Pensioenfonds Zorg en Welzijn (PFZW), l’un des principaux fonds de pension néérlandais (10ème au monde, 217 milliards de dollars d’actifs sous gestion (1)) vient d’annoncer son désinvestissement de 310 entreprises du secteur pétro-gazier pour un montant de 2,8 milliards d’euros (2). La raison : PFZW ne croit plus en la capacité des entreprises comme TotalEnergies, Shell et BP “d’adapter leurs modèles économiques à l’Accord de Paris”. Applaudie par certains, cette annonce est aussi regrettée par d’autres qui la perçoivent comme un acte démissionnaire, la vente des titres détenus en portefeuille retirant d’après eux toute possibilité de les influencer. Entre le désinvestissement strict et l’engagement complaisant, Reclaim Finance propose une troisième voie : mettre fin à l’achat de nouvelles obligations tout en usant de son pouvoir d’actionnaire pour bloquer la stratégie climaticide des entreprises.
L’annonce de PFZW – qui impacte sa filiale de gestion d’actifs PGGM (3) – suit la décision de 2021 du fonds de pension des fonctionnaires néerlandais ABP de désinvestir ses 15 milliards d’euros du secteur des énergies fossiles (4) (soit 3 % de ses 460 milliards d’euros d’actifs (5), premier fonds de pension européen), ainsi que celle plus récente du Commissaire de l’Église d’Angleterre (12 Mds€ d’actifs) de désinvestir des entreprises qui n’ont pas une stratégie alignée sur l’objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C, incluant de facto les développeurs de nouveaux projets pétroliers et gaziers (6).
Chacune de ces décisions est motivée par le constat d’échec du dialogue actionnarial mené depuis plusieurs années auprès des entreprises du secteur pétro-gazier comme BP, Shell et TotalEnergies. Il leur est (enfin) apparu qu’il était vain d’attendre un changement de modèle de la part de ces entreprises. Et les faits leur donnent raison.
L’industrie pétro-gazière n’a pas de plan de transition
Il ne suffit pas de prétendre avoir un plan de transition pour être en transition.
En faisant l’analyse des 26 cadres méthodologiques publics liés à la conception et l’évaluation des plans de transition, Reclaim Finance a identifié les indicateurs indispensables pour garantir la crédibilité de ces plans ainsi que les signaux clés qui permettent d’alerter sur leurs insuffisances (7). Par exemple, pour ce qui est du secteur énergétique, un des signaux d’alerte est la poursuite de l’expansion fossile. Or, d’après l’ONG Urgewald (8), 96% des entreprises productrices de pétrole et de gaz continuent d’ouvrir de nouveaux champs. Parmi elles se trouvent les majors qui ont le pied appuyé sur l’accélérateur en matière de développement du GNL.
Et l’infraction de cette ligne rouge tracée par la science n’est qu’un exemple parmi d’autres. Alors qu’il y a urgence à amplifier les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, BP, suivi de Shell et TotalEnergies, ont fait marche arrière sur leurs ambitions climatiques (9). La supermajor française a même osé réhausser ses objectifs de production d’hydrocarbures (10), ce 4 mois après qu’un niveau inédit de 30% de ses actionnaires avaient voté en faveur d’une résolution lui demandant d’en faire plus pour le climat (11).
Le désinvestissement est-il la seule solution en cas d’échec du dialogue ?
Si la qualité et l’ampleur des efforts d’engagement peuvent encore être questionnées (12), il apparaît plus que jamais injustifiable d’alimenter en argent frais les entreprises du secteur pétro-gaziers qui persistent dans leurs stratégie climaticides, notamment à travers l’achat de nouvelles obligations comme l’ont déjà acté plusieurs investisseurs français (13). Mais les investisseurs doivent-ils pour autant rendre leur tablier ?
Certes, nettoyer son portefeuille d’actions semble raisonnable tant le risque d’être jugé complice du comportement irresponsable de ces entreprises se fait sentir. Mais si le désinvestissement ne serait pas sans impact sur la valeur d’une entreprise (14), il faudrait toutefois de longues années ou une masse critique de désinvestissement avant que cela inflige une pression financière suffisante aux entreprises du secteur pétro-gazier pour les contraindre de renoncer à leur stratégie climaticide. Une durée incompatible avec la transformation rapide qu’exige l’objectif de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C.
C’est dès maintenant qu’il faut agir par tous les moyens pour stopper l’expansion fossile et accélérer la transition énergétique. Or, le désinvestissement strict prive les investisseurs des leviers d’influence offerts par leur pouvoir d’actionnaire.
Exploiter le pouvoir d’actionnaire pour faire obstruction à l’expansion fossile
Faire obstruction à l’expansion fossile n’est pas seulement un acte de solidarité envers les millions de personnes impactées par le dérèglement climatique, c’est aussi une manière de défendre les intérêts des investisseurs, en particulier les fonds de pension et les assureurs, dont la sécurité des placements dépend de la bonne santé de l’économie à long terme.
Prenons l’exemple des assureurs. Leur modèle d’affaires est déjà fortement déstabilisé par le dérèglement climatique (15) au point, à terme, d’être entièrement menacé (16). Ils n’ont d’autres choix que de bloquer les premières causes des risques auxquels ils font face s’ils veulent contenir ces derniers le plus possible.
Pour les fonds de pension (ou caisses de retraite), l’impact dévastateur du dérèglement climatique pourrait déstabiliser l’économie au point d’éroder la valeur des placements sur le long terme et mettre en péril la retraite de millions d’individus (17).
Il est donc de la responsabilité des investisseurs institutionnels qui servent les intérêts de leurs clients d’user de leur pouvoir d’actionnaire pour faire obstruction à l’expansion fossile que pratiquent les entreprises du secteur pétro-gazier.
Concrètement, cela peut passer par des votes sanction visant à enrayer la stratégie climaticide adoptée par les dirigeants des entreprises. Ce qui implique d’aller au-delà des votes sur des résolutions qui ne concernent que le climat, qu’elles soient soumises par la direction (Say on Climate) ou par les actionnaires. Il faut intégrer les enjeux climatiques au cœur des votes stratégiques de routine qui influencent le plus la gouvernance et la stratégie des entreprises.
Une question demeure : que faire des dividendes ?
Sans nécessairement remettre en cause la légitimité de toute rémunération des actionnaires d’entreprises sans plan de transition via des dividendes et du rachat d’actions, il est évident qu’il faut interroger la part des bénéfices allouée aux actionnaires et aux énergies fossiles par rapport à celle allouée aux solutions de la transition énergétique.
Or, depuis la reprise post-pandémie, les bénéfices records dégagés par les entreprises pétro-gazières ont bien davantage été alloués à la rémunération des actionnaires (18) et aux énergies fossiles et leur expansion (19) que dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre par le déploiement d’énergies soutenables, la décarbonation et le provisionnement de la fermeture des infrastructures existantes (20).
De facto, chaque euro reçu par un actionnaire est un euro qui ne va pas à la transition énergétique. Un investisseur qui prétend vouloir œuvrer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre tout en recevant une telle rémunération fait preuve d’incohérence – si ce n’est pas d’hypocrisie…
Reclaim Finance appelle les investisseurs qui se veulent responsables sur le plan climatique à sanctionner les entreprises du secteur pétro-gazier qui ne se seraient pas engagées à mettre fin au développement de nouveaux projets fossiles et à allouer la majorité de leurs bénéfices à la transition énergétique. Cela passerait par un vote contre la réélection des administrateurs sortants, contre la rémunération des dirigeants et contre la distribution des dividendes lors des Assemblées générales 2024 des entreprises, le tout en complément de l’arrêt de nouveaux investissements, en particulier l’achat de nouvelles obligations. Par ailleurs, la rémunération reçue en tant qu’actionnaire doit, le cas échéant, être reversée dans des projets de solidarité et de lutte contre le dérèglement climatique.