AG 2023 : Les actionnaires des entreprises pétro-gazières ne votent pas pour le climat

Malgré l’urgence climatique, la saison des assemblées générales 2023 s’achève sans aucune avancée pour la transition des géants de l’énergie. Les votes des actionnaires ont échoué à pousser les entreprises à adopter de réelles stratégies climatiques. Les Say on Climate, insuffisants, ont tous été approuvés largement, tandis que les résolutions actionnariales plus ambitieuses sur le plan climatique ont été rejetées, et les investisseurs n’ont pas intégré les questions climatiques dans les votes de routine. Ces votes sont en contradiction totale avec les recommandations scientifiques et les projections de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Reclaim Finance appelle les investisseurs à renforcer leurs pratiques d’engagement actionnarial, en adoptant de réelles sanctions à l’égard des entreprises qui poursuivent l’expansion pétro-gazière, notamment en refusant de leur octroyer de nouveaux investissements. 

Reclaim Finance a analysé les votes aux assemblées générales de 9 entreprises pétro-gazières : BP, Chevron, ConocoPhillips, Equinor, Eni, ExxonMobil, Repsol, Shell, et TotalEnergies. 

Une occasion manquée de sanctionner des stratégies climaticides

Cette année, seuls Shell, Repsol et TotalEnergies ont proposé un vote Say on Climate, à travers lequel les actionnaires peuvent donner leur avis sur la stratégie climatique de l’entreprise et sa mise en œuvre. Les investisseurs ont validé très largement ces résolutions : 80% d’approbation pour Shell, 89% pour TotalEnergies et 98% pour Repsol. Pourtant, à l’heure actuelle, aucune d’entre elles n’est engagée dans une transition compatible avec un réchauffement à +1,5°C.Toutes poursuivent le développement de nouveaux projets pétro-gaziers et ont des objectifs de production en pétrole et gaz d’ici 2030 qui sont bien plus élevés que ce qui est requis dans le scénario Net Zero Emissions by 2050 (NZE) de l’AIE. Par ailleurs, elles prévoient d’allouer dans les prochaines années moins d’un tiers de leurs investissements dans les énergies renouvelables alors que le scénario NZE indique que 9 dollars doivent être investis dans la transition énergétique pour chaque dollar investi dans les énergies fossiles d’ici 2030. 

Le soutien des actionnaires aux Say on Climate

Les résultats élevés obtenus par ces résolutions parlent d’eux-mêmes : les actionnaires préfèrent récompenser les entreprises qui se prêtent au jeu du Say on Climate en votant en leur faveur, plutôt que de se prononcer sur le fond en votant contre des stratégies climaticides. Ces votes sont pourtant l’occasion de sanctionner des plans climat insuffisants et lacunaires, et d’envoyer un signal fort en demandant l’arrêt de l’expansion pétro-gazière. 

Des résultats décevants pour les résolutions climatiques actionnariales

Toutes les résolutions climatiques déposées par des groupes d’actionnaires minoritaires ont été rejetées aux assemblées générales des entreprises pétro-gazières. Les investisseurs échouent ainsi à démontrer la crédibilité de leur démarche d’engagement actionnarial et à envoyer un message clair à ces entreprises sur la nécessité de s’aligner avec un scénario 1,5°C. Les scores obtenus par ces résolutions varient en fonction de leurs demandes : celles réclamant plus de transparence obtiennent plus de soutien que celles exigeant un alignement de la stratégie climatique avec les recommandations scientifiques. Or, si la transparence est une étape indispensable pour s’assurer de la bonne trajectoire d’une entreprise, c’est l’alignement qui contribue réellement à limiter le réchauffement et devrait donc être au cœur des discussions entre investisseurs et entreprises pétro-gazières. 

Une résolution actionnariale, coordonnée par l’ONG Follow This et demandant un alignement des objectifs de réduction des émissions de scope 3 avec l’Accord de Paris, avait été déposée auprès de 5 entreprises pétro-gazières européennes et américaines. Toutes avaient appelé à voter les investisseurs à voter contre, en prétendant ne pas être responsable des émissions liées à la consommation de leurs produits, alors qu’elles ont bien une responsabilité dans la réduction de leurs émissions de scope 3. En moyenne, la résolution a obtenu le soutien de 17,5% des investisseurs, et n’est pas parvenue à progresser par rapport à l’année dernière [1]. Les résultats de cette résolution ont été faibles et en baisse aux Etats-Unis (10,5% pour ExxonMobil vs 27,1% en 2022, 9,6% pour Chevron, vs 32,6% en 2022) et en stagnation au Royaume-Uni (16,7% pour BP, 20,2% pour Shell). Ces performances sont catastrophiques au regard de l’urgence à agir pour lutter contre le réchauffement climatique. 

Le soutien des actionnaires à une résolution d’actionnaires demandant l’alignement de l’objectif de réduction des émissions de scope 3 de l’entreprise avec l’Accord de Paris

En revanche, à l’assemblée générale de TotalEnergies, la résolution a obtenu l’approbation de plus de 30% des actionnaires. Ce résultat atteste d’un manque de confiance croissant dans la crédibilité du plan climat de TotalEnergies. Cependant, un grand nombre de ces actionnaires, dont BNP Paribas Asset Management [2], affiche une incohérence dans leurs votes, en soutenant aussi bien la résolution climatique actionnariale que le Say on Climate. Il est urgent que ces acteurs changent d’approche et adoptent une position cohérente en faveur d’une trajectoire 1,5°C dans leurs votes.  

L’absence d’opposition dans les votes de routine

Il est impératif que les investisseurs se saisissent de tous les outils à leur disposition pour encourager les entreprises pétro-gazières dans la transition, y compris les votes de routine qui ont lieu lors des assemblées générales (renouvellement des membres du conseil d’administration, approbation de la rémunération, validation des comptes financiers, fixation des dividendes, etc). Cette année, les actionnaires ont pourtant soutenu à la quasi-unanimité les résolutions relatives à la gouvernance et la gestion courante de l’entreprise. En moyenne, la nomination des membres sortants du conseil d’administration a été soutenue à 91,7%, et les états financiers ont été approuvés à 99,5% alors qu’ils n’intègrent pas les risques liés au climat. Ces résultats montrent que les investisseurs ne votent pas pour faire du climat une priorité stratégique des entreprises. 

Le soutien moyen des actionnaires à la réélection des administrateurs

Alors que les assemblées générales constituent un moment clé de l’année pour le dialogue entre actionnaires et entreprises, les votes des investisseurs démontrent une incohérence flagrante entre leurs promesses d’utiliser l’engagement actionnarial pour limiter le réchauffement climatique et leurs actes. En refusant de s’opposer clairement à des plans climat non-alignés avec les recommandations scientifiques, les actionnaires sont autant responsables de l’aggravation du changement climatique que les entreprises pétro-gazières. A la veille du lancement du second cycle du Climate Action 100+ qui doit renforcer les pratiques d’engagement actionnarial, Reclaim Finance appelle les investisseurs à mettre en œuvre des sanctions plus fermes vis-à-vis de ces entreprises, par exemple en ne leur accordant plus de nouvelles obligations. 

Notes :

  1. Le recul du soutien des investisseurs à la résolution Follow This pourrait notamment s’expliquer par le contexte anti-ESG aux Etats-Unis, où les Républicains remettent en cause les fondamentaux de la prise en compte des critères environnementaux et sociaux dans les décisions d’investissement.
  2. Les votes des autres investisseurs, s’ils sont publiés, seront disponibles dans plusieurs semaines. 

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2023-06-07T17:29:36+02:00