CSRD : les banques françaises face à leurs positions passées

Alors qu’entreprises et acteurs financiers s’élèvent aujourd’hui contre la CSRD et que la Commission européenne présentera la loi Omnibus pour acter une « simplification massive » du texte, l’étude des réponses à la consultation de 2020 fait apparaître un autre narratif. Il y a quatre ans, les quatre plus grandes banques françaises – Crédit Agricole, BNP Paribas, Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE) et Société Générale – et la Fédération bancaire française (FBF) faisaient preuve d’un soutien unanime pour la directive et ces orientations aujourd’hui remises en cause. L’analyse de l’ONG Reclaim Finance publie aujourd’hui une analyse de ces positions passées qui vont pourtant à l’opposé des discours – ou des silences – actuels sur la remise en cause de la CSRD.

L’ONG Reclaim Finance s’est plongée dans les réponses de ces cinq acteurs financiers. Cette analyse révèle ainsi que, entre 2020 et 2025, les banques françaises soutenaient massivement le nouveau texte européen aujourd’hui attaqué. Elle interroge alors sur le silence relatif actuel de ces acteurs, qui n’ont globalement pas pris position en 2025 pour éviter une casse réglementaire et se désolidariser des demandes du Medef ou de Business Europe. Pire, la CSRD serait même aujourd’hui un « délire bureaucratique » pour le Directeur Général de BNP Paribas Jean-Laurent Bonnafé (1).

A l’heure où le gouvernement français tient une position qui remet en cause l’essence même des textes européens, les arguments et positions exprimés en 2020 par les banques françaises sont plus que jamais pertinents. Le silence actuel du secteur bancaire ou son alignement sur les demandes des très grandes entreprises représentent un renoncement opportuniste dangereux.

Une nouvelle réglementation de reporting extra-financier réclamée par les banques

En 2020, les grands acteurs économiques et financiers étaient déjà soumis à la Non Financial Reporting Directive (NFRD). Cette directive européenne en place depuis 2014 demandait aux acteurs concernés de publier certains éléments relatifs aux performances extra-financières, qui incluent des enjeux environnementaux comme sociaux. L’Accord de Paris sur le climat de 2015 et les objectifs européens qui doivent mener l’Union européenne à l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050 ont depuis largement changé la donne.

Les acteurs financiers étaient parfaitement d’accord pour parler des failles de la NFRD, dont le manque de comparabilité, des informations fournies insuffisantes et trop peu fiables pour faire des choix sur des critères extra-financiers.

Les réponses analysées ici sont toutes en faveur d’un standard commun et obligatoire, et souhaitent aller plus loin en faisant la promotion de standards spécifiquement réalisés pour certaines industries.

Les acteurs financiers ont donc appelé à la mise en place de standards extra-financiers communs pour assurer la comparabilité des entreprises, mieux comprendre l’impact environnemental et les risques liés auxquelles elles sont exposées, et in fine pouvoir orienter les financements vers les acteurs les plus vertueux.

La demande de plans de transition climatiques

Les quatre grandes banques françaises et la Fédération bancaire française ont donc souhaité une actualisation de la directive CSRD, pour inclure de nouveaux éléments. La question n°3 de la consultation demande aux acteurs s’il faudrait ajouter des catégories de reporting pour que les entreprises puissent être davantage transparentes, et si oui, lesquelles.

Les acteurs financiers demandent à l’unanimité plus d’informations sur le climat. Plus précisément :

  • Le Crédit Agricole demande des informations sur les « politiques et stratégies environnementales et sociales, leur politique de transition » mais également « comment elles mettent en place ces stratégies ». Le Crédit Agricole demande clairement un plan de transition climatique, une dimension introduite aujourd’hui par la CSRD.
  • Le groupe BNP Paribas demande lui aussi des informations sur les politiques et stratégies de transition, ainsi que sur la mise en place des stratégies.
  • La Société Générale et le groupe BPCE demandent quand à eux des plans de transitions alignés avec un scenario 2° C et/ou avec les objectifs européens.

Un soutien à l’extraterritorialité des réglementations

La consultation a permis de trancher la question de l’extraterritorialité des normes et de montrer que c’est bien à l’ensemble des acteurs qui ont des opérations sur le continent que la directive relative au reporting extra-financier doit s’appliquer, et pas uniquement aux entreprises domiciliées dans l’un des pays de l’Union européenne. Les acteurs financiers rappellent en effet la notion centrale de comparabilité qui permet de poser une base commune et qui serait incomplète sans les acteurs étrangers qui ont des opérations non négligeables sur le sol européen.

Une application aux TPE/PME sous conditions

Dès 2020, une attention particulière a été portée à la charge potentielle qui pourrait tomber sur les épaules de la catégorie des très petites, petites et moyennes entreprises. La prise en compte des TPE/PME dans le texte final de la CSRD – via des standards simplifiés et une obligation uniquement pour les PME cotées – peut en partie s’expliquer par les réponses reçues à l’occasion de la consultation. Les acteurs financiers analysés ici se sont positionnés en faveur d’un standard simplifié pour ces catégories d’acteurs économiques. Il est en revanche très clair pour eux que ce standard simplifié ne doit pas être uniquement volontaire mais bien obligatoire.
Enfin, la consultation pose la question du seuil à partir duquel une entreprise devrait publier son reporting extra-financier et propose de l’élargir pour passer des entreprises de 500 salariés minimum dans la NFRD aux entreprises de 250 salariés minimum. Les acteurs analysés ici sont parfaitement d’accord avec cette proposition (abstention du groupe BNP Paribas sur cette question, voir tableau 19). Selon eux, abaisser les seuils à 250 salariés faciliterait l’accès à des financements en faveur de la transition écologique à de nouveaux acteurs qui organiseront leur reporting selon des standards communs CSRD simplifiés (2).

Face aux enjeux climatiques et à la nécessité d’une transition écologique rapide, il est crucial que les banques françaises maintiennent une position cohérente avec les engagements qu’elles ont pris par le passé. Le soutien unanime apporté à la CSRD en 2020 témoigne d’une volonté d’améliorer la transparence et la comparabilité des informations extra-financières. Il est donc impératif que ces acteurs financiers restent fidèles à ces principes et qu’ils soutiennent activement la mise en œuvre d’une réglementation ambitieuse, plutôt que de revenir sur le cœur des textes.

Notes :

  1. Challenges, La directive CSRD, « délire bureaucratique » pour le directeur général de BNP Paribas, 25 novembre 2024
  2. Pour plus d’informations sur les idées reçues relatives aux TPE/PME, voir : Reclaim Finance, Exigences réglementaires de l’UE : mettre fin aux idées reçues, 20 janvier 2025

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2025-02-14T15:24:32+01:00