Cibles de décarbonation : tout reste à faire pour les banques

Paris, le 19 septembre 2024 – La plupart des cibles de décarbonation adoptées par les banques ne sont pas efficaces et doivent être repensées : c’est le constat de Reclaim Finance (1) qui a analysé les cibles sectorielles des 30 plus grandes banques de la Net Zero Banking Alliance (NZBA). Sur les 13 types de cibles adoptées par les banques, ce nouveau rapport révèle que seuls deux sont susceptibles d’entrainer des réductions d’émissions dans le monde réel. Reclaim Finance appelle les banques à revoir leurs cibles et les régulateurs à adopter une approche plus solide pour évaluer les cibles de décarbonation dans les plans de transition des banques.

Reclaim Finance a analysé 243 cibles de décarbonation fixées par les banques dans le cadre de leur engagement à réduire leurs émissions – des cibles supposées jouer un rôle clé dans la réduction des émissions des clients de la banque dans les secteurs les plus émissifs, tels que le pétrole et le gaz, le charbon, la production d’électricité, l’acier, l’aluminium et l’immobilier.

L’analyse révèle un ensemble de cibles inutilement complexes, confuses et opaques. La plupart ne permettent pas d’établir de lien direct entre l’atteinte des objectifs qu’elles fixent et la réduction des émissions par les entreprises, car elles reposent sur des métriques financières sans rapport direct avec ces mêmes émissions. De plus, de nombreuses cibles individuelles ne s’appliquent pas à tous les secteurs ou à tous les gaz à effet de serre, ou mélangent différents secteurs, unités de mesure et services financiers.

Les banques se font des nœuds au cerveau avec leurs cibles de décarbonation. Elles regroupent un fouillis de mesures différentes, de catégories confuses et d’ambitions incohérentes, à des années lumières des cibles transparentes et ambitieuses nécessaires pour contribuer à la réduction des émissions. Les banques doivent indiquer clairement à leurs clients qu’ils perdront l’accès au financement s’ils ne mettent pas de l’ordre dans leurs affaires. Elles le feront en diminuant les financements accordés aux entreprises développant des énergies fossiles, en réduisant leurs émissions absolues et en exigeant une stratégie de décarbonation solide et alignée sur les objectifs de limitation du réchauffement à 1,5°C.

Paddy McCully, analyste senior chez Reclaim Finance

Le rapport constate que les cibles de décarbonation basées sur les « émissions financées » (par les prêts) et les « émissions facilitées » (par les activités des marchés de capitaux) (prônées par la « Partnership for Carbon Accounting Financials » (PCAF), une initiative rassemblant plus de 500 institutions financières qui donne des orientations sur la définition des cibles) sont peu utiles pour garantir des réductions d’émissions dans le monde réel.

En effet, ces types de cibles sont calculés à l’aide de variables financières, liées par exemple à la valeur de l’entreprise. Résultat : si la valeur des entreprises du portefeuille d’une banque augmente, les émissions financées peuvent diminuer sans que les émissions réelles de ces entreprises ne baissent (2).

Pourtant, six des 13 types de cibles identifiées, et 80 des 243 cibles sont basées sur une variante des mesures d’émissions financées et/ou facilitées. C’est particulièrement le cas pour les cibles de réduction des émissions absolues appliquées aux portefeuilles pétroliers et gaziers.

Au total, seules cinq banques sur 30 n’utilisent pas ces métriques (3) – dont la Banque Postale. Parmi les autres banques françaises, Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE) a les cibles les moins ambitieuses (notamment pour le secteur pétro-gazier pour lesquels elle n’a pas de cibles de réduction de son exposition de crédit). Par ailleurs, BPCE et le Crédit Agricole font un large usage des mesures d’émissions financées dans leurs cibles – pourtant peu utiles dans le monde réel -, y compris pour les secteurs fossiles.

Selon l’analyse de Reclaim Finance, seuls deux types de cibles adoptées par certaines banques peuvent être efficaces pour réduire les émissions dans le monde réelles :

  • Les cibles qui réduisent le financement de l’approvisionnement en énergies fossiles via les activités de prêts et des marchés de capitaux (appelées dans notre analyse “sectorial portfolio financing volume (SPFV) targets”) (4)
  • Les cibles qui réduisent l’intensité des émissions physiques des secteurs industriels fortement consommateurs d’énergies fossiles (appelées dans notre analyse “weighted average physical intensity (WAPI) targets”) (5)

Au-delà, Reclaim Finance exhorte les banques à adopter deux autres types de cibles :

  • Les cibles qui visent à réduire les émissions absolues des clients (sans l’utilisation d’un facteur d’attribution) ; et
  • Les cibles relatives à la proportion de clients des banques qui fournissent des garanties suffisantes sur leur transition et la réduction des émissions, telles que la proportion de clients qui adoptent des plans de transition robustes alignés sur les objectifs de 1,5°C.

Les banques qui prétendent être sérieuses en matière de leadership climatique doivent collaborer avec la NZBA pour promouvoir l’adoption généralisée de cibles adaptées. Les régulateurs doivent également en prendre note et veiller à l’intégrité des cibles dans le cadre de leur supervision des plans de transition climat des institutions financières.

Paddy McCully, analyste senior chez Reclaim Finance

Certains régulateurs financiers, notamment dans l’UE, exigent déjà des banques qu’elles publient leurs objectifs climatiques, notamment au sein de plans de transition. Reclaim Finance exhorte les régulateurs à ne pas s’arrêter à cette transparence partielle, mais à évaluer la solidité de la conception des plans et à assurer leur mise en œuvre.

De manière générale, Reclaim Finance rappelle que l’adoption de cibles de décarbonation efficaces n’est pas suffisante : ces cibles doivent être intégrées dans un plan de transition complet des acteurs financiers, comprenant des politiques sectorielles qui excluent les activités incompatibles avec une trajectoire alignée sur l’objectif de 1,5°C.

Contacts :

Notes :

  1. Reclaim Finance, “TARGETING NET ZERO, The need to redesign bank decarbonization target”, septembre 2024
  2. La formule des « émissions financées » est une somme pondérée des émissions des entreprises financées visant à attribuer à chaque institution financière les émissions des entreprises qu’elle finance. Le poids ou facteur d’attribution est calculé ainsi : l’exposition de chaque entreprise dans le portefeuille (par exemple le montant du (des) prêt(s) en cours) est divisée par la valeur de l’entreprise. Cette variable liée à la valeur d’entreprise peut fluctuer (particulièrement la valeur de marché pour les entreprises cotées) de manière complètement décorrélée des activités de ces entreprises et donc de leurs émissions réelles.
  3. Les 25 banques qui les utilisent sont : Barclays, BBVA, BMO, BNP Paribas, BPCE/Natixis, Citi, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Deutsche Bank, HSBC, Intesa Sanpaolo, Mizuho, Morgan Stanley, MUFG, NatWest, RBC, Santander, Scotiabank, SMBC, Société Générale, Standard Chartered, TD, UBS, UniCredit, and Wells Fargo.
  4. Onze banques utilisent déjà des cibles d’expositions aux prêts pour les énergies fossiles. Aucune n’a adopté des cibles équivalentes sur les activités liées aux marchés des capitaux.
  5. Environ la moitié des cibles de notre analyse sont des cibles WAPI.

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2024-09-19T06:11:26+02:00