Poussée par de nombreux dirigeants politiques, l’Union des marchés des capitaux (UMC) devrait être l’un des principaux projets mis en place pour transformer l’économie au cours du mandat de la nouvelle Commission Européenne. Ses partisans affirment notamment qu’elle est essentielle pour financer la transition écologique de l’UE. Cependant, l’absence de mécanismes pour orienter les financements vers les activités durables et la volonté d’affaiblir les règles prudentielles risquent au contraire d’entraîner une augmentation des émissions et des risques financiers associés. Pour éviter ce résultat désastreux, la proposition d’Union des marchés des capitaux doit considérablement évoluer.
Au cours des cinq dernières années, l’Union européenne s’est positionnée comme leader dans la lutte contre le changement climatique. Avec l’adoption du Pacte vert européen, du paquet « Fit for 55 » et du paquet sur la finance durable, l’UE s’est engagée sur la voie de la transition écologique. Cependant, il lui reste beaucoup de chemin à parcourir, alors que l’Union n’est pas sur la trajectoire des objectifs qu’elle s’est fixés pour 2030 (-55%), 2040 (environ -90%) et de l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050.
L’UE manque ses cibles car les dernières législations européennes ont été amputées de leurs éléments les plus forts pour lutter contre le changement climatique. C’est notamment ce manque d’ambition dans les versions finales des textes qui explique que l’UE soit en décalage avec ses objectifs, comme le souligne l’Agence européenne pour l’environnement (1). Mais, une autre partie de l’explication se trouve dans l’écart massif entre l’argent investi dans la transition verte et l’argent réellement nécessaire pour l’opérer.
Pour combler ce déficit d’investissement, plusieurs personnalités européennes – d’anciens premiers ministres et des banquiers centraux notamment – avancent que la construction d’une Union des Marchés de Capitaux (UMC) est nécessaire. Et, si l’UMC peut effectivement résoudre le problème de financement de la transition de l’UE, alors ne devrions-nous pas la mettre en œuvre ? Mais l’UMC résoudrait-elle réellement ce problème ? Au-delà des discours et des intentions louables, les partisans de l’UMC ne fournissent aucune preuve pour démontrer que sa mise en place viendrait répondre au besoin de financement de la transition. En réalité, telle qu’elle est actuellement proposée, le renforcement d’une union des marchés des capitaux pourrait même être préjudiciable à la transition en stimulant les investissements dans des activités qui l’entravent.
Du financement de la transition écologique à l’Union des marchés des capitaux
Pour permettre la transition, l’UE doit mobiliser des financements. Plusieurs chiffres ont été avancés au fil des années. La Commission européenne estime ainsi que l’UE aurait besoin de 620 milliards d’euros supplémentaires chaque année jusqu’en 2030 pour atteindre notre objectif climatique de 2030 (2). La Cour des comptes européenne a revu ce chiffre à la hausse, l’estimant à un mille milliards supplémentaires chaque année (3).
Le rapport Letta « Much More Than a Market » publié plus tôt cette année soutient que le développement d’une UMC est une condition préalable à la résolution des principaux problèmes de financement de l’UE (4). Des éléments similaires se retrouvent dans le rapport publié par Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE (5). Jusqu’ici, ces positions sont également soutenues par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde. Ces partisans de l’UMC soulignent notamment qu’une grande partie de l’épargne européenne est investie dans des entreprises en dehors des marchés européens. Cet argent est ainsi « perdu » au profit de marchés plus importants, car l’Union européenne ne disposerait pas d’un marché commun européen assez fort, mais de marchés nationaux.
Si Reclaim Finance reconnaît qu’il faut s’attaquer à la question du déficit de financement et que l’on pourrait faire beaucoup plus avec l’épargne européenne pour financer la transition écologique, l’ONG émet de sérieuses réserves sur le fait que la création de l’UMC permettrait d’atteindre ces objectifs de financement.
L’UMC n’est pas un outil de finance verte
Bien que l’Union des marchés des capitaux (UMC) promet d’augmenter les volumes de capitaux et de faciliter le financement pour les petites capitalisations et les entreprises non cotées, son impact ne se limite pas aux activités ou entités vertes. En réalité, les avantages de l’UMC s’étendent à tous les secteurs, y compris ceux ayant les empreintes carbone les plus fortes. En effet, l’UMC, telle que proposée actuellement, manque de mécanismes pour orienter les investissements vers des activités durables et se concentre sur la stimulation des activités économiques, quel que soit leur impact environnemental. Avec elle, l’UE est donc susceptible de soutenir à la fois les industries les moins et les plus polluantes, conduisant à une augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre.
De plus, les principales mesures proposées dans le cadre de l’UMC impliquent un assouplissement des normes prudentielles actuelles et des mandats de supervision, au bénéfice immédiat des banques européennes. Cet allègement réglementaire se produit sans tenir réellement compte de risques climatiques croissants, soulevant ainsi des questions sur la stabilité financière à long terme. Dans un scénario pessimiste mais plausible, l’UMC augmenterait les risques liés au climat avec une hausse du financement des activités à très émettrices de carbone tout en affaiblissant simultanément les garanties prudentielles destinées à les absorber.
L’exemple de la titrisation
Une autre des mesures liées à l’UMC repose sur une utilisation accrue de la titrisation, qui est une méthode utilisée pour regrouper des titres illiquides, les vendre et/ou transférer les risques associés. La titrisation pourrait aider les banques à augmenter leur capacité de prêt et à réduire leur exposition au risque, mais cette capacité accrue ne profiterait pas nécessairement aux investissements verts et pourrait, comme pour la mise en place de l’UMC en général, tout autant faciliter les prêts à des activités fortement polluantes. Elle pourrait également masquer en partie les risques découlant du financement d’activités à fortes émissions.
En réalité, seul un sous-ensemble de titrisations pourrait aider à mobiliser des financements privés pour la transition. Problème : ces titrisations « vertes » ne sont pas clairement définies aujourd’hui. Elles devraient à minima garantir que la capacité de financement supplémentaire soit exclusivement destinée aux activités vertes, et que les actifs titrisés ne proviennent pas d’entreprises développant la production d’énergies fossiles. En parallèle, la titrisation dans son ensemble – encouragée par les assouplissements de l’UMC – ne devrait pas être utilisée pour financer le développement des énergies fossiles. Pour l’instant, rien n’est vraiment prévu pour s’en assurer.
Le modèle d’Union des marchés de capitaux présenté ci et là ne donne pas la priorité à la transition écologique. En l’état, les mesures indifférenciées de l’UMC contribueront à financer toutes les activités économiques et risquent d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre de l’UE. En parallèle, l’accent mis par l’UMC sur les allégements prudentiels soulève des risques certains. Pour que l’UMC contribue utilement à la transition de l’UE, des mesures doivent être ciblées dès son élaboration et des garde-fous doivent être mis en place. S’agissant de la titrisation par exemple, elle ne devrait pas être facilitée sans une définition claire de la titrisation « verte » et sans barrières pour éviter de soutenir des activités polluantes.