Décryptage pré-AG (& réaction post-AG à venir) ↓

L’opposition monte face au plan climat défaillant que TotalEnergies soumettra demain au vote consultatif de ses actionnaires lors de son assemblée générale (AG). Les Assurances du Crédit Mutuel et Crédit Mutuel AM, filiales du cinquième groupe bancaire français, ont annoncé aujourd’hui qu’elles voteront contre ce plan, rejoignant huit autres investisseurs ayant déjà fait part de leur opposition. L’AG de TotalEnergies ce 25 mai sera un test décisif pour déterminer la crédibilité et l’efficacité de “l’engagement actionnarial” : les investisseurs ont-ils la volonté, le courage et les moyens de réellement accompagner la transition des entreprises dont ils sont actionnaires ? A la veille d’une AG cruciale pour le climat, Reclaim Finance présente un récapitulatif des enjeux et du positionnement des investisseurs.

Les actionnaires plébisciteront-ils un plan climat défaillant ?

Comme l’année dernière, TotalEnergies prévoit de consulter ses actionnaires sur son plan climat. En 2021, ce plan à la fois incomplet et incompatible avec l’urgence climatique avait pourtant été approuvé avec 92% de voix favorables. Certains grands investisseurs comme AXA ou BlackRock l’avaient soutenu pour saluer la démarche de consultation proposée par TotalEnergies, tout en indiquant explicitement qu’ils souhaitaient que l’entreprise continue à rehausser rapidement ses ambitions climatiques (1).

Le plan “climat” présenté par TotalEnergies cette année reste défaillant. La coalition Climate Action 100+, qui regroupe plus de 700 investisseurs et $68 000 milliards d’actifs, indique que TotalEnergies ne présente pas de cibles de baisse des émissions à court et moyen termes alignées sur l’objectif de limitation du réchauffement à 1.5°C, ni ne s’engage à aligner ses investissements sur cet objectif (2). Surtout, TotalEnergies continue à développer de nouveaux projets pétroliers et gaziers, ce que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) considère incompatible avec l’objectif de 1,5°C. Avec 70% de ses investissements liés aux énergies fossiles et 20% consacrés à l’exploration et à de nouveaux projets, TotalEnergies est le premier développeur d’hydrocarbures en Europe et le septième au monde (3). Un rapport publié aujourd’hui montre que les émissions cumulées de Le Guardian révélait récemment que TotalEnergies est impliquée dans plus d’une vingtaine de “bombes carbone” – des mégaprojets fossiles qui dépassent à eux-seuls le budget carbone de la planète (4). De fait, TotalEnergies aura consumé son budget carbone compatible avec l’objectif 1,5°C dès 2035 et aura émis près de 32% de gaz à effet de serre en excédent par rapport à ce budget en 2050.

Depuis le début de la saison des AG 2022, plusieurs plans climats défaillants ont déjà été approuvés par les actionnaires de Repsol, Equinor et BP. Il y a un fort risque que TotalEnergies obtienne un même blanc-seing, avec la complicité d’investisseurs soucieux de se donner l’apparence d’une action climatique mais qui ne se préoccupent pas du niveau d’ambition réel – et clairement insuffisant – de l’entreprise.

Des investisseurs à la pointe de l’engagement… et d’autres silencieux

Heureusement, certains investisseurs se montrent exigeants et remettent en cause la stratégie climatique de TotalEnergies.  Les Assurances du Crédit Mutuel et Crédit Mutuel Asset Management ont annoncé aujourd’hui leur intention de voter contre le plan “climat” de TotalEnergies. Ils rejoignent un groupe de huit autres investisseurs qui ont déjà fait part de leur opposition à ce plan (5). L’année dernière, d’autres investisseurs importants s’étaient aussi opposés au “Say on Climate” de TotalEnergies (Legal & General, Generali, Schroders, UBS, etc.) et devraient logiquement reconduire leur position cette année. Climate Action 100+ a également signalé à ses membres que le vote du plan de TotalEnergies présentait des enjeux particulièrement sensibles pour le climat.

Au-delà d’un vote contre des plans climat défaillants, des investisseurs commencent également à tenir les administrateurs responsables de l’échec climatique de TotalEnergies. La Financière de l’Echiquier et OFI AM ont annoncé qu’ils voteraient contre le renouvellement de tout ou partie des administrateurs de l’entreprise. LFDE s’opposera uniquement à la réélection de Jean Lemierre, administrateur de TotalEnergies et président de BNP Paribas qui « ne présente pas les compétences nécessaires pour challenger la stratégie climatique de TotalEnergies » et pourrait avoir un « conflit d’intérêts sur la question de l’arrêt des financements, par BNP Paribas, des nouvelles exploitations d’énergies fossiles ». Quant à OFI AM, il s’oppose au renouvellement de l’intégralité des administrateurs (6).

Les principaux investisseurs de TotalEnergies à l’international (BlackRock, Vanguard, State Street) et en France (Amundi, AXA, BNP Paribas) ont refusé de communiquer leur vote en amont de l’AG, alors que plusieurs d’entre eux (AXA, Amundi) l’avaient pourtant fait l’année dernière – votant tous en faveur du plan de TotalEnergies. La société civile, les propres actionnaires de ces acteurs financiers et même leurs clients se mobilisent depuis plusieurs semaines pour appeler ces acteurs à ne pas valider le plan climat de TotalEnergies. Le silence de ces acteurs est étonnant et inquiétant dans la mesure où ils sont les premiers à mettre en avant les mérites de l’engagement actionnarial – en l’opposant parfois de manière simpliste au désinvestissement – mais tardent à le concrétiser en acte – BlackRock a même annoncé qu’il soutiendra moins de résolutions climatiques actionnariales cette année.

Cette semaine marque la dernière ligne droite de la saison des AG pour les entreprises pétro-gazières. En plus de TotalEnergies, Shell, ExxonMobil ou encore Chevron tiennent leurs AG ces jours-ci. Votes sur les plans climat présentés par les entreprises, résolutions climatiques actionnariales, appel à s’opposer au renouvellement des administrateurs : le climat est au centre de tous ces rendez-vous. Pour les actionnaires de TotalEnergies qui sont réellement soucieux du climat, la feuille de route est simple : voter contre le plan climat défaillant de l’entreprise et sanctionner les administrateurs qui ont validé sa stratégie d’expansion fossile.

Notes :

  1. Voir la communication de BlackRock et celle d’AXA.
  2. Voir le Net Zero Company Benchmark publié par Climate Action 100+
  3. Un rapport publié aujourd’hui par Oil Change International montre que TotalEnergies est la major qui émettra le plus de CO2 entre 2022 et 2025 du fait des nouveaux investissements qu’elle approuvera sur cette période.
  4. Cette liste est par ailleurs déjà très conservatrice puisqu’elle prend uniquement les 0,7% de projets de production (upstream) les plus importants et n’inclut pas des infrastructures comme les pipelines où les terminaux LNG.
  5. MN et Meeschaert Amilton AM (chargés de coordonner le dialogue entre TotalEnergies pour Climate Action 100+), CNP Assurances, OFI AM, Edmond de Rothschild AM, La Financière de l’Echiquier, Sycomore AM et Mandarine Gestion
  6. Du fait de leur responsabilité dans la validation des “choix stratégiques en matière de climat” ainsi que pour dénoncer des problèmes de gouvernance – notamment le rejet par TotalEnergies d’une résolution climatique déposée par des actionnaires.