Notre rapport Actifs fossiles : les nouveaux subprimes ? Comment financer la crise climatique peut mener à la crise financière publié avec les Amis de la Terre France et l’Institut Rousseau a suscité de nombreuses réactions. Interrogée par Le Monde et l’AFP, la Fédération Bancaire Française (FBF) a notamment critiqué la démarche et les données du rapport. Nous répondons à cette critique.

Les banques, pas responsables ? 

Le rapport montre que les banques françaises cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles, soit 95 % du total de leurs fonds propres. Pour justifier ces volumes, la FBF affirme que le rapport « omet le postulat de base que nous évoluons dans une société et une économie qui sont, de fait, carbonées ».

Il s’agit là d’un argument classique : les banques financent l’économie et l’économie est polluante, il est donc normal qu’elles financent les pollueurs. En disant cela, la FBF tente de dédouaner les banques de toute responsabilité, au risque de contredire certains de ses membres pourtant engagés à atteindre la neutralité carbone. De plus, les actifs fossiles comptabilisés dans ce rapport ne sont pas n’importe quels actifs « carbonés ». Ils sont directement liés au charbon, pétrole et gaz, des secteurs qui contribuent le plus significativement aux émissions de gaz à effet de serre et aux dégradations environnementales et qui doivent progressivement disparaitre pour limiter le réchauffement climatique.

Les scientifiques, et plus récents l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) elle-même, le disent, les investissements dans les nouveaux projets charbon, pétrole ou gaz n’ont plus lieu d’être. Or, comme le montre le Scan de la finance fossile, les banques françaises sont très loin de s’aligner sur ces recommandations. Comment les banques peuvent-elles prétendre viser la neutralité carbone tout en continuant de financer directement et indirectement le développement de nouveaux projets fossiles ?

Une FBF dédaigneuse 

La FBF souligne que « l’hypothèse d’un défaut simultané de toutes les entreprises de l’énergie est fantaisiste ». Il s’agit là d’un faux procès : le rapport indique clairement que l’hypothèse d’une chute de valeur brutale de tous les actifs fossiles est peu réaliste et que les pertes de valeur des actifs fossiles vont probablement s’étaler sur plusieurs années et toucher en priorité les énergies les plus polluantes, comme le charbon et les hydrocarbures non conventionnels. Ces éléments sont aussi rappelés dans le “questions réponses”. Bien entendu, avec des actifs fossiles qui représentent entre 68 et 131% de leurs fonds propres, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’au défaut de toutes les entreprises fossiles pour fragiliser les banques.

La FBF parle ensuite de “chiffres faux et périmètres incorrectes” quand, en dépit de la faible transparence et uniformisation bancaire, notre consortium de partenaires, regroupant économistes et ONG, s’est assuré d’obtenir une estimation des actifs fossiles aussi précise que possible.

Les données de l’étude – notamment conduite sous la supervision du chercheur Gaël Giraud – sont issues des rapports annuels des banques, donc des informations qu’elles publient elles-mêmes. Pour compléter ces informations, toutes les banques ont été consultées. Elles ont pu apporter des informations qui ont mené à l’ajustement des données – comme pour Unicredit.

C’est uniquement lorsque les données publiques étaient insuffisantes et que les banques n’ont pas souhaité apporter les renseignements demandés que des hypothèses, conservatrices, ont été utilisées. Des précisions sur ces hypothèses sont disponibles dans le document « questions réponses » et en annexe du rapport.

Par ailleurs, le périmètre choisi en matière de fonds propres – Common Equity Tier 1 – correspond aux fonds propres immédiatement mobilisables par les banques et qui sont directement liés à l’estimation du risque des actifs. Comme le rapport et le « questions réponses » le rappellent, certains autres mécanismes – dont les assurances – pourraient éventuellement permettre aux banques d’absorber les pertes d’une chute de valeur de leurs actifs fossiles. Ces mécanismes n’ont pas été pris en compte dans le périmètre de l’étude car celle-ci vise spécifiquement à identifier de quelle manière les banques et la régulation financière intègrent – ou n’intègrent pas – les risques liés à la détention d’actifs fossiles. Il s’agit de responsabiliser les banques dans la détention de leurs actifs, et non de parier sur un éventuel report ou une dilution de la perte financière afférente. De plus, l’efficacité des autres mécanismes pourraient être limitée par une chute importante de la valeur des énergies fossiles.

Notons enfin que de nombreux actifs exclus du périmètre de l’étude mais indirectement liés aux énergies fossiles – comme ceux du secteur de l’aviation – pourraient eux aussi être affectés par la transition. Les risques identifiés dans ce rapport ne sont qu’une partie limitée des risques financiers liés au changement climatique.

L« exercice pilote » de l’ACPR et AMF : un non-sujet 

Pour contrebalancer les chiffres du rapport, la FBF se réfugie derrière le récent « exercice pilote » conduit par l’ACPR et l’AMF et qui évoque un risque de transition « plutôt modéré ». Cette réponse est plus qu’hasardeuse, tant les objectifs même de l’exercice des régulateurs financiers et de nos recherches diffèrent et ne les rendent pas comparables.

Comme sa dénomination le suggère, l’exercice pilote de l’ACPR et de l’AMF est plus un premier travail de coopération avec les banques qu’un test de résistance (“stress test”) face aux risques climatiques. Leur analyse repose sur des scénarios climatiques dont les lacunes ont été mises en évidence par l’étude d’Oil Change International et de Reclaim Finance. Ces scénarios ont d’ailleurs depuis été revus par leurs auteurs.

Les conclusions de l’analyse de l’ACPR et de l’AMF apparaissent ainsi particulièrement décalées et optimistes comparées aux premières conclusions des stress tests européens ou encore à l’analyse d’autres acteurs comme Swiss Re. Plus globalement, comme le souligne une récente étude co-réalisée par Gaël Giraud, faire reposer l’analyse de risque uniquement sur des scénarios climatiques est dangereux dans la mesure où ceux-ci peinent à capturer l’impact du réchauffement climatique.

Loin de prétendre effectuer une analyse exhaustive des risques climatiques des banques étudiées, le rapport Actifs fossiles : les nouveaux subprimes ? Comment financer la crise climatique peut mener à la crise financière identifie les actifs fossiles dans les bilans des banques et souligne le risque de voir ceux-ci perdre une part importante de leur valeur. L’actualité récente, et notamment la publication du premier scénario 1.5°C de l’AIE, renforcent la pertinence de cette analyse qui met en avant la probabilité de pertes significatives de valeur des actifs fossiles selon une hypothèse d’« actifs échoués ». Ces éléments sont en revanche totalement absent des travaux de l’ACPR et de l’AMF.

La FBF préfère s’attaquer au travail des chercheurs et ONG plutôt que de regarder les choses en face : au mépris du climat, les banques ont accumulé des actifs fossiles dont la valeur de marché promet désormais de diminuer. Il est temps de prendre ses responsabilités.