L’art de noyer le poisson par BNP Paribas (bis repetita)

Le rapport Banking on Climate Chaos 2023 (BOCC), publié jeudi 13 avril par Reclaim Finance et six autres ONG (1), démontre notamment le rôle de la BNP Paribas dans le financement massif de l’expansion des énergies fossiles, source principale du dérèglement climatique. La banque française n’a pas tardé à contre-attaquer : si elle rappelle les mesures adoptées sur le secteur, elle attaque avant tout la méthodologie du rapport, une manière assez classique pour détourner l’attention de son échec à aligner ses pratiques avec ses engagements en matière climatique (2). Reclaim Finance répond aux principales critiques et défend une méthodologie parfaitement transparente et rodée depuis 2016.

Une “méthodologie biaisée” ?

BNP Paribas critique une méthodologie qui n’a pourtant pas changé depuis 2016. La banque française la déplore quand celle-ci illustre son soutien problématique et croissant aux entreprises développant de nouveaux projets fossiles, mais cela ne l’a nullement empêché de mettre en avant le rapport par le passé (2) quand les chiffres étaient à son avantage. (3)

Des doubles comptages ou surestimations ?

BNP Paribas considère qu’au moins 5,6 milliards de dollars lui seraient “attribués à tort”. Notons déjà que cela laisserait tout de même 15 milliards de financements aux énergies fossiles en 2022 et que les autres banques, y compris JPMorgan Chase, le plus gros financeur aux énergies fossiles depuis 2016, ne contestent pas les chiffres.

Mais tentons d’expliquer les potentiels arguments soulevés par BNP Paribas.

Tout d’abord, BNP Paribas met en avant les risques de doubles comptages. Or le rapport évalue les flux et non les stocks, les montants reportés en année N ne sont donc pas reportés en année N+1 (4).

BNP Paribas parle aussi de surestimations, notamment liées à l’allocation globale à la banque de prêts syndiqués. BNP Paribas fait ici référence à la méthodologie des League tables de Bloomberg utilisées pour le rapport. Si elles mettent l’accent sur les banques qui jouent un rôle de premier plan dans la mise sur le marché de nouvelles transaction (mais ne leur allouent pas la totalité des montants comme BNP Paribas le laisse entendre), les League tables de Bloomberg constituent un outil reconnu et très largement utilisé par les banques elles-mêmes puisque ce sont elles qui fournissent les informations primaires.

A noter enfin et surtout que notre rapport ne compte pas les financements octroyés de manière bilatérale et qui n’ont donc pas été référencés par les fournisseurs de données financières comme Bloomberg. Les montants indiqués dans le rapport sont donc certainement sous-estimés et non sur-estimés.

Un gonflement artificiel des chiffres dû à l’intégration d’un plus grand nombre d’entreprises ?

BNP Paribas pointe l’ajout de centaines d’entreprises dans l’édition 2023 du rapport. Cela expliquerait d’après elle l’augmentation de 22% de ses financements aux énergies fossiles entre 2021 et 2022.

En effet, l’édition 2023 compte 3 210 entreprises quand celle de 2022 en compte 2 700 entreprises. Mais les chiffres des financements annuels reportés de l’édition 2023 portent tous bien sur le même nombre d’entreprises, ce qui explique que le montant reporté pour l’année 2021 dans l’édition 2022 (5) est inférieur à celui de l’édition 2023. Les augmentations reportées ne sont donc pas dûes à une évolution du périmètre du rapport.

L’intégration à tort des obligations ?

D’après l’article du Monde, les banques considéreraient qu’”assimiler un prêt à une entreprise et un rôle d’intermédiaire dans une émission obligataire revient ainsi à agréger des activités trop différentes l’une de l’autre”.

Si cela n’est pas précisé, un tel propos provient très certainement de la Fédération Bancaire Française (FBF), décidée à être plus royaliste que le roi. En effet, les banques elles-mêmes reconnaissent depuis bientôt dix ans que les émissions obligataires font partie intégrante des financements aux énergies fossiles. Ces services financiers sont couverts par leurs règles d’exclusion, au même titre que les prêts, et les banques comme BNP Paribas indiquent vouloir les intégrer aussi à leurs cibles de décarbonation dès que les méthodologies requises seront disponibles.

Des financements à la transition comptabilisés à tort ?

Selon BNP Paribas, des financements à la transition auraient été comptabilisés à tort dans le rapport.

Il n’en est rien : seule une partie des financements accordés par une banque à chaque entreprise couverte par le BOCC est comptabilisée. Cette partie est équivalente à la part des activités de l’entreprise dans les énergies fossiles au moment de la transaction. Par exemple, sur les 542 millions de dollars accordés par BNP Paribas à EDF en 2022, seuls 106 millions ont été comptabilisés afin de refléter la part des énergies fossiles dans les activités d’EDF.

Profitons-en pour rappeler que BNP Paribas a accordé 5,5 milliards de dollars de financements aux 100 plus gros développeurs d’énergies fossiles rien qu’en 2022, un montant qui s’élève à 64 milliards depuis 2016 et qui s’explique en grande partie par le soutien massif apporté par la banque aux 9 des plus grandes entreprises pétro-gazières américaines et européennes – BNP Paribas étant la première banque de Shell, ENI, BP et la deuxième banque à financer le plus TotalEnergies. L’analyse de leur production à venir et de l’allocation de leurs dépenses d’investissements indique pourtant qu’elles demeurent orientées avant tout vers les énergies fossiles.

L’absence de reconnaissance des financements aux renouvelables ?

Comme la FBF, BNP Paribas déplore l’absence de reconnaissance des financements accordés par les banques aux renouvelables, lesquels placeraient BNP Paribas en tête des banques à financer le plus les énergies “bas carbone”. Elle indique au journal Le Monde que ses encours de crédits liés aux renouvelables, au biofioul et au nucléaire étaient de 28,2 milliards, contre 23,7 milliards pour le pétrole, le charbon et le gaz fin septembre 2022. S’il est possible de souligner l’intégration d’énergies non soutenables dans ce montant, celui-ci ne porte que sur les crédits et oublient donc une partie conséquente des financements à l’énergie.

De plus, il faut rappeler que les financements aux solutions ne sauraient compenser des financements à l’expansion des énergies fossiles. Dans son scénario 1,5°C, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projette que 9 dollars doivent être investis dans la transition pour chaque dollar investi dans les énergies fossiles : 5 dans la production et la distribution d’une énergie durable et 4 dans l’efficacité énergétique et les usages finaux d’ici 2030. Or d’après une étude menée par BloombergNEF (6), en 2021, pour chaque dollar alloué aux énergies fossiles, la BNP Paribas en octroyait à peine 1,7 dans la production d’énergies « propres”.

Quand la FBF évoque nos “chiffres fantaisistes”, nous soulignons l’absence totale de transparence de BNP Paribas et des autres banques quant à leurs financements aux énergies fossiles. Nous les appelons donc à publier chaque année les montants alloués aux entreprises du secteur énergétique, et ce de manière exhaustive, couvrant les financements syndiqués et bilatéraux, et les émissions de titres autant que les prêts. Plus fondamentalement, nous appelons BNP Paribas à ne plus accorder de soutiens directs à de nouveaux projets de production et du transport du pétrole et du gaz et à conditionner ses soutiens aux entreprises à un arrêt du développement de ces nouveaux projets. Si ses engagements à travers la Net-Zero Banking Alliance et notamment l’adoption de cibles de décarbonation à l’horizon 2030 vont dans le bon sens, ces cibles sont truffées de failles et demeurent intrinsèquement insuffisantes pour permettre un arrêt des soutiens de la banque à l’expansion pétro-gazière.

Notes

  1. Voir le rapport Banking On Climate Chaos 2023 et notre communiqué de presse : Reclaim Finance, Les banques européennes figurent parmi les principaux moteurs de l’expansion fossile, Avril 2023. 
  2. Lire les réactions de BNP Paribas dans les articles suivants : Les Echos, BNP Paribas conteste la méthodologie des ONG sur le financement des énergies fossiles, Avril 2023 & Le Monde, Les banques continuent de financer largement le secteur des énergies fossiles, Avril 2023. 
  3. Pour plus d’informations sur la méthodologie du rapport, voir la FAQ à télécharger ici. 
  4. Voir le rapport Banking On Climate Chaos 2022
  5. BNP Paribas, Transition énergétique : BNP Paribas en tête des banques selon les ONG, mars 2018. A noter que BNP Paribas peut diminuer son exposition aux énergies fossiles d’une année sur l’autre, notamment du fait de l’arrivée à maturité de certains prêts ou de la transformation de certains d’entre eux en obligations (qui sont ensuite vendues sur le marché et sorties de son bilan), tout en continuant d’injecter de l’argent frais dans les énergies fossiles, ce que notre rapport évalue. 
  6. Bloomberg NEF, Financing the Transition: Energy Supply Investment and Bank Financing Activity, Février 2023
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2023-04-21T12:14:41+02:00