Co-signée par Les Amis de la Terre France, le Réseau Action Climat, et Beyond Fossil Fuels
Reclaim Finance, les Amis de la Terre France, le Réseau Action Climat, qui fédèrent 27 associations sur le changement climatique et le réseau européen Beyond Fossil Fuels ont envoyé une lettre à l’Agence des participations de l’Etat (APE), actionnaire principal d’ENGIE. En amont de la révision de la stratégie climat, qui sera soumise à un vote “Say on Climate” des actionnaires lors de l’Assemblée générale de l’entreprise le 24 avril prochain, l’APE doit exiger de son entreprise en portefeuille un engagement à mettre fin à l’expansion gazière, en accord avec les objectifs climatiques de la France.
3 avril 2025
“A l’Agence des participations de l’Etat,
Nous, organisations de la société civile signataires, vous écrivons pour vous demander d’exiger d’ENGIE, entreprise dont l’Agence des participations de l’Etat est actionnaire principal, un arrêt de l’expansion gazière afin d’aligner son plan de transition sur une trajectoire 1,5°C, en accord avec les engagements climatiques pris par la France.
ENGIE a annoncé l’organisation d’un Say on Climate (SOC) lors de son Assemblée générale annuelle du 24 avril prochain, vote au cours duquel les actionnaires de l’entreprise seront consultés sur la révision de son plan de transition. Si la stratégie climat d’ENGIE est encourageante sur certains aspects, elle est malheureusement encore incompatible avec une trajectoire de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C. Or, cet alignement est essentiel pour limiter la multiplication des catastrophes naturelles et leurs impacts sur la santé, les écosystèmes et les droits humains, ainsi que pour atténuer les risques financiers liés aux dérèglements climatiques. ENGIE, de par sa taille et son influence sur le secteur énergétique français et européen, se doit d’être exemplaire en prenant le leadership dans la transition énergétique.
Afin de limiter la hausse de la température, les entreprises productrices d’électricité doivent mettre fin à la production d’électricité à partir de charbon et de gaz. Le GIEC dit clairement que toute nouvelle infrastructure fossile compromet davantage l’atteinte de l’objectif de 1,5°C : « La mise hors service et la réduction de l’utilisation des installations existantes de combustibles fossiles dans le secteur de l’électricité, ainsi que l’annulation des projets de nouvelles installations, sont nécessaires pour aligner les futures émissions de CO2 du secteur de l’énergie avec les projections de ces trajectoires (trajectoires limitant le réchauffement à 1,5°C (probabilité >50%) avec aucun ou faible dépassement) » [1]. De plus, le scénario Net Zero Emissions by 2050 (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) confirme le besoin pour les pays européens et de l’OCDE de décarboner leur secteur de production d’électricité d’ici à 2035, et d’ici à 2040 pour les autres pays.
Se fondant sur ces faits scientifiques, Antonio Guterres, le Secrétaire Général des Nations Unies, a appelé plusieurs fois à une sortie rapide et juste des énergies fossiles, incluant la fin de l’expansion des infrastructures d’énergies fossiles et le déploiement des énergies renouvelables. La France, aux côtés d’autres pays européens, s’est engagée à interdire l’usage de gaz fossile pour la production d’électricité à partir de 2035.
Dans ce contexte, nous sommes inquiets de voir qu’ENGIE ne possède toujours pas de stratégie de sortie du gaz fossile – fondée sur des fermetures, non sur des ventes, de ses infrastructures gazières. Nous sommes particulièrement inquiets de la signature de contrats de long-terme d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL), tels que ceux conclus avec les entreprises Sempra, Cheniere, Next Decade, qui sont incompatibles avec les objectifs de décarbonation d’ENGIE. Certains de ces contrats vont au-delà de 2040, avec un manque de transparence sur les volumes que l’entreprise s’est engagée à importer par rapport à la trajectoire de consommation nécessaire dans les secteurs concernés. En résulte ainsi un risque de verrouillage au détriment de la transition vers des énergies soutenables. Par ailleurs, la signature de ces contrats contribue à la concrétisation de projets de terminaux d’exportation, leur permettant d’obtenir leur décision finale d’investissement. Ces contrats rendent aussi possibles l’expansion des terminaux d’exportation de GNL, qui ne sont pas nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques actuels et futurs d’après le scénario NZE.
Plus important encore, l’absence d’engagement public d’ENGIE à mettre fin au développement de nouveaux projets de centrales à gaz est très préoccupante, dans un contexte où de telles infrastructures continuent de se développer, y compris en Europe et dans les pays de l’OCDE. Alors qu’un minimum de 86% des CAPEX des producteurs d’électricité devraient être alloués au développement de sources d’énergies soutenables [2], les nouveaux investissements dans les projets de gaz fossile sont une menace non seulement pour les objectifs climatiques mais aussi pour la résilience économique de l’entreprise à long-terme. A titre d’exemple, le projet de développement d’une nouvelle centrale à gaz à Nimègue, aux Pays-Bas, apparaît être en contradiction avec ses objectifs de décarbonation et présente des risques d’enfermement dans un système de production électrique fossile [3].
Les projets d’expansion des deux terminaux d’import menés par Elengy, une filiale d’ENGIE, à Fos Cavaou et Montoir-de-Bretagne apparaissent également à rebours des besoins pour satisfaire la demande française et européenne. En Europe, la consommation de gaz a connu une baisse de 19% entre 2021 et 2023, tendance qui devrait se poursuivre et atteindre 29% entre 2021 et 2028 [4]. Le pic de demande de GNL en Europe s’est probablement produit en 2022, avec un niveau déjà très inférieur aux capacités installées sur le continent, et les prévisions montrent une baisse continue jusqu’en 2028 [5]. L’Europe, déjà en situation de surcapacité d’importation, devrait donc voir son taux d’utilisation des terminaux d’importation continuer à chuter au cours de cette décennie. Celui-ci est passé de 62% à 38% entre juin 2023 et juin 2024 dans l’Europe des 27 [6].
De plus, la récente conversion d’une centrale à charbon en centrale à gaz au Chili par ENGIE illustre le besoin d’une meilleure vision économique et d’un leadership plus fort sur les questions climatiques pour éviter l’émergence d’actifs échoués dans le futur. Le gaz ne peut être considéré comme une énergie de transition, s’agissant d’une énergie fossile qui, dans certaines conditions, peut s’avérer plus émissive que le charbon [7].
Le fort développement d’énergies renouvelables électriques prévu par ENGIE, avec 39 GW de capacités additionnelles d’ici à 2030, est un atout majeur de sa stratégie. Pour autant, ces efforts ne sont pertinents que s’ils s’accompagnent d’une diminution rapide, drastique et durable des capacités fossiles de production d’électricité. Le maintien d’une part importante du parc fossile existant, ainsi que le développement de nouvelles infrastructures gazières, s’opposent à la baisse des émissions absolues de gaz à effet de serre, nécessaire pour l’atteinte de nos objectifs climatiques. ENGIE ne fournit aucun scénario de production de biogaz permettant de justifier leur stratégie, plutôt que de s’appuyer sur les travaux du SGPE ou sur les objectifs de la PPE.
Comme actionnaire principal d’ENGIE [8], l’Agence des participations de l’Etat a le pouvoir d’influencer la révision du plan de transition d’ENGIE en amont de l’Assemblée générale 2025, année qui marquera aussi les 10 ans de l’Accord de Paris. Afin que celui-ci soit crédible et aligné sur les engagements climatiques pris par la France, nous vous appelons à exiger d’ENGIE :
- Un engagement public à sortir du gaz pour la production d’électricité d’ici à 2035 dans l’Europe et les pays de l’OCDE et d’ici à 2040 dans le reste du monde ;
- Un engagement public à mettre fin au développement de nouvelles infrastructures gazières, incluant les centrales à gaz (telles que Nimègue) et les projets d’expansion des terminaux existants d’import de LNG (tels que Fos Cavaou et Montoir-de-Bretagne) ;
- Un engagement public à ne pas signer de nouveaux contrats d’importation de GNL de long terme, sans fournir la preuve qu’ils ne sont pas liés à de nouveaux terminaux d’exportation ou à l’ouverture de nouveaux champs gaziers.
- La publication par ENGIE des données permettant de justifier que les contrats d’importation de gaz répondent à ses besoins en production d’électricité et quelle est la part destinée à la revente et à la réexportation, et de démontrer la cohérence de ces chiffres avec une trajectoire 1,5°.
Signataires :
Reclaim Finance
Réseau Action Climat
Les Amis de la Terre France
Beyond Fossil Fuels