L’AMF et l’ACPR ont publié en décembre 2021 leur deuxième rapport commun de suivi des engagements climatiques des institutions financières françaises. Leurs constats dévoilent une nouvelle fois la confusion générale qui règne sur les critères et le suivi des politiques par lesquelles les acteurs entendent s’engager pour le climat. Ils révèlent également que les prétentions à accompagner la transition qu’ils mettent lourdement en avant ne recouvrent aujourd’hui aucune réalité tangible. Il est grand temps que les régulateurs en tirent les conséquences et assument pleinement leur mission de contrôle, sans quoi les engagements dits « climatiques » du secteur financier ne resteront qu’un vaste exercice de greenwashing toléré.

Engagements « climatiques » : la confusion générale

Comme nous avions pu le souligner lors de la parution du pré-rapport publié en octobre 2021 – focalisé sur les politiques d’exclusion et l’exposition des acteurs aux actifs fossiles – les constats opérés révèlent la confusion extrême qui entoure les ambitions climatiques des acteurs financiers.

Les régulateurs notent une profusion d’objectifs annoncés, de périmètres couverts, de critères d’exclusion et de méthodologies, laquelle contredit la simplicité des constats scientifiques également rappelés (p. 28) : en l’état actuel de la science, la fin progressive du soutien financier au secteur fossile et, dès maintenant, à son expansion est nécessaire pour préserver le climat.

La simple évaluation de l’exposition des acteurs financiers aux énergies fossiles oblige les régulateurs à d’importantes précautions rédactionnelles, pointant « un déficit méthodologique majeur » et l’impossibilité de présenter autre chose que des ordres de grandeur.

Et même sur le charbon, pourtant scruté en France depuis des années, les régulateurs constatent des insuffisances relatives au périmètre (avec une gestion passive qui échappe globalement aux mesures d’exclusion), à l’absence de définition de la notion de « développeur  » ou encore au fait que « la fixation d’une date définitive de sortie s’accompagne rarement d’une description des étapes intermédiaires permettant de préparer une telle sortie  ».

Dans ce brouillard, inutile d’espérer des acteurs qu’ils ne violent pas leurs propres politiques, ainsi que nous l’avons récemment mis en avant concernant le Crédit Agricole.

Les hydrocarbures conventionnels, angle mort des engagements

S’agissant du pétrole et du gaz, les régulateurs soulignent la faiblesse des politiques, souvent limitées au secteur des hydrocarbures non-conventionnels, dont les acteurs ont été appelés à se détourner par les autorités (1).

La définition de ces hydrocarbures pose elle-même difficulté. Les approches hasardeuses ou arbitrairement choisies par les acteurs se multiplient. Les régulateurs appellent donc à une plus grande prise en compte du cadre issu de la récente prise de position du Comité scientifique de l’Observatoire de la finance durable, lequel présente un niveau d’ambition élevé.

Surtout, ils relèvent qu’à de rarissimes exceptions près, les hydrocarbures conventionnels ne font toujours pas l’objet d’un traitement systématique dans les politiques sectorielles des acteurs financiers.

En particulier, l’exclusion des entités développant de nouveaux projets de production pétrolières et gazière n’est globalement pas intégrée, alors qu’elle découle des constats de l’AIE, repris par les régulateurs (p.28).

Dès lors, s’ils insistent sur le fait « qu’il parait aujourd’hui essentiel que les banques et les assurances intègrent davantage les recommandations de [l’AIE] dans leur stratégie et leurs politiques pétrole-gaz  » – ce qui va au-delà de l’arrêt de l’expansion – ils recommandent aux acteurs, « à l’image de ce qui est fait dans certains établissements et en lien avec les conclusions récentes de l’Agence internationale de l’énergie, d’expliciter l’approche adoptée à l’égard des investissements ou des crédit consentis dans de nouveaux projets de développement de l’offre de charbon de gaz, de pétrole . »

Cet appel aux acteurs financiers doit sonner comme un avertissement : l’association d’une ambition climatique à une politique sectorielle exige que celle-ci soit mise en cohérence avec le dernier état de la science, sous peine de se voir reprocher son caractère inexact voire trompeur.

A cette fin, le cadre fourni par la GCEL ou la GOGEL de l’ONG Urgewald constitue un point de référence essentiel, largement intégré par les régulateurs dans leur analyse.

L’accompagnement de la transition, un voile au service de l’inaction

Le dialogue et/ou de l’engagement étant souvent mis en avant par les acteurs financiers, notamment pour les opposer à la cessation de leur soutien aux acteurs nuisibles au climat, ils font l’objet d’une étude spécifique.

Les régulateurs relèvent que « afin que ces politiques d’accompagnement ne deviennent pas une simple déclaration de principe permettant de maintenir des actifs à forte intensité carbone dans le bilan des institutions financières, il convient d’attester l’effectivité et l’impact des dispositifs mis en place par les banques et les assurances pour inciter leurs contreparties à s’engager véritablement dans ces stratégies annoncées .« 

Et les conclusions de leur analyse sont sans appel : faiblesse des actions concrètement menées, limite des ressources affectées en interne, rareté des stratégies d’escalade en l’absence de résultat, absence de suivi précis et systématisé.

S’agissant des banques et assurances, « pour la plupart des organismes, les modalités d’action des politiques d’accompagnement relèvent aussi pour l’heure davantage de la communication que d’une politique d’escalade préalablement établie, qui décrirait les différentes étapes et actions correspondantes dans le dialogue avec les contreparties . »

Et concernant les SGP, « au vu des premières analyses menées et des informations collectées, il apparaît que les enjeux climatiques émergent dans les pratiques, mais ce thème n’apparaît pas comme un axe majeur des actions d’engagement et de vote.« 

Ainsi, à l’instar de nos propres observations, cette analyse confirme que les stratégies dites d’accompagnement de la transition ne correspondent actuellement à aucune réalité tangible. Elles ne peuvent donc pas être raisonnablement opposées par les acteurs financiers comme un substitut à la cessation du soutien aux principaux responsables de la crise climatique.

Après le temps des constats doit venir celui des contrôles

Les régulateurs précisent que le cadre d’analyse qu’ils développent dans le rapport n’est qu’un premier recensement de pratiques devant « à terme, être complété par d’autres travaux permettant d’évaluer l’impact effectif sur l’atténuation du réchauffement climatique. »

Pourtant, ils relèvent aussi que la grande majorité des acteurs analysés a désormais pris des engagements publics sur des objectifs climatiques précis (neutralité carbone, limitation 1,5° etc.), dont la réalisation passe par des actions qui, à tout le moins, ne viennent pas contredire le dernier état de la science (2).

Concernant les acteurs financiers, elle se traduit au minimum par la cessation du soutien aux « développeurs  » fossiles et la conduite de politiques effectives de sortie du charbon, focalisées sur la fermeture d’actifs et non leur simple cession.

Le tableau dressé dans le rapport montre qu’il serait naïf d’attendre du secteur qu’il prenne ces mesures dans les délais requis, y compris à travers ses fédérations de place.

On se rappelle ainsi comment, sur la difficile question des hydrocarbures non-conventionnels, la FBF se félicitait récemment de porter une déclaration commune des acteurs, alors qu’elle n’en retenait en fait que le plus petit dénominateur commun.

Dès lors, au-delà de ce premier recensement, nécessaire mais insuffisant, nous appelons les autorités de régulation à aller au bout de leur mission de contrôle en demandant des comptes à ces acteurs. La détérioration du climat n’attendra pas qu’ils avancent à leur rythme lent, le temps des constats d’insatisfaction est bien passé, c’est désormais à la supervision de jouer pleinement son rôle.

Notes :

  1. Discours de Bruno Le Maire au Climate Finance Day 2020; Concernant les investisseurs, cf. art. 29 LEC et son décret d’application.
  2. Par exemple, pour de premiers éléments de cadrage sur le sens de ces engagements : ADEME (2021), Avis sur la neutralité carbone.