une nouvelle politique énergies fossiles (3). Quatre ans après avoir adopté une politique minimale d’exclusion sur le charbon en 2019 (4), l’ERAFP rattrape une partie de son retard mais reste loin de se hisser à la hauteur des meilleures pratiques de la place de Paris.

Une politique pétrole et gaz contradictoire qui manque d’ambition

En introduction de sa nouvelle politique, l’ERAFP rappelle le consensus scientifique : pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, l’investissement dans le pétrole et le gaz doit se limiter au maintien de la production existante des gisements en exploitation. Dit autrement, il ne faut “pas poursuivre de projet d’exploration ou de développement pétro-gazier non déjà engagé à fin 2021”, et il faut “écarter l’exploitation de tout nouveau gisement de pétrole et de gaz”.

Une position qui suit le principe acté par le gouvernement à travers la réforme du label ISR : l’arrêt des soutiens à l’expansion fossile doit être la base de la responsabilité. (5)

Toutefois, l’ERAFP n’exclura qu’en 2030 “les investissements dans la dette d’entreprises développant des projets d’exploration ou de production pétro-gaziers”, mesure pourtant “identifiée comme clé pour limiter le réchauffement climatique”. L’incohérence est totale. La caisse de retraite de la fonction publique va donc continuer d’être gérée de manière irresponsable, en contradiction avec la politique climatique de l’Etat et en retard par rapport à d’importants investisseurs institutionnels français. (6)

Par ailleurs, l’ERAFP utilise la métrique du chiffre d’affaires plutôt que de la production pour la mise en œuvre de ses restrictions des investissements dans les entreprises productrices d’hydrocarbures non-conventionnels (7). Ce choix n’est pas sans conséquence sur la matérialité de la mesure. Ainsi une entreprise diversifiée et active sur toute la chaîne de valeur (exploration, production, transport, transformation, trading, distribution, production d’électricité, etc.) ne sera pas nécessairement couverte par la mesure, quand bien même elle peut avoir, en valeur absolue, un montant significatif de production dans les hydrocarbures non conventionnels. (8)

Le risque est d’autant plus élevé que l’Erafp n’indique pas la base de données utilisée pour identifier les entreprises correspondantes aux critères. Or les définitions des hydrocarbures non conventionnels varient fortement entre les fournisseurs.Reclaim Finance recommande à l’ensemble des acteurs financiers d’adopter des critères de restriction selon la part de la production, et ce sur la base de données de la Global Oil & Gas Exit List (GOGEL) d’Urgewald.

Enfin, contrairement à un nombre significatif d’investisseurs institutionnels français (9), les critères de restriction d’investissement et les demandes formulées aux entreprises ne s’appliquent pas au développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers midstream (notamment les terminaux GNL).

Une politique d’engagement et de vote imprécise

Bien que l’ERAFP mène régulièrement des actions fortes en matière d’engagement, notamment dans le secteur de l’énergie (10), le manque d’ambition de sa politique d’engagement et de vote risque de mener à un dialogue interminable et inefficace avec les entreprises, tout en retardant l’entrée en vigueur de restrictions d’investissement. (11)

D’une part, les demandes exprimées par les entreprises sont imprécises. Bien que la fin de l’expansion et la baisse de la production soient clairement exigées, celles-ci ne sont accompagnées d’aucun objectif précis, chiffré et daté, par exemple en termes de mix énergétique à horizon 2025 et 2030, de volume d’émissions de gaz à effets de serre (notamment en scope 3) et d’allocation des CAPEX. (12)

D’autre part, bien qu’elle fasse mention de votes négatifs sur les résolutions “de routine” et évoque l’éventualité d’un désinvestissement, la stratégie d’escalade (mesures prises en cas d’échec des actions d’engagement) demeurera appliquée au cas par cas plutôt que de façon systématique en cas d’absence de progrès de l’entreprise, et l’ERAFP se laisse la liberté d’agir “au mieux de ses intérêts”.

Une politique charbon renforcée

Quatre ans après l’adoption d’un premier critère d’exclusion (4), l’ERAFP complète sa politique charbon par plusieurs engagements bienvenus comme l’exclusion des développeurs de nouveaux projets, le durcissement du seuil d’exclusion à 5 % du chiffre d’affaires (puis 1 % à partir janvier 2026), ainsi que la sortie définitive du secteur à horizon 2030 pour l’OCDE et 2040 dans le reste du monde.

L’ERAFP prévoit également des exceptions à ces critères d’exclusion au bénéfice des entreprises qui se seraient engagées à l’adoption d’un plan de sortie du charbon à horizon 2030 pour l’OCDE et 2040 pour le reste du monde (13). Si cela peut se justifier pour les entreprises dont l’activité dépasse 5 % du chiffre d’affaires et qui démontrent leur capacité à fermer ses centrales à temps suivant un plan crédible, il serait illogique d’en faire bénéficier les entreprises qui développent toujours de nouveaux projets.

Reclaim Finance appelle l’ERAFP à mettre en cohérence sa politique énergies fossiles avec sa prétention d’avoir “établi un cadre exigeant” visant à “concourir à l’atteinte de l’objectif d’alignement du portefeuille avec un scénario de hausse de la température de 1,5 °C, conforme à l’Accord de Paris”. Cela implique de cesser dès aujourd’hui tout nouvel investissement dans les entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles, que ce soit de charbon, de pétrole ou de gaz (upstream, midstream et production d’électricité), et ce sans exception.

Enfin, l’ERAFP doit s’assurer que les sociétés de gestion auxquelles il attribue des mandats de gestion respectent certains critères minimums en matière climatique, comme le préconise la Net-Zero Asset Owners Alliance (NZAOA) dont il est membre. (14)

Notes :

  1. ERAFP, L’ERAFP publie une politique sur les énergies fossiles qui renforce ses engagements dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre de ses portefeuilles d’investissement, Janvier 2024.
  2. ERAFP, Rapport annuel 2022, mai 2023.
  3. ERAFP, Politique Énergies fossiles de l’ERAFP, janvier 2024.
  4. Jusqu’à aujourd’hui, le seul engagement ferme de l’ERAFP en matière d’énergies fossiles était, en complément de la politique Best in Class et d’engagement, l’exclusion des entreprises “dont l’activité liée au charbon thermique dépasse 10 % de leur chiffre d’affaires”. Aucune restriction d’investissement n’avait encore été adoptée sur le pétrole et le gaz. (ERAFP, L’ERAFP inscrit sa stratégie ISR dans les objectifs de l’accord de Paris et accélère son désengagement du charbon, novembre 2019). Les seuls nouveaux engagements adoptés ces dernières années portaient sur l’adhésion à la NZAOA en 2020 et l’adoption de cibles de décarbonation en 2022.
  5. Reclaim Finance, Nouveau label ISR : un label généraliste plus responsable, décembre 2023.
  6. De nombreux investisseurs institutionnels français se sont déjà engagés à ne plus investir dès aujourd’hui dans des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers : Ircantec, CNP Assurances, Eurazeo, Mirova, MACSF, Tikehau Capital, MAIF, Suravenir Arkéa et Sogécap. Les filiales du groupe Aéma et AG2R La Mondiale ayant pris cet engagement pour 2025 et 2027 respectivement (Voir le Oil and Gas Policy Tracker)
  7. L’ERAFP s’engage à exclure de son portefeuille “les entreprises dont l’activité liée aux hydrocarbures non conventionnels est supérieure à 30 % du chiffre d’affaires”, ainsi que de cesser d’investir “dans la dette d’entreprises dont l’activité liée aux hydrocarbures non conventionnels dépasse 5 % du chiffre d’affaires”, à l’exception des “obligations vertes et des obligations d’entreprises disposant d’une stratégie crédible d’alignement avec un scénario de hausse de la température de 1,5°C”.
  8. Pour exemple, mi-2022, la base de données MSCI considérait que ExxonMobil (troisième plus gros producteur de ces hydrocarbures) tirait moins de 10% de son chiffre d’affaires du non-conventionnel. Alors que BP, Shell et TotalEnergies, qui font partie des 20 principaux producteurs de non-conventionnel, en tiraient moins de 5% de leur chiffre d’affaires.
  9. Liste des investisseurs institutionnels français s’étant déjà engagés à ne plus investir dans des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers midstream : Ircantec, CNP Assurances, Mirova, Eurazeo et MACSF (Voir le Oil and Gas Policy Tracker).
  10. L’ERAFP a notamment participé au dépôt de résolutions en Assemblées générales de TotalEnergies et ENGIE.
  11. Toute entreprise qui disposerait “d’une stratégie crédible d’alignement avec un scénario de hausse de température de 1,5 °C” serait épargnée par les critères d’exclusion des “investissements dans la dette d’entreprise dont l’activité liée aux hydrocarbures non-conventionnels dépasse 5% du chiffre d’affaires” ainsi que celles qui “développent des projets d’exploration ou de production pétro-gaziers” (applicable à partir de 2030).
  12. L’AIE estime qu’en 2022, les compagnies pétro-gazières n’auraient alloué que 2,7 % de leurs CAPEX aux solutions de la transition énergétique, contribuant seulement à hauteur de 1,2 % des investissements mondiaux dans la transition (AIE, The Oil and Gas Industry in Energy Transitions, novembre 2023). Dans son scénario Net-Zero-Emission-by-2050, l’AIE préconise qu’à horizon 2030, plus de 50 % des CAPEX de l’industrie pétro-gazière soient alloués à la transition énergétique. Un engagement que les investisseurs peuvent exiger aux entreprises en portefeuille.
  13. Des exceptions sont également prévues pour les greenbonds émis par les entreprises susceptibles d’être concernées par les critères d’exclusion.
  14. En novembre 2023, l’ERAFP a attribué vingt-cinq mandats à des sociétés de gestion, dont certaines ont des politiques climat très insuffisantes comme BlackRock (plus gros investisseur au monde dans l’expansion du charbon), Amundi ou encore DWS. (Reclaim Finance, Who’s managing your future?, juin 2023)

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2024-01-30T17:54:06+01:00