Moins d’un an après sa publication, la politique charbon de Société Générale n’a pas résisté à l’épreuve des faits. Grâce à un tour de passe-passe sémantique et une politique à géométrie variable, la banque peut continuer à financer des acteurs clés du charbon. La banque vient de contribuer, aux côtés d’UniCredit, ING, Crédit Suisse à un prêt d’1 milliard d’euros au groupe EPH dont les 8 GW de centrales à charbon et les 40 millions de tonnes de charbon par an génèrent plus de 20% de son chiffre d’affaires. Pourtant EPH fait partie des entreprises que Société Générale ne devrait plus pouvoir financer d’ici la fin de l’année étant donné que l’énergéticien ne prévoit pas de sortie du charbon en Europe à horizon 2030. La banque compte-t-elle respecter son engagement et exclure le groupe EPH ?

EPH, l’énergéticien spécialiste du charbon

Fondé en 2009 par le milliardaire tchèque Daniel Kretinski, EPH est devenu le 6ème énergéticien européen. EPH s’est spécialisé dans le rachat de mines de charbon et centrales charbon en fin de vie. Jusqu’à présent, sa stratégie consiste à les exploiter aussi longtemps que possible pour en tirer un maximum de profit quitte à allonger leur durée de vie et générer autant d’émissions de gaz à effet de serre qui auraient pu être évitées. Résultat, le charbon génère encore plus de 20% du chiffre d’affaire du groupe (1). Selon la Global Coal Exit List, les centrales à charbon représentent 46% des moyens de production d’électricité du groupe, et EPH a produit 40 millions de tonnes de charbon l’année dernière, soit 4 fois plus que le plafond de 10 millions de tonnes par an fixé par la Société Générale dans sa politique d’exclusion.

Une politique d’exclusion peu excluante

Comment se fait-il qu’un énergéticien aussi impliqué dans le secteur du charbon passe à travers les mailles d’une politique dite de “sortie” du charbon ? Grâce à quelques tours de passe-passe sémantiques. Selon la Société Générale, le critère d’exclusion de la politique minière concerne uniquement les « entités du secteur de l’extraction du charbon thermique », définies dans le glossaire comme personne morale opérant ou possédant directement des actifs d’extraction de Charbon thermique. Dit autrement, la politique de sortie du charbon de la Société Générale lui interdit de financer les entreprises directement actives dans l’extraction du charbon et produisant plus de 10 millions de tonnes de charbon par an, mais pas leurs maisons-mèresle groupe EPH en l’occurrence. La politique d’exclusion n’exclut donc plus grand chose étant donné que les grands groupes sont rarement directement aux manettes des centrales et des mines : ils les détiennent et les exploitent le plus souvent via des filiales. Dans le cas d’EPH, cette subtilité frôle l’absurdité puisque le groupe EPH détient à 100% et finance la filiale EP Energie qui exploite l’essentiel des centrales et mines du groupe.

Le cas EPH, l’arbre qui cache la forêt?

Le risque c’est qu’EPH ne soit pas un cas isolé. En effet, à force de formules alambiquées et d’exceptions, la politique d’exclusion permet aussi à Société Générale de continuer à financer, si elle le décide, un géant minier comme Glencore qui a produit près de 130 millions de tonnes de charbon en 2020 selon la Global Coal Exit List, soit 13 fois plus que le seuil d’exclusion prévu par la politique de la banque. Si ça n’est pas une violation de la politique de la banque, il faut que cela le devienne au plus vite pour que la politique ne soit pas complètement hors sujet et hors délai.

Le risque aussi, c’est que Société Générale ne soit pas la seule à jouer avec les mots pour exempter certains industriels. Dernier exemple en date: dans le consortium de banques prêtant à EPH, on trouve aussi Unicredit et ING, deux banques qui ont récemment adopté des calendriers de sortie du charbon incompatibles avec les projets d’EPH.

Fin 2021, Société Générale appliquera-t-elle sérieusement sa politique en excluant EPH?

Société Générale fait preuve d’une grande hypocrisie en accordant un énième financement à EPH en mars 2021 alors qu’elle s’est engagée, fin 2021 au plus tard (dans quelques mois à peine donc), à ne plus fournir, ni nouveaux produits ni nouveaux services financiers, à ses clients qui n’ont pas communiqué “un plan de transition cohérent avec les objectifs de sortie du Charbon thermique 2030/2040 de la Société Générale”. Or, le “plan” du groupe EPH est incompatible avec les objectifs de la Société Générale d’une sortie totale du charbon en Europe d’ici 2030. En effet, EPH prévoit d’exploiter une partie de ses actifs charbon en Europe – mines et centrales – au-delà de 2030. A moins qu’EPH change radicalement de stratégie d’ici la fin de l’année, le groupe ne devrait plus avoir accès à de nouveaux services et produits financiers de la banque à partir de fin 2021 au plus tard.

Il en va de la crédibilité de Société Générale, déjà mise à mal dans le rapport Banking on Climate Chaos qui révèle qu’entre 2019 et 2020, ses financements aux énergies fossiles ont augmenté de 30%. En attendant que la Société Générale renforce sa politique d’exclusion, clarifie ses exigences en matière de “plan de transition cohérent” et arrête tout simplement de soutenir des géants des énergies fossiles comme EPH, nous revoyons à la baisse la note de la Société Générale dans notre outil d’évaluation des politiques charbon (Coal Policy Tool).

La note de Société Générale dans le Coal Policy Tool

La Société Générale perd des points car sa politique d’exclusion des entreprises minières ne s’applique pas aux maisons-mères comme EPH.

Pour aller plus loin :

  1. Découvrir notre évaluation de la politique charbon de la Société Générale dans le Coal Policy Tool
  2. Lire la politique sectorielle sur le charbon thermique publiée par la Société Générale en juillet 2020
  3. Lire nos recommandations aux acteurs financiers pour des politiques de sortie du charbon alignées sur l’objectif 1,5°C.
  4. Lire le rapport 2021 Banking on Climate Chaos pour en savoir plus sur les financements aux énergies fossiles de la Société Générale.