Nouvelles réglementations : va-t-on vers plus ou moins de greenwashing des fonds ?

Pour lutter contre le greenwashing, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a annoncé en décembre (1) qu’elle appliquera les orientations de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) sur la dénomination des fonds ESG. Si ce cadre acte la nécessité d’établir des critères minimums pour justifier les allégations environnementales, il introduit aussi des niveaux d’exigences inégaux qui l’empêchent d’enrayer le greenwashing. Dans ce contexte, la révision du règlement SFDR prévue cette année offre une chance de garantir aux épargnants une information extra-financière claire et non trompeuse, à condition d’imposer des critères stricts de durabilité dont l’exclusion des entreprises impliquées dans l’expansion fossile.

Si les investissements responsables continuent de progresser en Europe, atteignant désormais plus de 2 500 milliards d’euros d’encours (2), une part significative de ces investissements n’offrent en réalité pas de garanties minimales en matière de durabilité. En effet, une grande partie des fonds porteurs d’allégations environnementales ou climatiques continuent d’investir dans des entreprises engagées dans des projets fossiles, incompatibles avec un scénario 1,5°C robuste (3). Par ailleurs, les encours des fonds dits « article 9 » selon le règlement SFDR, supposés être les plus exigeants en termes de durabilité, ont, eux, enregistré une baisse de 24 % en un an. Cette diminution reflète une reclassification massive par les gestionnaires d’actifs de ces fonds en “article 8” qui – par leur niveau d’exigence et d’encadrement encore plus faible – leur permet de se prémunir de sanctions.

Ces constats mettent en évidence une finance durable à plusieurs vitesses dont les contours sont flous et augmentent le risque de greenwashing. Une cadre réglementaire plus précis et des mesures dissuasives prises par les organes de supervision sont essentiels pour restaurer la confiance des épargnants.

Nouvelles règles pour la dénomination des fonds durables : une opportunité manquée

En décembre 2024, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a déclaré appliquer les orientations de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) publiées en août. À partir du 21 mai 2025, en France et dans les autres pays européens dont le régulateur a adopté ces orientations, de nouvelles règles encadreront l’utilisation des termes relatifs à la durabilité ou aux critères ESG dans la dénomination des fonds.

Trois catégories distinctes émergent, chacune assortie de degrés d’exigence spécifiques :

  • Les fonds « Transition », « Social » ou « Gouvernance »
    Ces fonds devront exclure :
    – Les entreprises liées aux armes controversées,
    – Les entreprises impliquées dans la production de tabac,
    – Les entreprises violant les principes du Pacte mondial des Nations Unies ou les lignes directrices de l’OCDE.
  • Les fonds « Environnement » ou « Impact »
    En plus des exclusions ci-dessus, ces fonds devront exclure ”les entreprises dont une part significative du chiffre d’affaires provient des énergies fossiles (3).”
  • Les fonds « Durables »
    Ces fonds doivent répondre aux exigences des deux catégories précédentes et “investir de manière significative dans des investissements durables (4).”

Notons que lorsqu’un fonds combine des termes liés à la transition et des termes plus exigeants (« environnement » ou « impact »), seules les contraintes faibles liées au terme “transition” s’appliqueront.

Ces règles représentent un progrès dans la mesure où elles reconnaissent explicitement la nécessité de poser des critères strictes – y compris des exclusions – justifiant les allégations ESG. Toutefois, leur réel impact reste incertain : elles définissent des catégories de dénomination aux exigences particulièrement faibles, alors même qu’une majorité de Français refuse d’inclure dans leurs fonds durables des entreprises développant de nouveaux projets fossiles (6).

La disparité des standards entre des fonds affichant pourtant tous des références à l’ESG, au climat ou à la durabilité pourrait semer la confusion parmi les épargnants. Même les investisseurs les plus avertis risquent d’avoir du mal à distinguer un fonds réellement durable d’un fonds se contentant d’arborer le terme « transition ». Ces nouvelles règles soulèvent ainsi le risque d’un glissement vers un « transitionwashing ».

Par ailleurs, bien que certains gestionnaires d’actifs, comme Amundi (5), aient déjà commencé à s’adapter à ces nouvelles règles, cela se traduit davantage par un changement de nom de certains fonds que par l’application des conditions nécessaires pour en conserver l’appellation.

SFDR : prochaine étape clé pour mettre fin au greenwashing

La révision du règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) est attendue en 2025. Annoncée par la Commission européenne, cette révision vise à corriger les lacunes du cadre actuel, de facto utilisé comme un outil de labellisation environnementale et sociale des fonds par les acteurs financiers sans pour autant reposer sur des critères contraignants.

Cette révision représente une nouvelle opportunité de lutter contre le greenwashing des fonds à condition qu’elle ne soit pas dictée par les intérêts du secteur financier (7). Elle peut permettre de corriger les lacunes des orientations de l’ESMA, bien au-delà de la seule dénomination des fonds. Reclaim Finance propose trois critères fondamentaux applicables à toute nouvelle architecture réglementaire offrant une grille de lecture simple et fiable, permettant aux épargnants de repérer rapidement les fonds alignés avec leurs préférences ESG :

  1. Exclure les entreprises développant de nouveaux projets fossiles des fonds revendiquant un objectif environnemental ou social et s’aligner ainsi sur le standard déjà existant des principaux labels européens (comme ISR ou Greenfin) et sur la proposition de la Plateforme de la finance durable de la Commission Européenne.
  2. Fixer des exigences minimales claires et différenciées, en fonction des allégations ESG et des objectifs affichés.
  3. Renforcer les obligations de transparence et de conseil, pour aider les épargnants à comprendre les impacts réels des fonds.

Le cadre réglementaire actuel reste insuffisant afin de garantir des fonds durables exigeants et lisibles par les épargnants. La révision de SFDR représente une occasion cruciale d’imposer des critères minimaux en matière de durabilité comme l’exclusion des entreprises impliquées dans l’expansion fossile pour tous les fonds ayant des allégations environnementales ou sociales. Ces garanties sont indispensables pour lutter efficacement contre le greenwashing et permettre aux épargnants d’aligner leurs investissements à leurs préférences ESG.

Notes :

  1. AMF, Communiqué de presse, Décembre 2024
  2. AFG, Panorama des encours de l’investissement responsable géré en France, Avril 2024
  3. 70% des fonds d’épargne salariale et des fonds passifs dits durables. Analyse à retrouver dans deux rapports : Reclaim Finance, Unmasking Greenwashing, Mars 2024 et Reclaim Finance, Epargne Salariale, Produit Inflammable, Avril 2024
  4. Exclusion des entreprises mentionnées à l’Article 12 du règlement délégué (UE) 2020/1818 de la commission du 17/07/2020 à savoir :
    1. les entreprises qui tirent au moins 1 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la distribution ou du raffinage de houille et de lignite ;
    2. les entreprises qui tirent au moins 10 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la distribution ou du raffinage de combustibles liquides ;
    3. les entreprises qui tirent au moins 50 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la fabrication ou de la distribution de combustibles gazeux ;
    4. les entreprises qui tirent au moins 50 % de leur chiffre d’affaires d’activités de production d’électricité présentant une intensité d’émission de GES supérieure à 100 g CO2e/kWh].
  5. La définition énoncée à l’article 2(17) de SFDR est la suivante,
    Un investissement durable désigne :
    1. Un investissement contribuant à un objectif environnemental, mesuré par exemple au moyen d’indicateurs clés relatifs : À l’utilisation efficace des ressources (énergie, énergies renouvelables, matières premières, eau et terres), à la production de déchets, aux émissions de gaz à effet de serre, aux impacts sur la biodiversité, ou à l’économie circulaire.
    2. Un investissement contribuant à un objectif social, en particulier : la lutte contre les inégalités, la promotion de la cohésion sociale, de l’intégration sociale et des relations de travail, le soutien au capital humain ou aux communautés économiquement ou socialement défavorisées.
    3. Conditions générales : Ces investissements ne doivent causer aucun préjudice significatif à l’un des objectifs susmentionnés. Ils doivent appliquer des pratiques de bonne gouvernance, notamment : des structures de gestion saines, des relations positives avec le personnel, une rémunération appropriée du personnel compétent, le respect des obligations fiscales.
  6. Responsible Investor, Amundi renames €115bn in SRI funds, citing ‘evolution’ in labelling regimes, Janvier 2025
  7. Novethic, Label ISR : une majorité de Français ne veulent pas d’énergies fossiles dans leurs fonds durables, Octobre 2023
  8. Des manœuvres équivalentes ont déjà eu lieu lors de l’écriture de l’actuel règlement SFDR notamment par Blackrock. Voir : Observatoire des multinationales et Reclaim Finance, Exposing BlackRock’s Grip on the EU’s Climate Finance Plans, Juin 2021

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2025-02-12T15:44:16+01:00