Sortir du charbon sans même contribuer à la décarbonation de la planète est possible, et c’est exactement ce que fait l’entreprise ENGIE depuis qu’elle s’est engagée à réduire son activité charbon en 2015. Pour éliminer rapidement le charbon de son portefeuille, l’entreprise d’électricité française remplace le problème par un autre : elle a largement recouru à la vente de ses actifs charbonniers et à leur conversion à d’autres sources d’énergie polluantes comme le bois et le gaz fossile, au lieu de les fermer. Non seulement cette stratégie n’est pas conforme à une trajectoire de 1,5 °C, mais elle manque également de transparence et risque de mettre en danger les écosystèmes et les communautés locales.

Une sortie du charbon « trop belle pour être vraie”

Pour limiter le réchauffement climatique, le parc électrique mondial de charbon doit être arrêté au plus tard en 2040. Pourtant, de nombreuses entreprises, comme ENGIE, optent pour un moyen plus facile de décarboner leur portefeuille : la vente de leurs centrales à charbon. Cette stratégie présente de nombreux avantages pour elles : elles semblent prendre des mesures décisives et rapides pour le climat, tout en évitant d’être responsables des dommages environnementaux causés par des années d’exploitation du charbon et la reconversion des travailleurs.  

Un nombre croissant d’investisseurs et d’institutions financières qui se font entendre s’opposent publiquement au désinvestissement, considéré comme une stratégie climatique inefficace, et promeuvent au contraire l’engagement, seul moyen d’obtenir des changements dans le monde réel. Pourtant, aucune critique n’a été entendue et aucune mesure ne semble avoir été prise par les investisseurs concernant l’élimination progressive du charbon par ENGIE.    

ENGIE a vendu 16 centrales à charbon depuis la COP21, ce qui représente 60 % de la réduction totale de sa capacité de production au charbon (1). Pour n’en citer que quelques-unes, ENGIE a vendu quatre centrales à charbon en Allemagne et aux Pays-Bas à Riverstone Holdings, une société de capital-investissement douteuse qui continue à les exploiter. Plus récemment, ENGIE a vendu ses deux centrales à charbon restantes au Brésil, les centrales Jorge Lacerda et Pampa Sul. ENGIE cherche actuellement à vendre sa centrale à charbon de Safi au Maroc.  

Du charbon à la biomasse et au gaz fossile

La vente est la principale, mais pas la seule, stratégie utilisée par ENGIE pour éliminer rapidement le charbon de son portefeuille. L’entreprise s’est tournée vers la biomasse solide malgré les avertissements croissants des scientifiques et des ONG selon lesquels il ne s’agit pas d’une énergie neutre en carbone. Au Chili, ENGIE travaille à la conversion au bois des centrales à charbon Andina et Hornitos, qui devrait être achevée d’ici à la fin de 2024 (2).  

Toujours au Chili, ENGIE va convertir au gaz fossile la centrale à charbon IEM. Cette conversion du charbon au gaz n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un plan climatique d’entreprise qui s’appuie excessivement sur le gaz fossile sous le faux prétexte qu’il s’agit d’une énergie de transition (3) 

Des conversions biomasse et gaz chargées d’opacité

ENGIE a confirmé aux investisseurs ses plans de conversion au Chili il y a plus d’un an. Cependant, l’entreprise n’a pas pris la peine d’expliquer comment seront fournis la biomasse solide et le gaz fossile pour les trois centrales.   

Chile Sustentable et Biofuelwatch ont récemment publié une note d’information analysant et remettant en question la conversion au bois des centrales à charbon Andina et Hornitos au Chili. Alors qu’ENGIE affirme que les deux centrales utiliseront des granulés de bois ou des copeaux de bois, le briefing des ONG conclut qu’aucune des deux options ne convient. En raison de la grande quantité de bois nécessaire pour faire fonctionner les centrales, l’approvisionnement en granulés ou en copeaux de bois causerait des dommages importants aux forêts et aux écosystèmes – soit au Chili, soit dans d’autres pays s’ils étaient importés – tout en créant des conflits dans les communautés locales et des tensions sur les marchés locaux (4).  

ENGIE doit également clarifier l’origine du gaz fossile qu’elle utilisera pour la troisième centrale à charbon en cours de conversion au Chili, la centrale IEM, car cela risque d’être du gaz de schiste (5) sous forme de GNL provenant des États-Unis (6) ou transporté par gazoduc depuis Vaca Muerta en Argentine.  

Ces problèmes soulignent certaines des incohérences des plans de transition d’ENGIE. Les investisseurs qui s’engagent auprès d’ENGIE devraient accroître la pression, car l’entreprise n’a clairement pas réussi à proposer une sortie crédible et responsable du charbon. Les investisseurs devraient insister pour que l’entreprise abandonne ses plans de vente et de conversion restants et opte pour la fermeture. De plus, comme la fausse sortie du charbon d’ENGIE n’est qu’un élément d’un plan climatique d’entreprise inadéquat, les investisseurs devraient exiger plus de transparence et d’ambition dans le plan climatique de l’entreprise (7). En particulier, ils devraient exiger qu’elle ne dépende pas du gaz fossile en prétendant faussement qu’il s’agit d’une énergie de transition.   

Notes:

  1. L’équivalent de 12,5 GW.
  2. Parmi les entreprises européennes de services publics, ENGIE est celle qui prévoit les plus grandes augmentations de capacité de production de biomasse. Quelques autres exemples de biomasse : ENGIE, dans le cadre de la coentreprise TrustEnergy a tenté de convertir la centrale à charbon de Pego au Portugal en bois massif en 2021. Fortement contesté par les ONG locales, le projet a heureusement été annulé, le jury de l’appel d’offres ayant privilégié un autre projet axé sur le solaire, l’éolien, le stockage sur batterie et l’hydrogène vert. De même, en 2010, ENGIE a converti la centrale électrique à charbon Max Green-Rodenhuize, en Flandre (Belgique), à la biomasse solide. La centrale brûle des granulés importés principalement des États-Unis, du Canada et, avant les sanctions de l’UE, de Russie. Le ministre flamand de l’environnement s’est montré très critique à l’égard de cette centrale par le passé.
  3. Parmi les entreprises européennes de services publics, ENGIE détient actuellement la plus grande capacité de production d’électricité à partir de gaz. ENGIE prévoit toujours d’étendre ses capacités gazières en Australie, en Belgique, au Brésil et en Italie. Et ce, malgré les conclusions scientifiques indiquant que pour limiter le réchauffement à 1,5°C, toutes les centrales électriques à énergies fossiles doivent être fermées d’ici 2035 pour les pays de l’UE/OCDE.
  4. Selon l’exposé de Chile Sustentable et Biofuelwatch, la capacité de production de granulés de bois existante au Chili ne fournirait de la matière première que pour 25 jours de fonctionnement des deux usines. En outre, la concurrence des pellets locaux pour le chauffage résidentiel épuiserait le marché national, qui a déjà eu du mal à répondre à sa demande au cours des deux dernières années. L’importation de pellets ne ferait probablement que déplacer les dommages environnementaux. Le commerce mondial des granulés de bois est dominé par les granulés produits en Colombie-Britannique (C.-B.), au Canada, et dans le sud-est des États-Unis, deux régions où les granulés proviennent régulièrement de coupes à blanc de forêts à forte biodiversité et, en Colombie-Britannique, même de forêts primaires. Dans le cas des copeaux de bois, les ONG ont estimé que les deux usines consommeraient plus de 100 000 hectares de plantations d’eucalyptus par an (plus de 9 fois la surface de Paris). Non seulement ces plantations en monoculture causent de profonds dommages à la biodiversité, altèrent le cycle de l’eau et créent des conflits avec les communautés rurales et indigènes, mais elles entrent également en concurrence avec l’industrie de la pâte et du papier du pays pour cette ressource brute.
  5. La production d’hydrocarbures de schiste a un impact direct sur les populations : dès aujourd’hui, elles sont déjà touchées par des risques de pollution des réserves d’eau potable et d’exposition à des composés toxiques issus de cette industrie, ainsi que par une activité sismique accrue et une concurrence pour l’eau.
  6. ENGIE achète déjà du gaz aux États-Unis. En décembre 2021, il a été découvert qu’ENGIE avait signé – et dissimulé à ses investisseurs – un contrat d’approvisionnement de 10 ans en GNL américain. Depuis lors, le contrat a été prolongé de 10 à 20 ans. Plus alarmant encore, ENGIE n’avait même pas cherché à évaluer l’impact climatique de ce contrat, se contentant d’une évaluation future, à venir après la signature de l’accord.
  7. Lisez notre analyse du Say on Climate d’Engie et nos demandes pour les investisseurs d’Engie dans le cadre de l’assemblée des actionnaires de 2022 qui s’est tenue en avril.