Trois ans après la publication du premier scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projetant l’arrêt du développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers, BNP Paribas et Crédit Agricole annoncent ne plus participer aux émissions d’obligations conventionnelles des entreprises du secteur. Ce faisant, ce sont deux des 10 plus grosses banques au monde qui prennent enfin acte de l’impératif scientifique de l’arrêt de l’expansion de la production pétro-gazière pour le traduire dans un des modes de financements non fléchés les plus importants pour le secteur énergétique. Une mesure à étendre notamment aux prêts et entreprises qui développent de nouvelles infrastructures de transport pétro-gazières et à imiter par les autres banques internationales.
BNP Paribas suivi de Crédit Agricole ont annoncé à quelques jours d’intervalle ne plus participer à des émissions d’obligations conventionnelles aux entreprises opérantes dans l’extraction et la production de pétrole et de gaz (1).
Une mesure de rupture à saluer et imiter
La mesure annoncée couvre les entreprises spécialisées mais aussi les entreprises intégrées parmi lesquelles se trouvent les majors pétro-gazières. C’est donc une décision significative qui n’est pas sans trancher avec les financements élevés octroyés au secteur dans le passé par ces deux banques. En effet, pour rappel, BNP Paribas a été la première banque derrière BP, Shell et TotalEnergies entre 2019 et 2023, et Crédit Agricole était le second soutien financier de TotalEnergies et l’un des principaux soutiens de Eni sur la période (2).
Les obligations non fléchées ont par ailleurs représenté 41% de leurs financements à l’ensemble du secteur sur les trois dernières années (3), un pourcentage qui s’élève à 45 % pour les financements accordés par BNP Paribas (52 %) et Crédit Agricole (38 %) aux six principales entreprises pétro-gazières européennes (4) sur cette période. Si généralisé aux 60 plus grandes banques internationales, cela couvrirait 51 % des financements accordés au secteur.
S’il faut déplorer la forme de cette annonce et notamment le fait que les banques n’ont pas inscrit cette mesure dans leur politique sectorielle, c’est donc une révolution silencieuse qui se trame dans les pratiques des deux géants du secteur bancaire français. Alors que d’autres banques internationales font marche arrière sur leurs engagements climat ou ne donnent aucun signal de faiblissement de leurs soutiens aux plus gros pollueurs, BNP Paribas et Crédit Agricole font un pas supplémentaire vers le respect du consensus scientifique concernant l’impératif d’arrêt de l’expansion pétro-gazière.
Des failles compromettantes
Deux manquements interpellent cependant sur la volonté des banques à s’aligner pleinement sur une trajectoire 1,5°C. Le premier est le fait que l’annonce concerne les seules obligations conventionnelles, faisant l’impasse sur les prêts généraux, quand bien même les deux partagent des objectifs de financements identiques.
À noter cependant que les banques ont des cibles de baisse d’exposition pour le secteur pétrolier et gazier, et qui, dans le cas de BNP Paribas, devrait rendre exceptionnel au cours des prochaines années ce genre de transaction (5). Exceptionnel mais pas impossible comme en témoigne la participation de BNP Paribas à un prêt à Eni en décembre dernier (6). Les risques de participation à de futurs prêts sont plus importants pour Crédit Agricole qui a comme BNP Paribas une cible d’exposition à l’horizon 2025 mais n’en a pas pour 2030 (7).
Il faut également relever l’absence de mesures concernant les entreprises actives dans le développement de nouvelles infrastructures de transport et notamment de gaz naturel liquéfié. Ces infrastructures entravent tout autant que les nouveaux champs pétroliers et gaziers nos chances de limiter le réchauffement à 1,5°C et les banques ne sauraient tenir leurs propres engagements climatiques sans mettre un terme à leurs soutiens généraux aux entreprises qui les construisent. Cela est d’autant plus urgent que BNP Paribas et Crédit Agricole semblent toujours leur accorder de forts soutiens. Ainsi, nous avons relevé respectivement 12 et 14 transactions (prêts et souscriptions obligataires) de la part de BNP Paribas et Crédit Agricole à ces entreprises depuis janvier 2024, contre respectivement 0 et 2 transactions aux entreprises productrices d’hydrocarbures sur cette période (8).
Sustainability-Linked Bonds, la porte ouverte au greenwashing
Ne sont pas couvertes les obligations non conventionnelles, à commencer par les obligations vertes, qui sont des mécanismes de financements fléchés vers des projets spécifiques. S’il sera important de s’assurer du caractère soutenable des activités financées, leur maintien peut contribuer aux besoins massifs en matière d’investissement dans les énergies soutenables.
Mais les banques laissent aussi la porte ouverte aux Sustainability-Linked Bonds (SLBs), un autre type d’obligation non conventionnelle qui, contrairement aux obligations vertes, ne sont pas fléchées vers des activités précises, mais financent l’ensemble des activités portées par les entreprises qui en bénéficient. Ces obligations sont problématiques à plus d’un titre. Elles sont notamment décriées comme relevant du greenwashing dès lors qu’elles sont émises par une entreprise qui, loin d’avoir un plan de transition robuste, continue de développer des nouveaux projets d’énergies fossiles strictement incompatibles avec une trajectoire 1,5°C (9).
Ce type d’obligations non fléchées demeure toutefois rare. Sur les trois dernières années, les entreprises actives dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz ont émis 778 obligations, dont 7 SLBs uniquement (10). BNP Paribas et Crédit Agricole n’ont participé qu’à deux de ces transactions, au bénéfice d’ENI (11).
Bien qu’imparfaite, l’annonce de BNP Paribas et Crédit Agricole représente incontestablement une avancée majeure pour la lutte contre le dérèglement climatique. Il est urgent que les autres grandes banques internationales leur emboîtent le pas. Quant aux deux banques françaises, la cohérence voudrait qu’elles s’abstiennent de participer aux autres financements non fléchés – prêts et Sustainability-Linked Bonds – en soutien à des entreprises qui développent ces nouveaux projets. Nous ne manquerons pas de dénoncer de telles transactions le cas échéant, et appelons les deux banques à étendre leur approche aux entreprises actives dans le transport d’hydrocarbures et notamment le développement de nouveaux terminaux de GNL.