Avec près de 2000 milliards d’euros d’encours, l’assurance-vie est de loin le premier produit d’épargne des Français. Et pourtant, peu d’épargnants savent aujourd’hui comment est investi leur argent. Reclaim Finance a donc dressé une première analyse des politiques d’investissement des 25 plus grands assureurs vie français (1). Bien que la très grande majorité ait cessé d’investir l’argent de leurs clients dans des entreprises développant de nouveaux projets charbon, plus de la moitié des assureurs vie analysés investissent encore dans des entreprises développant de nouveaux projets de production d’hydrocarbures. Plus préoccupant encore, leurs politiques d’investissement ne sont que très rarement appliquées à leur offre en unités de compte.
L’assurance vie est le produit d’épargne n°1 en France. Fin 2022, l’assurance vie représentait 33% des placements financiers des français bien loin devant l’épargne réglementée (14%) (2). Si près d’un ménage français sur deux dispose d’un contrat d’assurance-vie, peu connaissent la composition de leur contrat, que ce soit celle du fonds euro (support à capital garanti) ou celle des unités de compte (UC) (sélection de fonds d’investissement par le client, capital non garanti) (3).
Véritable boîte noire pour les épargnants français, l’assurance-vie fait l’objet de convoitise de la part du Comité de Financement de la Transition Écologique (CFTE). Réuni pour la première fois le 12 juillet dernier, ce comité a annoncé vouloir mobiliser chaque année 5 % des 3 000 milliards d’euros d’épargne de long terme des français – dont l’assurance vie – pour financer la transition écologique. Une ambition louable qui ne sera crédible que si cette épargne cesse en parallèle d’alimenter le dérèglement climatique.
Fonds euro : l’assurance vie soutient encore l’expansion pétro-gazière
Les assureurs font partie des plus gros investisseurs français, notamment à travers les investissements de leurs fonds euro (environ 77% de l’encours en assurance vie) (4). Majoritairement investis en obligations souveraines et d’entreprises (5), les investissements des fonds euro peuvent directement fournir de l’argent frais aux entreprises développant de nouveaux projets de charbon, de pétrole et de gaz.
Bien que 22 des 25 assureurs vie analysés soient déjà engagés, à travers leurs investissements du fonds euro, à ne plus investir dans des entreprises développant de nouveaux projets de charbon (6), le consensus est bien moins marqué du côté du pétrole et du gaz. Seuls 8 assureurs vie, comme CNP Assurances ou Société Générale Assurances, excluent désormais les entreprises développant de nouveaux champs de pétrole et gaz de leur univers d’investissement (7). Un chiffre bien insuffisant au regard des conclusions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui projette dans son scénario de neutralité carbone à 2050 (scénario Net Zero Emissions – NZE) l’arrêt du développement des nouveaux champs pétroliers et gaziers après 2021. L’AIE projette également dans son scénario NZE l’arrêt du développement de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL). Sur ce dernier point, un seul assureur se distingue : Suravenir (filiale d’assurance vie de Crédit Mutuel Arkéa) qui s’est engagé à ne plus investir, depuis le 1er janvier 2023, dans les entreprises développant de nouveaux terminaux de GNL (8).
Unités de compte : angle-mort des politiques d’investissement
Si les politiques d’investissement des assureurs vie s’appliquent bien à leur fonds euro, elles ne s’appliquent toujours pas leur offre en unités de compte. Autrement dit, les assureurs vie distribuent toujours des unités de compte composées d’actions ou d’obligations d’entreprises dans lesquelles ils refusent d’investir à travers leur fonds euro. Un angle mort d’autant plus problématique que les contrats d’assurance vie comportent une part en unités de compte qui tend à augmenter depuis plusieurs années. En effet, la part de la collecte annuelle brute (9) en assurance vie déposée sur les supports en unités de compte est passée de 12% en 2012 à 39% en 2021 (10).
Pour justifier l’absence des unités de compte du périmètre d’application de leurs politiques d’investissement, les assureurs vie mettent en avant la complexité de sa mise en œuvre : selon eux, appliquer leurs politique charbon, pétrole et gaz demande parfois un suivi de plusieurs centaines de fonds proposés dans leur offre et gérés par de nombreuses sociétés de gestion. Mais en réalité, rien n’empêche l’assureur vie de ne sélectionner que des fonds conformes à sa politique charbon et pétrole et gaz pour son offre en unités de compte.
Une telle mesure pourrait facilement être mise en place par les assureurs vie appartenant à un groupe dans lequel est rattaché une société de gestion comme Crédit Agricole Assurances et Amundi (11) ou encore AXA et sa filiale de gestion d’actifs AXA IM. Par ailleurs, il pourrait aller encore plus loin en ne commercialisant que des fonds de sociétés de gestion appliquant des politiques d’investissement conformes à la sienne.
Cette première étude des politiques d’investissements des grands assureurs vie français illustre le chemin qu’il leur reste à parcourir afin de gérer de manière plus responsable l’épargne qui leur est confiée. Appuyé par des propositions concrètes et une analyse du portefeuille des assureurs vie français, Reclaim Finance publiera prochainement un rapport au moment où le gouvernement ambitionne de mobiliser une partie de l’épargne des français pour financer la transition. Ce futur rapport viendra également répondre aux nombreuses questions des épargnants désireux de contracter une assurance vie qui protège financièrement leur futur sans compromettre celui des prochaines générations.