Une nouvelle analyse de Reclaim Finance montre que les grandes banques françaises ont continué à financer des entreprises problématiques du secteur du charbon en 2024 (1). Malgré leurs engagements publics à tourner le dos au secteur, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE/Natixis ont financé trois entreprises développant de nouveaux projets de charbon thermique et 16 entreprises sans date de sortie du secteur, ou dont les dates de sortie ne sont pas alignées avec la science climatique. Un an après avoir été interpellée par Reclaim Finance pour mettre fin à ce greenwashing, l’Autorité des marchés financiers (AMF) ne s’est toujours pas emparée du sujet.
Neuf mois après la publication de notre note d’analyse, qui couvrait la période de 2021 à 2023, Reclaim Finance a voulu savoir si les grandes banques françaises avaient cessé de financer des entreprises problématiques du secteur du charbon thermique en 2024. Verdict ? Non. Notre nouvelle analyse montre qu’en 2024, 16 entreprises problématiques ont été financées, soit le même nombre qu’en 2023, et plus qu’en 2022 (12 entreprises). L’écart se creuse toutefois dans la répartition de ces entreprises entre les différentes banques françaises, avec 12 entreprises financées par BNP Paribas contre 5 par Crédit Agricole et 4 par Société Générale et BPCE/Natixis.
2022 | 2023 | 2024 | Total | |
---|---|---|---|---|
BNP Paribas | 10 | 11 | 12 | 26 |
Crédit Agricole | 3 | 7 | 5 | 12 |
Société Générale | 5 | 3 | 4 | 10 |
BPCE / Natixis | 1 | 1 | 4 | 5 |
Total | 12 | 16 | 16 | 32 |
Tableau 1 – Nombre de groupes problématiques du secteur du charbon thermique financés par les quatre grandes banques françaises de 2022 à 2024
Expansion : BNP Paribas reste engluée dans le financement des développeurs de mines et centrales captives
Malgré son engagement public pris en 2020 de « poursuivre son engagement de mettre fin, à brève échéance, aux relations avec tout client développant de nouvelles capacités de production à base de charbon » (2), BNP Paribas a financé trois développeurs de charbon thermique en 2024 : PT Halmahera Persada Lygend, Grasim Industries et JSW Steel. Dans les trois cas, il s’agit de développeurs de nouvelles mines et centrales à charbon captives, destinées à une activité industrielle (3).
Le cas de PT Halmahera Persada Lygend avait déjà été épinglé dans notre note d’analyse publiée en octobre dernier et transmise à l’AMF. Il s’agit d’une nouvelle centrale thermique en Indonésie destinée à alimenter l’extension d’un projet servant à la production et la transformation du nickel, minerai essentiel à la transition énergétique car utilisé dans la production de batteries pour véhicules électriques et de stockage d’énergie renouvelable. Ce fait ne peut toutefois justifier en aucun cas la construction d’une nouvelle centrale à charbon aux impacts climatiques et sanitaires désastreux, car des alternatives existent comme par exemple les énergies renouvelables (4).
La filiale de Grasim Industries financée par BNP Paribas, UltraTech Cement, prévoit quant à elle une nouvelle mine de charbon thermique en Inde (3).
C’est également le cas du groupe JSW Steel, qui prévoit un nouveau parc industriel en Inde comprenant une aciérie et une centrale thermique au charbon captive de 900 MW, connu sous le nom de JSW Utkal Steel, auquel la communauté locale s’oppose depuis 2005 (3). Le projet fait l’objet de graves violations des droits humains subies par les communautés des quatre villages indiens du district de Jagatsinghpur, dans l’État d’Odisha (5).
Pour justifier les transactions à ces entreprises, BNP Paribas utilise une faille de sa politique sectorielle sur le charbon : la banque n’exclut que les entités de ces groupes dédiées au charbon, et non pas le groupe lui-même. Cette approche peut être considérée comme du greenwashing auprès des parties prenantes extérieures comme les investisseurs, au sens de la définition des régulateurs européens (6).
Une sortie du secteur en trompe l’oeil
Malgré leurs engagements publics pour une sortie du secteur du charbon thermique d’ici 2030 dans l’Union européenne et l’OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde, les grandes banques françaises ont financé 16 entreprises ne respectant pas ces dates limites en 2024 (3).
Une majorité – 10 entreprises – n’a adopté à ce jour aucune date de sortie du secteur, contre six qui ont bien une date de sortie, mais trop tardive, postérieures aux dates limites recommandées par la science climatique mentionnées ci-dessus.
Parmi ces entreprises, plusieurs d’entre elles ont déjà été épinglées l’an dernier dans notre analyse, comme Abu Dhabi National Energy Company (TAQA), basée aux Emirats Arabes Unis, ou Comision Federal de Electricidad (CFE), basée au Mexique, qui n’ont toujours pas de date de sortie du secteur. TAQA a notamment obtenu récemment pour la centrale électrique de Jorf Lasfar, d’une capacité de 2 GW, un contrat de fourniture d’électricité qui s’étend jusqu’en 2044, soit 4 ans après la date limite de 2040 (7).
On retrouve également dans ce groupe plusieurs entreprises américaines qui n’ont soit aucune date de sortie publique, soit une date de sortie trop tardive. C’est notamment le cas de Cleco Partners, Lincoln Electric, NRG Energy ou Vistra, sans date de sortie. D’autres prévoient de sortir du secteur mais trop tard comme AEP (2040), Duke Energy (2038) ou DTE Energy (2032) (3).
Les grandes banques françaises justifient ces transactions par le fait de se baser sur des informations confidentielles envoyées par leurs clients, dans lesquels elles affirment avoir confiance concernant leur capacité à sortir du secteur dans les temps impartis par la science climatique. Mais il est impossible de vérifier publiquement ces informations, et certaines entreprises viennent même de repousser leur date de sortie du secteur, comme Duke Energy, de 2035 à 2038 (8).
Face au constat que les banques françaises continuent de financer des entreprises problématiques du secteur du charbon malgré leurs engagements, Reclaim Finance renouvelle son appel à l’Autorité des marchés financiers et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution à agir. Ces régulateurs doivent exiger des banques de se mettre immédiatement en conformité avec l’esprit de leurs politiques et d’utiliser tous les outils à leur disposition pour sanctionner les manquements. Ces pratiques peuvent en effet être sanctionnées en tant qu’informations trompeuses au marché et/ou comme mauvaise gestion des risques financiers climatiques.