Les contribuables néerlandais devront-ils payer pour l’aveuglement d’ENGIE ? Alors que les Pays-Bas comptent déjà 43 centrales à gaz et visent une électricité décarbonée d’ici 2035 (1), ENGIE veut en construire une nouvelle. Ce projet, échoué ou stranded avant même de voir le jour, devrait être un élément clé à prendre en compte lors du vote des actionnaires à l’Assemblée générale de l’entreprise fin avril. A moins de sanctionner ce projet à rebours des objectifs de réduction de gaz à effet de serre, ils seront complices de choix d’investissement absurdes qui mettent en péril les objectifs climatiques européens.
Décarboner la production d’électricité est un levier essentiel pour atteindre la neutralité carbone et éviter un emballement dramatique du climat. Le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie projette l’atteinte de la neutralité carbone du secteur de l’électricité d’ici 2035 dans les économies avancées, y compris en Europe, et d’ici 2040 dans le reste du monde. Mais ENGIE n’en a cure. En plus de signer des contrats d’importation de gaz fossile et de construire en ce moment des nouvelles centrales à gaz en Belgique et au Chili, l’énergéticien français entend construire une nouvelle centrale à gaz fossile de 500 MW dans la ville de Nimègue, aux Pays-Bas.
Un projet inutile pour la production électrique néerlandaise
Les Pays-Bas font partie des pays européens engagés à décarboner totalement leur production électrique d’ici 2035, un objectif atteignable grâce à la baisse de la demande en gaz et à l’essor des renouvelables. Entre 2021 et 2023, la consommation de gaz fossile dans l’UE a chuté de 20 % (2), et les Pays-Bas figurent parmi les pays ayant le plus réduit leur consommation (3).
Cette évolution est notamment portée par une forte expansion de l’éolien et du solaire, sur lesquels les Pays Bas affichent des taux de production d’électricité et de développement parmi les plus importants d’Europe (4). Avec l’hydroélectricité, les énergies renouvelables représentaient déjà 42 % de la production électrique du pays en 2023.
Dans ce contexte, difficile de justifier une nouvelle centrale à gaz, même en tant que capacité d’appoint, ce rôle pouvant pleinement être joué par un renforcement des réseaux électriques et des capacités de stockage – principalement des batteries. Que deviendra cette centrale après 2035, si les Pays-Bas suivent leur trajectoire et sortent du gaz aussi efficacement qu’ils ont quitté le charbon ?
L’illusion de l’hydrogène
ENGIE n’a pris aucun engagement à sortir du gaz et mise sur une promesse floue : rendre la centrale « compatible hydrogène » à une date et un coût inconnus, sans préciser si cet hydrogène serait issu de sources soutenables ou non.
Or, ce type de conversion fait face à de nombreuses barrières et tient plus du mythe que de la réalité. Les quantités disponibles d’hydrogène sont bien trop faibles pour remplacer à terme les besoins en gaz fossile et répondre à une demande grandissante d’un grand nombre d’usages (transport, sidérurgie, métallurgie, chimie, production d’électricité…). L’hydrogène vert est coûteux et inefficace pour produire de l’électricité, surtout face à des alternatives bien plus matures comme l’éolien, le solaire et le stockage par batteries. Il ne remplacera pas le charbon et le gaz pour assurer la production de base. L’idée de l’hydrogène comme solution de stockage ou comme carburant d’appoint se heurte aussi au faible rendement de sa production et réutilisation pour fournir de l’électricité, alors que d’autres options, comme les batteries, offrent de bien meilleures performances.
L’hydrogène renouvelable jouera un rôle clé dans certains secteurs, comme la sidérurgie ou le transport lourd, mais pas dans la production d’électricité pour laquelle des alternatives soutenables existent, sont disponibles, compétitives et rapides à déployer.
Qui paiera la fermeture ?
Récapitulons : ce projet est inutile et risque d’entraîner des émissions incompatibles avec une trajectoire 1,5°C, d’autant qu’ENGIE n’apporte aucune garantie crédible sur sa conversion à l’hydrogène. À moins que les Pays-Bas ne forcent l’énergéticien à fermer cette centrale plus tôt que prévu pour respecter leurs objectifs climatiques. Un scénario qui n’a rien de la science-fiction : c’est ainsi que procède le pays pour tenir ses engagements de sortie du charbon. Mais cela ne se fait pas sans coût. Lorsque RWE a réclamé 1,4 milliards d’euros en justice à l’État néerlandais pour la fermeture anticipée de ses centrales à charbon d’ici 2030 (5), Riverstone – à qui ENGIE avait vendu quatre de ses centrales à charbon en 2019 (6) – a également négocié une compensation et obtenu 212,5 millions d’euros pour la fermeture d’une centrale (7). Autrement dit, les contribuables ont dû payer pour la sortie du charbon.
Persister dans ce projet est irresponsable, alors que les projections montrent que la transition électrique des Pays-Bas – et plus largement de l’Europe – ne nécessite pas de nouvelle centrale à gaz (8). Pourtant, la direction d’ENGIE persiste – et elle n’est pas seule responsable. La majorité des actionnaires ont, en 2022, approuvé – ou refusé de s’opposer à – son plan climat qui incluait déjà des dépenses d’investissement liés à des nouveaux projets gaziers (9). Parmi eux, le gouvernement français, pourtant prompt à prôner l’unité européenne et la sortie des énergies fossiles, mais aussi plusieurs investisseurs privés tels que Amundi (abstention), BNP Paribas AM (abstention) et AXA Investment Managers (vote pour).
Il est encore temps d’agir. Reclaim Finance appelle les investisseurs à voter contre le nouveau plan climat d’ENGIE s’il ne met pas fin aux nouveaux investissements dans le développement du gaz fossile, et à sanctionner la direction en votant contre les résolutions de routine.