Les acteurs financiers doivent exclure de tous services financiers les entreprises qui ne sont pas capables ou désireuses de transformer leurs activités de manière à les aligner avec une trajectoire 1,5°C.

Cependant, l’exclusion n’est pas la solution pour toutes les entreprises aux activités aujourd’hui incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris. Les acteurs financiers doivent engager leurs clients et les entreprises dans lesquelles ils investissent afin de les pousser à sortir des secteurs non soutenables.

Reclaim Finance appelle les investisseurs à rejoindre les initiatives d’engagement collectif comme le Climate Action 100+. Mais leur participation doit être pro-active. Cela doit aussi compléter, et non remplacer, l’adoption d’une stratégie d’engagement propre.

Trois principes clés pour un engagement robuste

1. Contre l’idée que seuls les actionnaires auraient le pouvoir de peser sur les entreprises, Reclaim Finance considère que les grands détenteurs d’obligations, banques et assureurs peuvent aussi infléchir le comportement de leurs clients.

2. L’engagement doit viser l’alignement des activités des entreprises avec l’objectif de 1,5°C et permettre des gains immédiats en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre de manière à réduire de moitié les émissions mondiales d’ici 2030.

3. Les objectifs de l’engagement doivent primer sur les intérêts personnels et les contrats d’affaires entre les grands groupes. Aujourd’hui, des initiatives d’engagement actionnarial pour le climat sont contrées en raison de forts conflits d’intérêts.

Aujourd’hui, aucun grand investisseur ne s’est doté d’une politique d’engagement robuste qui articule des demandes et des deadlines claires et précises à satisfaire par les entreprises engagées. Les acteurs financiers doivent se doter d’une telle politique. Ils doivent aussi adopter et faire connaître en amont leur stratégie d’intensification à déployer en cas d’échec ou insuffisance dans les résultats atteints. En l’absence de demandes systématiques, c’est la porte ouverte à l’arbitraire et l’indulgence non méritée envers certaines entreprises.

Ne plus faire l’impasse sur les majors

Les acteurs financiers ont adopté des politiques d’exclusion de certaines énergies fossiles. Mais, en raison de leur grande diversification, les majors pétrolières et gazières passent entre les mailles du filet. C’est un énorme problème : empêcher l’expansion des énergies fossiles ne sera pas possible sans ramener ces majors dans le filet.

50% de la production supplémentaire d’hydrocarbures à partir des projets prévus entre 2020 et 2024 viendra de 25 entreprises uniquement. Parmi elles de nombreuses majors. D’après Carbon Tracker Initiative, toutes les majors pétrolières ont engagé des nouveaux projets incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris. Total continue d’investir 18 fois plus dans l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures que dans ce qu’il appelle le bas carbone. En réalité, le gaz, et non les renouvelables, dominent cette catégorie au nom trompeur. De plus, Shell, Chevron, Exxon, BP ont plus de 50% de leurs plans de développement d’ici 2024 dans les gaz et pétrole de schiste.

Les majors pétrolières et gazières sont capables de faire échouer à elles seules l’Accord de Paris. Cela ne laisse aucun choix: les acteurs financiers doivent:

  • Suspendre tous services financiers aux majors tant qu’elles n’arrêtent pas de développer de nouveaux projets dans les énergies fossiles.

  • Faire valoir leur droit d’actionnaire ou de partie prenante financière et les forcer à adopter des objectifs de réduction absolue de leurs émissions des gaz à effet de serre sur toutes leurs activités (scope 1 à 3) de manière à limiter le réchauffement à 1,5°C.

Jusqu’à récemment, aucun acteur financier n’avait défié Total publiquement pour des raisons climatiques. La major française est pourtant loin d’être exemplaire. Total est responsable de 0,91% des émissions globales cumulées de gaz à effet de serre entre 1965 et 2017 et est parmi les 20 principaux contributeurs aux émissions mondiales. Or, si la major française s’est récemment engagée à atteindre la neutralité carbone sur les scopes 1 et 2 au niveau international et sur le scope 3 en Europe, Total refuse de s’engager sur un objectif de neutralité carbone scope 3 au niveau mondial. Les émissions de scope 3 représentent près de 90% des émissions globales de Total. De plus, Total refuse de prendre des objectifs de réduction absolue de ses émissions, privilégiant des objectifs fondés sur l’intensité carbone de ses produits et n’a pas de plan de route avec des objectifs de court et moyen terme suffisants pour s’aligner sur l’objectif de neutralité carbone. Alors qu’il faudrait infléchir dès maintenant les émissions de GES du groupe, Total prévoit toujours de nombreux nouveaux projets d’énergies fossiles, y compris dans les secteurs les plus risqués.

En 2020, un groupe de 11 actionnaires se sont enfin saisis du problème et ont déposé un projet de résolution demandant à Total d’adopter des objectifs de court, moyen et long terme de réduction absolue de ses émissions de manière à s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris. Cette résolution a été soutenue par 16,8% des actionnaires ayant voté pour ou contre. Malgré un rejet par 83,2% des actionnaires, cette résolution marque un tournant historique dans la relation entre Total et ses actionnaires, en particulier avec ceux d’origine françaises. Les actionnaires qui ont voté pour cette résolution doivent désormais poursuivre leur travail en direction de Total afin de le pousser à revoir à la hausse ses engagements climat, et doivent rallier à leur cause les actionnaires qui se sont abstenus ou ont voté contre.