Les banques centrales sont les « banques des banques ». Elles veillent à ce que celles-ci disposent de suffisamment d’argent pour prêter aux entreprises, elles supervisent la stabilité financière et le bon fonctionnement des marchés financiers. Mais les banques centrales sont aussi des investisseurs qui gèrent des portefeuilles et possèdent des actifs. Pourtant, alors que les institutions privées font l’objet d’une surveillance croissante pour investir de manière durable et s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris, les investissements des banques centrales restent peu étudiés. Cela pourrait ne plus être le cas pour longtemps : un nouveau rapport de Reclaim Finance révèle que les banques centrales du G20 et de l’Eurosystème ne prennent pas en compte l’impact climatique de leurs investissements. Il s’agit d’un flagrant délit de « faites ce que je dis, pas ce que je fais », car celles-ci avertissent des dangers des effets du changement climatique sur le système financier et appellent les institutions financières privées à en tenir compte.

Les banques centrales tardent à réagir face à la crise climatique 

Comme le montre le G20 Central Banking Scorecard de Positive Money Europe et le rapport Unused tools d’Oil Change International, les banques centrales parlent de plus en plus du climat mais n’agissent pas. Au contraire, leurs opérations soutiennent toujours des entreprises et des activités très polluantes dans le monde entier.

Si la décarbonation de la politique monétaire est nécessaire pour permettre la transition verte, il existe pour les banques centrales un moyen simple de faire un premier pas vers l’action climatique, sans entrer dans des discussions sur leur « mandat » : décarboner leurs portefeuilles non monétaires – « portefeuilles propres », « portefeuilles de pension » et « portefeuilles de tiers ». Selon le Network For Greening the Financial System (NGFS), l’initiative « verte » des banques centrales, « l’adoption de pratiques d’investissement durable et responsable (ISR) par les banques centrales est importante et peut contribuer à diffuser cette approche aux autres investisseurs et à atténuer les risques ESG matériels ainsi que les risques de réputation », et cela est « particulièrement vrai si une banque centrale demande au secteur financier de prendre en compte les risques liés au climat ». En d’autres termes : mettez en pratique ce que vous prêchez pour éviter de perdre votre crédibilité et de devenir la cible des pressions de la société civile.

Les banques centrales investissent de manière non durable 

Il semble que ce conseil n’ait pas été entendu par les banques centrales du G20 et de l’Eurosystème. Seul un quart des banques centrales du G20, toutes européennes, se sont engagées à investir de manière responsable. Dans l’Eurosystème lui-même, huit banques centrales n’ont toujours pas adopté d’approche ISR.

Plus important encore, une seule de ces politiques d’ISR – celle de la Banque de France – prend l’urgence climatique au sérieux, en visant à aligner les portefeuilles sur une trajectoire de 1,5°C, en s’opposant au développement des énergies fossiles et en limitant le soutien aux grands pollueurs. Quatre banques centrales – en France, en Slovénie, en Allemagne et en Suisse – appliquent certaines restrictions sur les énergies fossiles. Mais, à l’exception de la France, ces restrictions sont particulièrement imparfaites et limitées, permettant aux banques de soutenir le développement des énergies fossiles et le secteur du charbon (1).

Si la Banque de France donne un bon exemple qui devrait inspirer ses homologues, notamment en considérant la nécessité de réduire la production d’énergies fossiles et d’arrêter de soutenir son développement, sa politique doit encore être renforcée pour s’aligner pleinement sur l’Accord de Paris (2). De même, l’engagement récent de la Banque de Finlande en faveur de la neutralité carbone est un signal positif mais les objectifs d’émission et les critères relatifs aux énergies fossiles doivent encore être définis, la qualité de la politique reste donc très incertaine.

Se peindre en vert 

Comment les banques centrales dissimulent-elles cette lamentable inaction ? Le rapport de Reclaim Finance détaille cinq astuces pour passer pour des investisseurs responsables tout en continuant à investir dans les grands pollueurs : maintenir l’opacité ; investir dans des obligations vertes ; brandir les principes de l’investissement responsable (PRI) ; se concentrer sur l’approche « best-in-class » ; et se contenter de normes internationales peu exigeantes. Ces astuces, qui ont également été largement utilisées par des acteurs financiers privés, servent à justifier une approche ISR sans suggérer une amélioration concrète de l’impact environnemental des investissements de la banque et a fortiori un alignement sur l’Accord de Paris. Il est choquant de constater que sur les quatorze banques centrales de l’Eurosystème ayant des politiques ISR, neuf sont très opaques (3), dont six qui ne divulguent aucune information crédible pour justifier leurs déclarations sur le sujet (4). La Banque centrale européenne (BCE) est même allée jusqu’à refuser la demande d’information de Reclaim Finance sur sa politique ISR.

Le fait que les banques centrales soient bloquées au début des années 2000, lorsque le secteur financier a commencé à parler d’investissement « responsable », et continuent à ignorer la crise climatique est inacceptable. Elles ignorent largement les objectifs climatiques de leurs propres pays, ainsi que les meilleures pratiques qui ont vu le jour dans le secteur financier privé et les développements de la science climatique, notamment la nécessité d’éliminer progressivement le charbon (5) et de mettre immédiatement fin aux investissements dans les projets de production d’énergies fossiles (6).

Agir sur les énergies fossiles 

Les banques centrales servent de modèles aux institutions financières privées et devraient montrer l’exemple. Elles ne peuvent continuer à investir dans des entreprises aux pratiques antagonistes avec l’Accord de Paris, contribuant ainsi au chaos climatique et à l’accumulation des risques financiers associés. Ceux qui communiquent beaucoup sur leur travail sur le changement climatique – comme la BCE – ne peuvent pas être pris au sérieux tant qu’ils continuent à investir dans de gros pollueurs, comme les entreprises qui forent de nouveaux puits de pétrole et de gaz, construisent de nouvelles centrales à charbon ou infrastructures de transport nécessaires à l’ouverture de nouvelles réserves d’énergies fossiles ou au déplacement de pétrole et de gaz non conventionnels.

Les banques centrales devraient adopter une politique d’investissement comportant 1) un engagement général à s’aligner sur une trajectoire de 1,5°C et à sortir des énergies fossiles d’ici 2050 ; 2) une politique qui interdit les investissements dans les entreprises qui développent de nouveaux projets de production d’énergies fossiles ; 3) une politique de sortie du charbon alignée sur l’Accord de Paris ; 4) une politique concernant le pétrole et le gaz non conventionnels (7). Le Network for Greening the Financial System (NGFS) ne peut pas se contenter de recenser les politiques d’investissement des banques centrales comme il le fait aujourd’hui. Il doit les pousser à adopter ces recommandations.

Notes:

(1) La politique utilisée par la Banque nationale suisse et la Banque de Slovénie se concentre uniquement sur le charbon et ne garantissent pas la fin du soutien aux développeurs du charbon, ni aux entreprises qui produisent des quantités importantes de charbon ou d’électricité à base de charbon. La Bundesbank n’utilise qu’un seul critère sur les énergies fossiles et uniquement sur certains des portefeuilles qu’elle gère pour des tiers, et ce critère semble truffé de failles (il ne concerne notamment pas le gaz fossile).

(2) Une analyse complète de la politique de la Banque de France est disponible dans l’annexe du rapport.

(3) L’Allemagne, l’Italie et la Banque centrale européenne (BCE) publient certaines informations sur leur politique mais ne fournissent pas la liste détaillée des critères utilisés. La BCE a récemment rejeté une demande d’information de Reclaim Finance visant les critères utilisés pour ses portefeuilles non monétaires sur lesquels elle publie uniquement des informations sommaires sur l’achat d’obligations vertes et l’utilisation d’indices de référence « à faible émission de carbone ».

(4) Les banques centrales d’Autriche, de Belgique, d’Espagne, du Portugal et d’Irlande ne publient que peu ou pas d’informations sur leurs politiques d’ISR. Elles se contentent de dire qu’elles appliquent des politiques d’ISR, sans décrire les critères – ni même l’objectif – qu’elles fixent.

(5) Les meilleures pratiques concernant le charbon sont détaillées dans le Coal Policy Tool de Reclaim Finance.

(6) Cette nécessité a notamment été soulignée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

(7) Les recommandations pour les politiques d’investissement des banques centrales sont détaillées dans la conclusion du rapport.